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France: dans un fief kanak de Nouvelle-Calédonie, une colère ancestrale
Des passants tiennent un drapeau du Front de libération nationale kanak socialiste (FLNKS) sur un barrage routier à Ducos, en Nouvelle-Calédonie, Les troubles ont fait six morts, dont deux policiers, et des centaines de blessés. (Photo Delphine Mayeur / AFP)
Par Agnes COUDURIER avec Shahzad ABDUL à Sydney (AFP)
Yamel a une amère certitude: celle que la France lui ment comme elle a "menti" à ses "ancêtres". Alors dans un fief kanak de Nouméa, chef-lieu de Nouvelle-Calédonie, il soutient la colère qui gronde dans l'archipel français, jugeant légitimes les aspirations à l'indépendance.
Pour rejoindre son quartier autochtone historique de Montravel, il faut s'écarter d'un barrage tenu par des indépendantistes sur la voie express qui relie la ville à l'aéroport international et s'enfoncer vers une zone boisée.
C'est là que s'est attablé Yamel, 53 ans, sous la tente d'un camp improvisé. Près de lui se reposent sous une bâche bleue des militants aux visages dissimulés, qui participent depuis une semaine aux blocages paralysant le territoire du Pacifique, conquis et colonisé au XIXe siècle.
Autour d'eux détonnent en ce mardi sous état d'urgence des grenades de désencerclement, lancées par les forces de l'ordre qui tentent en vain de reprendre le contrôle de la route.
"Vous entendez? Eh bien tous ces jeunes-là, ils sont prêts pour leur pays. On ne peut pas enlever ça (le barrage), on ne peut pas", balaye Yamel, qui ne veut pas donner son nom.
«Ça fait des années, des années qu'on nous ment", s'est convaincu ce "grand frère" autoproclamé, le visage dévoré par une épaisse barbe poivre et sel.
"On a menti à nos ancêtres, on a menti à nos anciens à travers différents accords qui ont été passés. On en est à notre troisième accord (après ceux de Matignon en 1988 et de Nouméa en 1998, ndlr). On en a marre qu'on ne nous reconnaisse pas", s'impatiente ce Kanak, dans le sous-bois envahi par une âcre odeur de plastique consumé qui s'échappe au loin d'un entrepôt ravagé par les flammes.
Population autochtone mélanésienne de l'île, les Kanak en forment la principale communauté: plus de 41% des 271.400 habitants du territoire, au dernier recensement de l'Insee en 2019, parmi les plus pauvres aussi.
"Guerre civile"
Pour Yamel, la poussée de fièvre actuelle, d'une ampleur inédite depuis quatre décennies, est l'occasion de dire "non, ça ne va pas continuer comme ça".
"Les Kanak demandent juste à être reconnus chez eux, déjà, et qu'on leur laisse diriger le pays (l'archipel, ndlr) eux-mêmes", approuve Philippe, à la carrure de rugbyman, qui refuse aussi de s'identifier.
Lui n'appartient pas à la même communauté, originaire de Wallis et Futuna, autre territoire français ultramarin, mais décline un CV sans appel: 50 ans, "dont 50 ans de lutte pour le peuple kanak".
"Quand vous allez aux Fidji, c'est des Fidjiens, quand vous allez à Tahiti, c'est des Tahitiens, quand vous allez à Wallis (et Futuna), c'est des Wallisiens. Il n'y a qu'ici en Calédonie que c'est d'autres personnes qu'on retrouve dans les instances", proteste-t-il, bien que le gouvernement local soit dirigé par un indépendantiste.
Sur le camp de fortune, où les deux hommes offrent le café et des beignets sous un drapeau indépendantiste, un barnum blanc protège de grandes tablées de bois.
Une grande feuille blanche y est scotchée, recensant toutes les "questions des militants pour la sécurité", alors que six personnes ont été tuées dans les troubles, déclenchés le 13 mai contre une réforme du corps électoral qui marginaliserait les voix de la communauté kanak, selon les indépendantistes
L'une d'elles: "Que se passe-t-il si on entre en guerre civile?"
A sa façon, Yamel s'interroge aussi. "On regarde la mer, c'est calme", philosophe-t-il. "Mais on regarde à l'horizon, il y a encore une tempête qui arrive."