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La Ligue arabe et l de l’OCI, l’introuvable pragmatisme – Par Hatim Betioui
Deux chantres de la harangue au sein de la Ligue arabe, l’Égyptien Jamal Abel Nasser et le Libyen Maamar Kadhafi, pris entre les deux, le Palestinien Yasser Arfat, président de l’OLP, tout aussi harangueur de foules, et à gauche de Nasser, le défunt roi de Jordanie Hussein, généralement beaucoup moins disert.
Depuis longtemps déjà, plus qu’il n’en fait en tous les cas, la situation arabe et islamique dégradée induit une question récurrente sur l'utilité de la Ligue arabe et de l'Organisation de la coopération islamique, sans parler de ce que l’avenir leur réserve.
Lorsqu’on observe les organisations régionales à travers le monde, toutes actives et efficaces d'une manière ou d'une autre, on ne peut que constater la léthargie qui les organisations arabes et islamiques, sachant que plusieurs pays membres de la Ligue arabe sont presque en état d'effondrement ou déjà Etat failli.
Un état de confusion généralisée
Au milieu de l’actuelle effervescence dans « sa région de compétence », le sectarisme s'est insinué, aggravant d’autant la situation, sans que la Ligue arabe ne semble s’en rendre compte au point de n’exprimer aucune préoccupation face aux actions de l'Iran dans la région. Dans un état de confusion généralisée, on ne peut que constater qu’elle n'a jamais vécu, depuis sa création en 1945, pareille atmosphère de discorde et de fragmentation qui ronge ses pays membres.
La main de l'Iran est désormais présente partout, à travers des agents chargés de gérer la politique iranienne dans plusieurs pays arabes, à tel point que l'Iran semble être un membre de la Ligue arabe, malgré tout, par le biais de ces agents que chacun connaît et identifie.
Actuellement, la Ligue se distingue par un silence effrayant, ne pouvant ni avancer ni reculer, laissant la dure vérité transparaitre : celui qui n'a rien ne peut rien donner.
L’échec au plan politique est tel que la Ligue arabe, presque en état de mort clinique, serait mieux inspiré de se récuser politiquement pour se concentrer sur des programmes de développement arabe visant à éradiquer l'analphabétisme, à lutter contre l'isolement, à réaliser des logements décents et à assurer une protection sociale aux citoyens de ses États membres.
L’exemple européen
Faut-il le rappeler ? L'Union européenne, une puissance qui compte face aux mastodontes américain et chinois, a commencé son parcours en tant qu'organisation de coopération économique sous le nom de "Marché commun européen", un statut qui a duré plus de trois décennies jusqu'à ce que les populations puissent bénéficier de l’assise économique et social nécessaire, avant de passer à la construction institutionnelle de l'Union européenne.
Tout s'est fait étape par étape, selon une réflexion sereine et rationnelle, avant que l'idée d'une monnaie européenne unique (l'euro) soit adoptée, que les droits de douane entre les pays soient supprimés, et qu'un passeport européen soit créé.
Contrairement aux États-Unis, un État fédéral, chaque pays européen a conservé sa souveraineté. Et bien qu'un poste de haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ait été créé, ses positions ne sont contraignantes pour aucun pays, car les États de l'Union européenne n'ont pas de positions unifiées sur de nombreuses questions internationales, les relations bilatérales étant encore prédominantes. Un exemple notable en est les relations franco-africaines, qui, par exemple, ne sont pas soumises à la vision européenne générale de ces relations. Il y a une autonomie dans la prise de décision souveraine des États, leurs drapeaux flottent toujours, ce qui n'empêche pas de hisser le drapeau de l'Union européenne à leurs côtés. Ainsi, la préservation de leurs spécificités ne les empêche pas de déployer sur les questions stratégiques d’intérêt commun une politique qui parle d’une seule voix. De même, les intérêts spécifiques d’un pays membre de l’Union fait la plupart du temps l’objet d’une mutualisation des influences de chaque État pour leur assurer un plus grand poids.
Le plus important est donc que les pays européens partagent un système de souveraineté unique, mais qu'ils convergent entre eux à travers un cadre démocratique libéral qui les guide, car les bases de la coopération entre les pays de l'Union européenne commencent par la nature du système de gouvernance.
