Le décret en blanc du président Tebboune

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Des Algériens se rassemblent à Kherrata, une ville du nord du pays pour marquer le 2e anniversaire du Hirak le 16 février 2021. Ils réclament le départ des généraux.

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Dans un discours de 20 minutes, le président algérien Abdelmadjid Tebboune, a annoncé jeudi 18 février la dissolution de l’Assemblée nationale et la convocation d’élections législatives anticipées sans toutefois préciser une date. Il a également annoncé un remaniement ministériel qui devrait intervenir dans les 48 heures après son discours. 

Absent de la scène algérienne pendant trois mois pour cause de Coivd-19, il a essayé par ce discours de donner suite à ses promesses de président nouvellement investi en décembre 2019. Parce que attendues et tombant sous le sens, ces décisions n’ont surpris personne et encore moins satisfait quelqu’un. A l’image de la présidentielle et du référendum constitutionnel, on ne s’attend nullement à ce que ces législatives connaissent une quelconque adhésion populaire. 

Mais par le jeu des négociations avec les forces de l’opposition et par des appels du pied à peine discrets à quelques têtes du Hirak, le pouvoir algérien cherche à créer un semblant de vie politique dans un pays qui a sombré dans l’atonie depuis que la pandémie a contraint le mouvement de contestation à céder la rue aux forces de sécurité qui en ont profité pour arrêter et poursuivre par dizaines les activistes les plus en vue du Hirak algérien. Avec l’espoir non dissimulé d’éteindre définitivement le mouvement et de reprendre le contrôle de l’Algérie et des Algériens.

Comme pour montrer au pouvoir que rien n’est joué et que la flamme de la contestation est toujours rutilante, des milliers de manifestants avaient pris d’assaut, deux jours avant l’allocution présidentielle, les rues de Kherrata, ville à 300 km à l’est d’Alger, qui a vu la naissance du Hirak. Anticipant un discours qui n’était pas encore annoncé, les manifestants ont exprimé clairement et en des termes peu flatteurs pour les généraux, leurs revendication : Un Etat civil ! 

Certaines de leurs banderoles affichaient le portrait de Abbane Ramdane, figure de la lutte pour l’indépendance, encore incontournable plus de 60 ans après son assassinat par « ses camarades ». Théoricien au congrès de la Soummam (décembre 1956) de la primauté des forces de l’intérieur sur celles de l’extérieur et du politique sur le militaire, il s’est vu faire renaitre de ses cendres par la jeunesse du Hirak.  Une façon subtile pour la contestation de délégitimer les tenants du pouvoir par rapport aux vraies valeurs de la révolution algérienne et de souligner, deux ans après le déclenchement du mouvement, leur attachement à l’Etat civil prôné bien avant l’éclosion de l’Algérie actuelle par Abban Ramdane qui passe pour être l’architecte de la révolution algérienne et le dixième des neuf chefs historiques* du FLN.    

Alors que des appels à la mobilisation s’intensifient pour célébrer dûment, ce 22 février, le deuxième anniversaire de l’extension de la contestation à Alger et au reste du pays, le président Abdelmadjid Tebboune, et derrière lui la hiérarchie militaire, tente par son discours, sans grande conviction, de distraire la rue par un vague projet de réhabilitation des institutions élues, en espérant se faire rejoindre sur sa feuille de route par quelque force politique. Généreux et magnanime, sans doute aussi pour calmer un peu les esprits, le chef de l’Etat algérien a déclaré avoir signé un décret pour gracier des détenus du Hirak : « environ 30 personnes […] au total, entre 55 et 60 personnes », a-t-il annoncé avec un sens anthologique de la précision. A croire qu’il a signé un décret en blanc pour une approximation des personnes à libérer qui en dit long sur sa précipitation et la navigation à vue du pouvoir algérien, devenues désormais sa marque de fabrique.

* Hocine Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Larbi Ben M'Hidi, Mustapha Ben Boulaïd, Rabah Bitat, Mohamed Boudiaf, Mourad Didouche, Mohamed Khider, Abban Ramdane et Krim Belkacem. Sur les dix, trois ont été assassinés par le pouvoir algérien (dans l’ordre : Mohamed Khider (1967), Krim Belkacem (1970) et Mohamed Boudiaf (1992) alors qu’il exerçait la présidence algérienne ; abattu par une rafale dans le dos en public à Annaba. Ahmed Benbella, premier président a été renversé et jeté en prison pendant 14 ans, coupé du monde.  Abban Ramdane, assassiné avant l’indépendance, l’histoire officielle de l’Algérie, écrite par le clan d’Oujda, a tout fait pour l’effacer de la mémoire comme chef historique et comme moujahid tout court. Le Hirak, c’est sa revanche posthume.