Le bellicisme de Trump trahit-il sa peur de l’avenir ? Par Abdelahad Idrissi Kaitouni

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Le président américain Donald Trump lors de sa prise de parole lors du National Prayer Breakfast au Washington Hilton à Washington, DC, le 6 février 2025. (Photo par Ting Shen / AFP)

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J’ai suivi en direct, avec beaucoup d’attention, mêlée à une réelle appréhension, le discours d’investiture de Donald Trump. J’en étais estomaqué tant j’étais incapable d’en saisir la portée. En parcourant les commentaires sur les réseaux sociaux, j’ai compris que je n’étais pas le seul à avoir été dérouté par ses propos. 

Entre ceux qui pensent que Trump est toujours sur son nuage, savourant une revanche qui paraissait impossible au début de la campagne électorale, et ceux qui n’y voient qu’un messianisme suranné qui lui fait croire qu’il est investi d’une mission divine, il y a une majorité qui ne peut s’empêcher de traquer la signification politique de chaque mot qu’il prononce.

L’étalage de la force pour ne pas combattre

J’appartiens à cette dernière catégorie qui estime qu’un propos d’un chef d’État a forcément une portée politique, avec le questionnement qu’imposent généralement les arrière-pensées du discours politique. Pour un discours d’investiture, le camouflage est réussi à la fois dans le ton, la forme et le fond. Un monument du genre !

Bien sûr que, dans le cas de Trump, il faut tenir compte, en plus de l’opacité traditionnelle du politique, du côté quelque peu fantasque et passablement déjanté du personnage. Ceci rajoute à la difficulté du décodage du discours. 

D’entrée Trump déclare, avec la belle assurance qui est la sienne, que l’âge d’or pour les USA démarre en ce jour béni du 20 janvier 2025, jour de son investiture ! Une manière de dire à ceux qui ont voté pour lui qu’ils avaient fait le bon choix, et une autre manière de flatter l’ego démesuré des Américains. Il répète à l’envi à ses compatriotes qu’ils sont les meilleurs en tout, comme pour dissiper le moindre soupçon de doute sur la grandeur de leur pays. En fait, ses harangues prennent la tournure d’une véritable campagne de mobilisation. 

Par les temps qui courent, on ne mobilise pas pour le plaisir de mobiliser, mais pour mener de véritables combats. Trump a égrené, tout au long de son discours, les nombreuses batailles qu’il compte livrer tous azimuts contre les récalcitrants, y compris parmi les alliés. Des batailles qu’il compte impérativement gagner puisque l’Amérique usera de toutes ses ressources, privilégiant le recours à la force pour venir à bout de toute résistance ! Cyniquement, il pense gagner des batailles sans les livrer, juste en faisant étalage de la force. 

Ces menaces, lancées urbi et orbi, ne laissent présager rien de bon pour le monde. Les adversaires traditionnels des USA, Chine en tête, sauront contourner les provocations de Trump, et peut-être iront-ils jusqu’à dresser de nouvelles barrières face à ses ambitions démoniaques. Par contre les alliés connus et reconnus de l’Amérique auront à redouter les appétits insatiables du chef de la Maison-Blanche.

L’Europe survivra-t-elle aux quatre ans d’enfer de l’ère Trump ? Rien n’est moins sûr ! Normal, car l’Europe n’a plus les ressorts pour offrir la moindre résistance aux multiples dangers qui la guettent ! Comment le pourrait-elle alors qu’avec son adhésion massive et irraisonnée aux populismes de tous bords, elle semble avoir renoncé à toutes les valeurs qui l’avaient portée au firmament ? 

L’Europe est aujourd’hui une proie facile, et c’est le type même de bataille que Trump pense gagner sans la moindre escarmouche. La reddition annoncée du Vieux Continent donnera un goût amer à la victoire américaine, une victoire partie d’un abus de faiblesse, pour conduire à la fragilisation, probablement irréversible, de l’allié européen.

Ce besoin insatiable d’injurier et de vilipender 

Certainement que nombre d’Américains garderont l’amertume de voir l’Europe, déjà sous protectorat, vassalisé, dénuée de fierté, sans aucun aura… Ces mêmes Américains, qui n’arrivent pas à nourrir un peu de compassion pour leurs alliés, pourront-ils en avoir envers le reste de la planète. C’est toute la planète qui est aujourd’hui menacée d’agression en tout genre par Trump. En effet, le nouveau président américain a clamé haut et fort qu’il mènera la vie dure aux défenseurs de l’environnement. Comme si le retrait de la Convention de Paris ne suffisait pas, il a déclaré son hostilité aux voitures électriques, égratignant au passage son principal allié, Elon Musk, le patron de Tesla, l’incarnation de ce type de véhicules. 

Qu’il veuille forer, forer et encore forer, comme il l’a répété avec délectation, on ne peut que déplorer le préjudice qu’il va causer à son propre pays, par le gâchis écologique que cela va engendrer. 

Les forages intempestifs qu’il s’apprête à lancer laisseront des séquelles indélébiles sur le sol américain, mais feront de tous les acheteurs de ce pétrole, les complices de cette forfaiture. Mais, de là à vouloir imposer aux autres pays l’achat de ce pétrole entaché, il y a comme une volonté d’avilir, de rabaisser. 

