La contre-productivité des sanctions économiques

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Le guide suprême de l’Iran, l’ayatollah Khamenei recevant le président chinois Xi Jinping à Téhéran en janvier 2016

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Alors que l’Iran est sous sanctions américaines, Pékin et Téhéran viennent de signer, en mars 2021, un accord de partenariat stratégique qui sera exécuté sur une période de 25 années pour une enveloppe globale de 400 milliards de dollars. La question qu’on est en droit de se poser est donc la suivante : A quoi servent réellement les sanctions économiques, quand c’est votre adversaire – dans ce cas de figure la Chine- qui en récolte les bénéfices à peu de frais ? 

Si la question paraît simple, les réponses ne sont jamais évidentes tant les intérêts des États s’enchevêtrent. Juste après la signature de l’accord sur le nucléaire en 2015, le président chinois Xi Jimping se rend à Téhéran en 2016 et propose la signature de cet accord pour renforcer les relations bilatérales dans le cadre de l’initiative de la route de la soie. Les responsables iraniens réconfortés par le retour des entreprises européennes et les investissements étrangers, n’y ont pas prêtés réellement attention, préférant travailler avec les chinois dans le cadre de la coopération habituelle.

L’arrivée de Donald Trump à la tête des États-Unis et son retrait de l’accord nucléaire en 2018 a changé complètement la donne. L’Iran, qui commençait à voir le bout du tunnel pour dynamiser son économie et résoudre ses problèmes sociaux est de nouveau ramené à la case départ. Les entreprises européennes qui ont investi le marché se retirent elles aussi, de peur des sanctions américaines. Un pan entier de l’industrie iranienne se trouve brutalement asphyxié.

Face à cette nouvelle impasse, et pour juguler leurs difficultés, les responsables iraniens ressortent la proposition chinoise de conclure un partenariat stratégique entre les deux pays qui a été signé le 27 mars 2021, en présence des deux ministres des affaires étrangères. L’accord stipule des livraisons de pétrole à prix réduit pendant 25 ans à Pékin, en contrepartie des investissements chinois dans la construction d’infrastructures portuaires et aéroportuaires, des télécommunications, des transports, de la finance, et de développement de zones de libre-échange, entre autres.

Selon certains milieux, pour la mise en œuvre de la partie visible et connue de ce partenariat, il faudrait au moins 5000 experts chinois sur place pour superviser plus de 100 projets de constructions d’aéroports et de chemins de fer ainsi que des trains à grande vitesse, sans compter les installations de télécommunications 5G.

Le paiement de la facture pétrolière sera effectué à travers la nouvelle monnaie numérique, e-RMB, lancée récemment par les chinois pour contourner les sanctions américaines. Les besoins de la Chine en produits pétroliers, sont évalués à 10 millions de barils par jour dont une partie sera désormais garantie par Téhéran pour les prochaines 25 années. Les tarifs préférentiels accordés par le gouvernement iranien permettront d’alléger la facture pour permettre à l’industrie chinoise de rester compétitive.

Mais au-delà de cet accord, la Chine prouve par cette initiative qu’elle est désormais la seule puissance capable de défier les décisions unilatérales de Washington et de lui tenir tête. Pékin lui a reproché de faire cavalier seul en sortant de l’accord nucléaire iranien, sans concertation avec les autres partenaires et signataires de l’accord de 2015. En agissant de la sorte, la Chine signifie également aux autres nations, qu’elle est suffisamment puissante pour résister aux sanctions américaines et suivre la voie qui semble convenir le mieux à ses propres intérêts.

Par ailleurs, et à travers le peu qui a été divulgué sur le contenu stratégique de ce partenariat, la Chine fournira à l’Iran des équipements et des formations militaires. L’accord lui assurera également l’accès et la gestion de certains ports iraniens, dont celui de Jask dans le Golfe arabo-persique, très proche du détroit d’Ormuz, par lequel transite les gros navires pétroliers qui alimentent 20% de la consommation mondiale, soit 20 millions de barils par jour.

 En étant présent à Djibouti à travers sa base militaire, la Chine donne ainsi la preuve de sa volonté absolue d’être présente dans cette région longtemps regardée comme une zone d’influence américaine. Comme l’histoire l’a démontré par le passé, le développement économique d’un pays provoque inéluctablement une propension à assouvir ses appétits militaires. La Chine n’en fait pas exception.

Alors à quoi servent les sanctions économiques ? servent-elles réellement à dompter un adversaire ?  On constate souvent leur échec quand elles sont unilatérales et décidées par une seule puissance qui cherche à affirmer sa volonté d’hégémonie comme pour les États-Unis face à Cuba, Venezuela ou l’Iran. L’adversité venant de l’étranger peut, au contraire, soit augmenter la répression interne ou renforcer la cohésion de la nation. Par contre quand les sanctions économiques sont multilatérales, décidées par le conseil de sécurité de l’ONU, elles sont plus efficaces, mieux encadrées, et surtout plus acceptées.

Au niveau des Nations Unies, l’adoption de sanctions économiques à l’encontre d’un État, ou de certaines personnalités, est devenue un outil fréquemment utilisé pour préserver la paix ou protéger les populations civiles. Les sanctions prennent diverses formes, de l’embargo total aux sanctions économiques ciblées. Elles peuvent également viser certaines personnes en gelant leurs avoirs ou en leur interdisant de voyager à l’étranger.

Contrairement aux sanctions unilatérales décidées par une puissance en fonction de ses propres intérêts, celles onusiennes, ou multilatérales, répondent à un cadre juridictionnel strict. Au sein des Nation -Unies, le comité des sanctions est présidé par un membre permanent du Conseil de sécurité épaulé par des équipes d’experts pour gérer le contrôle et le suivi de l’opération. Le but ultime des sanctions reste cependant de soutenir le règlement politique d’un conflit, et favoriser une rapide sortie de crise.

On constate dès lors que les sanctions économiques unilatérales américaines à l’égard de l’Iran ont fait perdre à d’autres pays, notamment européens, de juteux contrats commerciaux. Si ces derniers se sont retirés sur les pointes des pieds de peur de subir eux aussi des sanctions de la part de Washington, la Chine a procédé différemment. Voyant son commerce avec Téhéran chuter de 51,8 milliards de dollars en 2014 à 16 milliards en 2020, elle a pris les devants pour marquer sa volonté de revenir en force dans la région. On comprend donc aisément pourquoi Pékin, qui a négocié discrètement cet accord, n’a pas voulu attendre encore plus longtemps la levée des sanctions américains, pour investir ce marché, défendre ses intérêts, et y planter définitivement son décor.

23 avril 2021

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