chroniques
La démocratie 49 point 3 – Par Naïm Kamal
Des manifestants tiennent une effigie du président français Emmanuel Macron qui se passe de commentaire, lors d'une manifestation au huitième jour de grèves et de protestations à travers le pays contre la réforme des retraites proposée par le gouvernement, à Paris, le 15 mars 2023 (Photo Alain JOCARD / AFP).
Par Naïm Kamal
Un de mes professeurs de français, en sixième (l’actuelle première année du tronc commun), au nom qui ne s’invente pas, Monsieur Charavin, dont je garde un impérissable souvenir, avait le don de nous enseigner sa matière en débâtant avec les élèves des choses de la vie et en premier lieu de la chose politique. Il savait descendre à notre niveau et savait ne pas faire compliqué quand il pouvait faire simple.
Un jour qu’il nous parlait de démocratie, je lui ai demandé ce que c’était ? Il ne nous parla ni de ses origines grecques ni de Montesquieu et de sa séparation des pouvoirs, des choses qui interviendront bien plus tard dans nos vies et parcours. Mais nous dit que c’était une organisation de la vie où le peuple élisait ses représentants et où la majorité dirigeait le pays et la minorité se soumettait à cette volonté. Dans les dictionnaires, on dira que c’est une ‘’Forme de gouvernement dans laquelle la souveraineté appartient au peuple.’’
Il nous expliqua aussi que son but (on n’utilisait pas encore objectif) c’était le bien du peuple et la répartition équitable des richesses pour qu’il n’y ait plus de pauvres.
La complexité du système, ses subtilités et ses ruses, ses forces et ses faiblesses, n’interviendront dans notre compréhension que plus tard, mais, pour ma part, sans jamais comprendre, à ce jour encore, l’aphorisme churchillien, ‘’la démocratie est le pire des systèmes à l’exclusion de tous les autres’’.
Si Monsieur Charavin est encore en vie, je ne suis pas sûr qu’il se reconnaitrait dans la démocratie française telle qu’elle a été instituée et évolué dans le sein de la VIème république et telle qu’elle se déroule actuellement sous nos yeux. La violence faite aux députés pour imposer le très impopulaire projet de report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans ne le réjouirait certainement pas.
L’article 49 alinéa 3, communément dit 49.3, permettant au gouvernement d’engager sa responsabilité et de passer en force quand l’un de ses projets fondamentaux rencontre de la résistance, fut conçu, explique-t-on, pour protéger la république française du désordre et l’instabilité gouvernementale dans lesquels l’avait plongée la république précédente dite la quatrième. Il est donc difficile de contester son intention première, à condition de ne pas trop en abuser.
Or, en 65 ans d’existence, le 49.3 a été utilisé 100 fois et le triste trophée du centième recours à cet article, constitutionnel mais par certains aspects scélérat, échoit à la Première ministre d’Emmanuel Macron, Elisabeth Borne. En 11 mois à la tête du gouvernement, elle l’a employé 11 fois, ce qui peut paraitre normal pour une ancienne proche du parti socialiste puisqu’elle se place ainsi deuxième derrière Michel Rocard, qui, piégé à Matignon par son camarade-ennemi, le refondateur du PS, François Mitterrand, dans un contexte très difficile, en a usé 28 fois.
Mais si ça peut consoler la deuxième Première ministre de France, le RPR Jacques Chirac est troisième (8 fois) ex æquo avec la première Première ministre, la socialiste Edith Cresson dont Elisabeth Borne risque, dit-on, de ne pas battre le record de non-longévité à ce poste, 10 mois contre 10 pour sa prédécesseure.
Mais la toujours actuelle Première ministre, en dépit de son entêtement n’est que le dindon de la farce d’un président mal élu, sans majorité, qui n’a réussi ni à trouver une formule intelligente de cohabitation avec une famille politique recomposée, ni à calmer les syndicats, ni à satisfaire la rue. Après le tragique de l’épisode des Gilets jaunes, Emmanuel Macron se retrouve à nouveau confronté à la population qui rejette dans sa majorité la réforme des retraites et apprécie très peu la violence du recours à nouveau au 49.3, un déni de démocratie, et ne goute guère celle utilisée jeudi soir contre les manifestants devant le ‘’temple de la démocratie représentative’’, l’Assemblée nationale.
L’un dans l’autre, tout cela, en plus de cette façon de vouloir ‘’faire le bonheur du peuple malgré lui’’, ne font-il pas autoritarisme vulgairement fardé de démocratie ?