Le plus inquiétant est que nombre d’observateurs américains, parmi les plus avisés, s’accordent à alerter sur l’effet boomerang que les mesures de Trump pourraient avoir de négatif sur les USA. Mais on ne constate nulle part les prémices de réactions dans l’opinion américaine. Ceci est un mauvais signal donné aux alliés, qui voient dans cette résignation, une adhésion du pays aux frasques de leur Président. Ceux qui ne sont pas des alliés inconditionnels y verront une sorte de défiance de l’Occident vis-à-vis du reste du monde, et une renonciation aux valeurs qu’il s’était appropriées à un moment donné. 

Avec le génocide de Gaza, et maintenant les agissements démoniaques de Trump, on a l’impression que c’est au son des tambours et trompettes, que l’occident nous signifie son divorce définitif avec le reste de l’humanité. Est-ce le début de la fin, mainte fois annoncée, de la pesante domination de l’occident sur le monde ? Sa sortie de l’histoire n’est certes pas pour demain, mais la couardise des opinions publiques occidentales, menées par l’intrépide Trump, est la meilleure manière de baliser le chemin de cette sortie.

Je me serais bien contenté d’une telle chute pour ma chronique. Mais je ne peux passer outre une idée recueillie sur les réseaux sociaux et qui revenait fréquemment dans les commentaires du discours d’investiture. En effet, sans s’arrêter sur le fond, beaucoup se sont interrogés sur la tonalité du discours. 

Qu’est-ce qui motive ce ton tonitruant, injurieux, avec son mélange d’invectives et de menaces ? A-t-il besoin de vitupérer indistinctement alliés et adversaires ? Ceci fait dire à certains il s’agit là du remake d’un mauvais western, et pour d’autres une bagarre entre potaches dans une cour de récréation.

Trump est-il dans le bluff ou a-t-il peur ?

Aux yeux des uns et des autres, il est convenu que ceux qui roulent les muscles, qui brandissent l’usage de la force sous toutes ses formes, sont généralement des gens qui affabulent, qui bluffent ou qui ont carrément peur. Alors, notre Trump est-il dans le bluff ou a-t-il peur ? Déjanté comme il est, tout indique qu’il se trouve dans les deux situations à la fois !

Le poker menteur finit toujours par se découvrir au grand jour. Dans le cas d’espèce, l’Amérique, première puissance qu’elle est, n’a pas les moyens à la mesure des ambitions de Trump. Quand, par exemple il décide de jeter 500 milliards de dollars dans l’AI, il oublie que l’énergie disponible aux USA ne permettra pas de couvrir les besoins des gigantesques Datacenters envisagés. Va-t-il forer jusqu’au dernier mètre carré du territoire américain pour plus de pétrole ?

Ces derniers jours, le monde entier a été saisi d’admiration et d’étonnement face à la performance du petit poucet chinois, DeepSeek. Une frugalité sans égal, qui mène à des sommets encore inconnus, frugalité en termes de ressources : énergétique, hydrique et financière (un rapport de 1/200 en comparaison avec Chat GPT) ! 

On voit que le bluff a ses limites, mais quid de la peur ? De qui, de quoi Trump aurait-il peur ? Ses vociférations, souvent disproportionnées avec l’enjeu doivent nécessairement masquer des craintes ici et là. Les USA sont encore aujourd’hui la première puissance. Mais elle n’est plus en mesure d’être la locomotive d’un monde qui grandit et qui a changé considérablement. 

Les changements survenus récemment s’accompagnent d’une complexification inouïe des problèmes. 

Leurs résolutions reposent sur de nouvelles approches qui excluent entre autres tout recours à la force. Désormais la force n’est plus perçue comme solution aux problèmes, mais la composante pernicieuse des problèmes. Y recourir aujourd’hui, c’est tourner le dos à l’avenir ! Apparemment, cela ne dérange guère Trump. 

Par ailleurs, les solutions les plus efficaces et les plus pérennes sont celles qui recueillent l’adhésion du plus grand nombre. Ceci rend indispensable une approche multilatéraliste. Ce qui ne convient pas non plus à M. Trump. 

Pour tirer les leçons du passé et appréhender l’avenir changeant et menaçant, il faut adopter ces nouvelles approches qui excluent le recours à la force, et qui privilégient le cadre multilatéral comme lieu pour dissiper les conflits. 

Trump a clairement signifié dans ses multiples sorties que la force reste une option ouverte, pour ne pas dire privilégiée. De même qu’il ne veut pas entendre parler de multilatéralisme. Il a toutes les peines du monde à accepter ces nouvelles approches, il campe désespérément dans ce qui avait cours dans le passé, la force et l’unilatéralisme. Trump tente de maintenir l’Amérique dans cette position de confort, dans l’espoir fou de faire perdurer la prééminence de son pays sur le monde. 

Plus rien ne sera comme avant ! Le Président américain et l’establishment yankee le savent, c’est la raison pour laquelle ils nourrissent une peur de l’avenir. Trump peut continuer à ruer dans les brancards autant qu’il veut, tout le monde sait maintenant que ses vociférations et ses menaces trahissent en fait la frayeur qu’il a de l’avenir !

Ifrane, le 01/02/2025

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