Colombie : la ''Paix totale'' du président Gustavo Petro tourne au vinaigre - Par Rachid MAMOUNI

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Des opposants lors d'une manifestation contre le président Petro, le 15 février 2023. JUAN BARRETO / AFP

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Par Rachid MAMOUNI (MAP – Pole Amérique du Sud

Bogota - L'étau n’en finit pas de se resserrer sur le président colombien, Gustavo Petro, après l’effondrement du cessez-le-feu qu’il avait annoncé en grande pompe à la fin de l’année dernière avec les guérillas de l’extrême gauche et les puissantes organisations de trafic de drogue.

Le plan de « Paix totale » de Petro était érigé en symbole de son mandat présidentiel et avec lequel ce premier président de gauche de Colombie, par ailleurs ancien guérillero, voulait tourner définitivement la page d’un conflit armé de plus de six décennies entre les gouvernements successifs et le principal groupe de rébellion marxiste, « Les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie » (FARC).

Toutefois, ce plan a vite montré ses limites. Le cessez-le-feu n’aura duré que quelques semaines, puisque les guérilleros issus des différentes dissidences des FARC continuaient leurs attaques contre les forces armées et la population civile au même moment où leurs délégués négociaient la paix avec le gouvernement à Mexico ou à La Havane.

« Jour après jour, il est devenu évident que la politique de paix totale du gouvernement Petro est une farce », tranche la sénatrice Paola Holguin dans une déclaration à la MAP. Elle déplore « l'improvisation » des autorités en place qui a conduit à «l’affaiblissement des forces de sécurité, alors que les structures criminelles se renforçaient ».

La sénatrice rappelle que « le président Petro avait annoncé le 31 décembre dernier, un prétendu cessez-le-feu bilatéral avec ELN (Armée de libération nationale), avec le clan du Golfe, avec deux structures de la dissidence des FARC et avec des groupes d'autodéfense (…), mais il est devenu évident que le cessez-le-feu bilatéral n'est pas réel, que les structures criminelles continuèrent à commettre des crimes et que la position du gouvernement a été de protéger les criminels et de laisser les communautés sans défense ».

A travers un communiqué au ton martial, le président Petro a annoncé en début de semaine que le gouvernement suspendait le cessez-le-feu avec l'"Etat-major central", une dissidence de la guérilla démobilisée des FARC et décidé de réactiver les "opérations offensives".

Avant cette annonce, plusieurs rounds de négociations entourés de secrets ont réuni à Mexico et à la Havane une délégation du gouvernement et les dissidents des FARC sous l’égide de Cuba, Venezuela et la Norvège comme « pays garants ».

Ces rounds ont été régulièrement émaillés d’attaques meurtrières perpétrées par les guérillas contre des patrouilles de l’armée dans les zones frontalières avec le Venezuela et dans l'Ouest du pays sous le prétexte qu’aucun cessez-le-feu n’a été conclu entre les deux parties et qu’il n’y avait par conséquent aucune raison de suspendre les attaques.

Tout le monde avait compris que ces attaques étaient un moyen de pression exercée par les ex-FARC pour obtenir le maximum de bénéfices à l’issue des négociations.

En avril dernier, la guérilla de l'ELN a mené 21 actions armées, selon un centre d’analyse du conflit en Colombie. Au moins quatre personnes ont été tuées, 22 autres blessées en plus de cinq kidnapping.

La majorité des attaques étaient perpétrées dans les départements d’Antioquia nord-ouest), Norte de Santander (nord) et Valle del Cauca (ouest), où les groupes armés sont très actifs.

Mais l’assassinat cette semaine de quatre jeunes indigènes par les dissidents des FARC a été la goutte qui a fait déborder le vase.

Les jeunes indigènes étaient des mineurs recrutés par la force dans les rangs des rebelles avant d’être assassinés.

A cause de l’impact médiatique de ce quadruple assassinat, conjugué au recrutement de mineurs qui est un crime contre l'humanité, le gouvernement Petro a été amené à suspendre le cessez-le-feu.

Toutefois, cette suspension partielle suscite plusieurs interrogations chez la sénatrice Paola Holguin.

« Qu'entend le gouvernement par cessez-le-feu partiel ? Va-t-il continuer à négocier avec une structure criminelle qui n'a montré aucune volonté de paix ? De quoi parle-t-on alors que nous avons vu jusqu'à présent qu'ils n'ont pas cessé leurs activités criminelles et qu'ils continuent au contraire à kidnapper, assassiner, recruter des mineurs et commettre des crimes sur le territoire » colombien ?

Holguin rappelle les sinistres statistiques tenues par le Médiateur colombien : les ex-FARC ont commis plus de 50 violations du droit international humanitaire et le médiateur a déclaré avoir recensé 90 actions violentes.

Dans ce contexte, la crédibilité du gouvernement en a pris un coup, parce que les forces publiques, les soldats et la police qui représentent la force légitime de l'État ont été livrées à leur sort au moment où le gouvernement continue les négociations avec les mêmes groupes qui s’en prennent à ces forces.

Paola Holguin estime que les forces militaires et policières constituent une « ligne rouge qui est non négociable », ajoutant qu’il est « très difficile pour l'opinion publique de croire en un processus de négociation alors que ces structures continuent à commettre des crimes, à assassiner, à déplacer, à recruter de force des enfants et à se livrer au trafic de drogue ».

Dans cette sinistre réalité, l’image de Gustavo Petro ne cesse de se dégrader. Pas uniquement à cause des négociations avec des groupes paramilitaires, mais aussi de la déliquescence de la situation économique, de l’effritement de la majorité au Congrès et des nombreux blocages que rencontrent ses réformes.

Pour éteindre les nombreux foyers de tension qui se sont déclarés sur plusieurs fronts, Petro a trouvé la parade : changer les ministres frondeurs et mettre en orbite des ministres plus dociles et plus proches de ses ambitions.

Aux yeux de Paola Holguin, l’ambiguïté avérée qui entoure la posture du président Petro à l’égard des groupes armés a une seule explication : ses « affinités idéologiques » bien marquées à gauche du spectre politique. « Plus grave encore, il a été démontré en Colombie que des structures criminelles ont soutenu la campagne qui l'a porté à la présidence de la République (…) L'ELN et les FARC ont exprimé à plusieurs reprises leur soutien à la campagne électorale de Petro », a accusé la sénatrice qui ne cache pas son aversion à l'égard de la politique magnanime menée par Petro vis-à-vis des guérillas et des groupes de trafic de drogue.

Les dix mois du mandat de Petro ont été suffisants pour que les Colombiens déchantent. Les réformes promises de santé et de travail piétinent, l’économie se dégrade, les relations avec le Pérou voisin sont au point mort, la relation avec les Etats-Unis évolue en dents de scie et la paix promise est devenue une chimère. Ce peuple pieux prend son mal en patience, s’en remet à son créateur et attend patiemment qu’un miracle advienne.

 

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