International
Donald Trump, l'Amérique et moi d'abord
Donald Trump et sa fille Ivanka, le 11 janvier 2017 à la Trump Tower, à New York
"Certains pensent que je suis un véritable génie".
Provocations, insultes et tweets moqueurs à l'appui, Donald Trump, a écrit un chapitre en tous points extraordinaire de l'histoire des Etats-Unis.
A tel point que l'élection présidentielle de mardi, où il briguera, à 74 ans, un second mandat, se présente comme un véritable référendum sur sa personne, sur un style totalement inédit de présidence.
Melania Trump, le 7 mai 2018 à la Maison Blanche, à Washington
A la fois symptôme et démultiplicateur des peurs et des fractures de l'Amérique, ce président showman a toujours refusé, une fois installé à la Maison Blanche, d'endosser les habits de rassembleur, en rupture assumée avec ses prédécesseurs.
Même au plus fort de la pandémie de Covid-19, qui a fait plus de 226.000 morts aux Etats-Unis, et au moment où l'Amérique cherchait une voix stable et rassurante, il a obstinément rejeté toute présidentialisation, n'a jamais fait preuve d'empathie.
Pendant quatre ans, les Américains ont assisté – enthousiastes, désemparés ou effrayés – au spectacle inédit d'un président arrivé au pouvoir avec fracas, et ne s'imposant aucune contrainte.
La dérive autoritaire ou l'effondrement économique annoncés par certains le 8 novembre 2016, jour de son élection coup de tonnerre, n'ont pas eu lieu.
Les institutions, souvent malmenées, ont démontré leur robustesse et nombre d'indicateurs - chiffres de l'emploi en tête - ont longtemps été au beau fixe avant l'impact ravageur du coronavirus.
"Je m'amuse"
Des manifestants anti-Trump avec un ballon caricaturant le président américain près du Parlement britannique à Londres, le 4 juin 2019
Mais dans une présidence saturée de scandales, qui contraste singulièrement avec celle de Barack Obama, le septuagénaire à la longue cravate rouge a abîmé la fonction, attaqué juges, élus et fonctionnaires, et alimenté les tensions raciales.
Au-delà de ses frontières, il a rudoyé les alliés des Etats-Unis, fait preuve d'une troublante fascination pour les dirigeants autoritaires, de Vladimir Poutine à Kim Jong Un, et donné un brutal coup de frein à la mobilisation sur le climat.
Joueur, hâbleur, visage triomphant d'un populisme décomplexé, celui qui, selon la formule assassine de l'écrivain Philip Roth, utilise "un vocabulaire de 77 mots", a fait perdre le sens de la mesure à ses admirateurs comme à ses détracteurs.
Le 45e président de l'histoire a aussi subi l'infamie d'une mise en accusation dans une procédure de destitution au Congrès qui restera comme une tache indélébile.
"Le show c'est « Trump » et il se joue partout à guichets fermés. Je m'amuse en le faisant et je continuerai à m'amuser".
La phrase, extraite d'un entretien que le magnat de l'immobilier avait accordé au magazine Playboy en 1990, pourrait avoir été prononcée hier. Et s'appliquer à chacune de ses journées à la tête la première puissance mondiale.
"Pinocchio sans fond"
Le président américain Donald Trump au volant d'un camion, lors d'une réunion de chauffeurs à la Maison Blanche, à Washington, le 23 mars 2017
Doté d'un vrai talent de tribun qui a fait merveille sur les estrades de campagne, le milliardaire à l'intrigante chevelure blonde a réussi la prouesse de se positionner en porte-parole de l'Amérique des "oubliés" et des "pitoyables", selon l'expression méprisante de sa rivale démocrate de 2016 Hillary Clinton.
Démontrant un réel flair politique, il a su capter les angoisses d'une Amérique - majoritairement blanche, plutôt âgée - qui se sentait dédaignée par les "élites" de la côte Est et les stars d'Hollywood sur la côte Ouest.
Ce grand consommateur de hamburgers et de Diet Coke, qui s'était fait une solide place dans les foyers américains grâce à l'émission de télé-réalité "The Apprentice", a appliqué sans relâche une règle simple : occuper l'espace, à n'importe quel prix.
Mépris de la science, approximations, contre-vérités : ses déclarations ont contraint l'équipe de "fact-checkers" du Washington Post à créer une nouvelle catégorie : "Le Pinocchio sans fond", pour les affirmations erronées ou trompeuses répétées plus de 20 fois.
Depuis la célèbre "West Wing" de la Maison Blanche, l'ancien homme d'affaires a, en toutes occasions, creusé le fossé entre deux Amériques, la rouge (républicaine) et la bleue (démocrate).
Loin d'en appeler comme Abraham Lincoln en 1861 à "la part de lumière en chacun de nous", il a inlassablement joué sur les peurs.
En agitant, dès l'annonce de sa candidature en 2015, le spectre des migrants clandestins "violeurs". Et se posant, durant la campagne de 2020, comme seul garant de "la loi et l'ordre" face à la menace de la "gauche radicale".
Dans un pays pourtant friand de moments - même éphémères - d'unité nationale, il n'a que très rarement su ou voulu trouver le ton pour panser les plaies, même après une catastrophe naturelle ou une fusillade sanglante.