Certes, l'Union européenne comprend des monarchies et des républiques, mais ce qui les unit est leur adhésion commune au système démocratique.
C’est pour cette raison que l'Espagne et le Portugal n’ont rejoint l'Union européenne qu'après la chute des régimes dictatoriaux du général Francisco Franco en 1975 et du dictateur António Salazar en 1974, et le retour de la démocratie dans ces deux pays.
On pourrait rêver que le monde arabe devienne comme l'Union européenne, mais il faut être réaliste : le monde arabe n'est visiblement pas prêt pour cela.
L'Union européenne est le résultat d'un long processus historique, commencé à la Renaissance, poursuivi par la révolution industrielle et l'ère de la vapeur. Ces étapes ont été cruciales dans la formation de l'identité européenne et dans le renforcement de la coopération entre les États européens. De même que les guerres fratricides qui ont ravagé l’Europe ont été pour beaucoup dans la maturation de l’idéal unioniste.
L’OCI, un changement de nom inutile
Ce modèle aurait pu, au sortir de la période coloniale, inspirer les dirigeants de la sphère arabe et les conduire à faire l’économie d’un parcours aussi dense que tragique ; Malheureusement, dans le monde arabe, le mot "révolution" est surtout synonyme des coups d'État militaires, dont le plus marquant est celui du colonel Gamal Abdel Nasser le 23 juillet 1952, suivi de coups d'État en Libye, en Syrie et en Irak, et la liste est longue.
Pas mieux inspiré que la Ligue arabe, l'Organisation de la coopération islamique, dont les pays de la Ligue sont une forte composante, créée en 1969 après l’incendié la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem par Israël, semble s'être affaiblie depuis que son ancien secrétaire général turc, Ekmeleddin İhsanoğlu (2004-2014), a œuvré pour changer son nom de "Organisation de la conférence islamique" en "Organisation de la coopération islamique" le 28 juin 2011, lors de la 38e session du Conseil des ministres des Affaires étrangères des États membres de l'organisation dans la capitale kazakhe, Astana (aujourd'hui Nour-Soultan).
L'objectif de ce changement de nom était de renforcer le rôle de l'organisation pour qu'elle devienne plus représentative de l'esprit de coopération entre les pays islamiques, et non plus simplement une conférence les réunissant, en faisant en sorte que le nouveau nom reflète l'engagement des États membres à renforcer la coopération dans divers domaines tels que l'économie, la culture, les sciences et la politique, tout en affirmant l'unité et la solidarité des pays islamiques face aux défis auxquels le monde islamique est confronté. Mais tant de rêve, sans oublier que la Turquie, membre de l'Organisation de la coopération islamique et initiatrice de cette transformation, n'est pas un État islamique, mais un État laïque.
Mais tant de rêve ne semble pas avoir mieux inspiré l'Organisation de la coopération islamique quasiment absente de tout ce qui se passe dans le monde islamique, des persécutions des musulmans en Birmanie, en Inde et en Chine.
Cependant, au milieu de toute cette obscurité, il y a une lueur d'espoir qui suscite quelque optimisme. Parmi les rares initiatives actives au sein de l'Organisation de la coopération islamique, on trouve l'agence "Bayt Mal Al-Qods Acharif", issue du Comité Al-Qods (1998), qui se distingue par son rôle humanitaire et travaille à financer des projets sociaux, éducatifs et sanitaires pour soutenir la résilience des habitants de Jérusalem et préserver l'identité arabe et islamique de la ville, sans conditions politiques ou autres considérations, sous la supervision directe du roi du Maroc, Mohammed VI.
Mais c’est une hirondelle au milieu de la sècheresse d’été. La Ligue arabe et l'Organisation de la coopération islamique ne pourront se redresser que le jour où elles seront capables de surmonter leurs dysfonctionnements et d'aborder les problèmes du monde arabe et islamique avec une vision qui dépasse les proclamations, les condamnations et les expressions d'inquiétude. Moins de verbiage et plus de pragmatisme leur font le plus. Grand bien.