Il s'est servi de ses violentes attaques contre les médias - qualifiés de "malhonnêtes", "corrompus" et "ennemis du peuple" - pour braquer encore un peu plus une partie du pays contre l'autre.
Fait remarquable : l'ex-propriétaire des concours Miss Univers est le seul président de l'Histoire dont la cote de popularité n'a jamais atteint la barre des 50% au cours de son mandat.
Entreprise de démolition
Ses opposants comme ses soutiens sont d'accord sur un point : Donald Trump a, de fait, tenu une partie de ses promesses de campagne.
Comme il l'avait annoncé, il a jeté aux orties nombre de traités ou pactes âprement négociés, au premier rang desquels l'accord de Paris sur le climat, conclu par la quasi-totalité des pays de la planète pour tenter de limiter le redoutable emballement de la machine climatique.
Mais cette fidélité aux engagements de campagne s'est d'abord faite dans la déconstruction et la démolition.
Sur ses initiatives, le bilan est plus maigre. C'est frappant sur le dossier nucléaire iranien : il a déchiré l'accord durement négocié par son prédécesseur, a fait monter la pression sur Téhéran jusqu'à l'élimination du puissant général iranien Qassem Soleimani, mais n'a jamais présenté de véritable stratégie.
Le grand plan de paix au Proche-Orient, confié à Jared Kushner, gendre et conseiller paré de toutes les qualités, n'a jamais abouti.
Il peut cependant revendiquer d'avoir fait bouger les lignes dans la région en parrainant la normalisation des relations entre l'Etat hébreu avec trois pays arabes : les Emirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan.
La mort, en octobre 2019, du chef du groupe jihadiste Etat islamique (EI) Abou Bakr al-Baghdadi lors d'une opération américaine en Syrie, restera, à son actif, incontestablement comme un moment fort de sa présidence.
Sa plus grande audace, son plus grand coup, pour lequel il s'était pris à rêver à voix haute de Nobel de la paix, n'a pas eu le retour sur investissement escompté.
Les deux sommets avec le dirigeant nord-coréen Kim Jong Un, les embrassades et la complicité affichée lors d'une visite historique sur la zone démilitarisée, l'"alchimie", les lettres "magnifiques» : l'effort fut vain. Le régime n'a pas bougé sur la question centrale de la dénucléarisation.
Dans la géopolitique complexe et mouvante du XXIe siècle, Donald Trump a personnellement pris pour cible Justin Trudeau, Emmanuel Macron, Angela Merkel et Theresa May.
La mise en garde la plus cinglante n'est pas venue de ses adversaires politiques mais de Jim Mattis, chef du Pentagone. Dans sa lettre de démission, ce général rappelait, à l'adresse du président des États-Unis, une règle simple de la diplomatie : "Traiter les alliés avec respect".
"Nationalisme bancal"
Dans un scénario politique inédit qu'aucun conservateur n'avait prédit, Donald Trump a, fort de sa capacité à électriser sa base électorale, mis à sa botte le parti républicain, qui l'avait au départ sous-estimé voire ignoré.
Ponctuellement, des élus du "Grand Old Party" ont exprimé leur désaccord, comme sur son attitude extraordinairement conciliante vis-à-vis de Vladimir Poutine à Helsinki.
Mais, sur la durée, ils ont fait bloc. Au grand dam de quelques voix dissidentes, comme celle de l'ancien sénateur John McCain, qui, avant sa mort en août 2018, avait mis en garde contre la tentation d'un "nationalisme bancal et fallacieux".
Donald Trump aura toujours fonctionné selon un principe simple: pour ou contre lui, sans nuances.
L'ex-patron du FBI, James Comey, brutalement limogé, a évoqué dans ses mémoires un président qui soumet son entourage à un code de loyauté lui rappelant l'attitude des chefs mafieux observée au début de sa carrière de procureur.
Scandales en cascade
Né dans le Queens, à New York, éduqué dans une école militaire, Donald J. Trump a rejoint l'entreprise familiale après des études de commerce.
Contrairement à la légende qu'il s'est construite, il n'a rien du "self-made man". Après la Seconde Guerre mondiale, son père, Fred Trump, descendant d'un immigré allemand, avait déjà bâti un empire à New York en construisant des immeubles pour la classe moyenne dans les quartiers populaires.
Et lorsque le New York Times a révélé, à l'été 2020, qu'il n'avait payé que 750 dollars d'impôt fédéral sur le revenu en 2016 et que nombre des activités avaient accumulé les pertes, son image d'entrepreneur à succès en a encore pris un coup.
Père de cinq enfants nés de trois femmes différentes, dix fois grand-père, Donald Trump n'a eu de cesse de louer en public Melania, l'ancienne mannequin devenue "magnifique Première dame".
Mais les révélations sur ses liaisons extra-conjugales présumées, en particulier avec l'actrice de films X Stormy Daniels, et les accusations d'agressions sexuelles le visant cadrent mal avec son éloge des valeurs familiales répété mot pour mot à chaque rencontre avec les chrétiens évangéliques.
En s'appuyant sur un cercle familial resserré, mais aussi sur un "instinct" toujours mis en avant, Donald Trump, dont la chute a été mille fois annoncée, aura survécu à tous les scandales.
Comme si, à force d'accumulation, ils n'avaient plus prise sur lui.