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Le peuple élu : 3/3 - L’appel au meurtre dans les cinq livres de la Torah – Par Naïm Kamal
Moïse redescendant du mont Sinaï, les Tables de la Loi en main. À la vue de son peuple adorant le veau d'or, il fracasse ces tables, rompant symboliquement l'alliance sacrée entre le peuple juif et Dieu.
Par Naïm Kamal
Dans la première partie de cet article, Naïm Kamal est revenu sur la propagande israélienne et occidentale qui tente de dater le conflit israélo-palestinien du 7 octobre, et sur ce que l’idée du peuple élu et le concept d’un peuple « sans terre pour une terre sans peuple » comportent d’intentions génocidaires toujours à l’œuvre. Dans la deuxième, il a expliqué pourquoi et comment le soutien occidental à Israël n’est mu par aucune mauvaise conscience à l’égard de ce que l’Occident a fait subir aux juifs européens, mais obéit à un sens très terre-à-terre de l’intérêt. Cette partie a conclu qu’il ne s’agissait pas non plus de prétendre que la violence inouïe dont use Israël contre les Palestiniens spécifique à Israël, la violence étant le propre de l’homme et a joué un rôle central, souvent tragique tout au long de l'histoire humaine, ainsi que dans l’émergence et la disparition des civilisations. Cette troisième partie s’arrête sur la violence imputée à l’Islam, au milieu d’un magma où se heurtent les intérêts des puissances dans un Choc aussi bien civilisationnel que, surtout, économique. Il dit, citant la journaliste Ghizlan Taybi, ce que les livres du judaïsme comportent comme incitation à la tuerie, occulté dans tout débat.
Face au drame qui se poursuit actuellement en Palestine, il y a une question récurrente qui n’a pas encore trouvé de réponse satisfaisante : comment un peuple qui a souffert dans sa chair il n’y pas si longtemps, moins d’un siècle, qui dit toujours porter dans sa peau et sa mémoire l’infernale Shoah et les humiliations de l’antisémitisme, qui a revendiqué son droit à la dignité et à l’existence, puisse être aussi insensible aux souffrances d’un autre peuple, d’autant plus qu’il en est la cause et l’auteur. Et se montrer aussi méprisant pour la revendication du droit de ce peuple à la même dignité et la même existence ?
Mais l’explication est moins complexe qu’il n’y parait.
L’approche huntingtonienne
Dans Le Choc des civilisations qui identifie plusieurs civilisations majeures (Occident, Chine, Russie, monde islamique Inde etc.), Samuel P. Huntington retient le principe d’un entrechoquement civilisationnel inévitable avec les conséquences que l’on sait déjà. Sa théorie a sans doute suscité bien des réserves, particulièrement parce qu’il prédit que les chocs seraient de nature plus culturelle et religieuse qu’idéologique ou économique. La démarche huntingtonienne est, certes, réductrice, mais il n’en demeure pas moins difficile d’évacuer l’ensemble de ses déductions d’un trait et certainement pas par des professions de foi invitant à la tolérance et au dialogue des cultures.
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Probablement que la critique des théories de Huntington recèle les relents d’une approche matérialiste. Mais sans prétendre que l’alternative marxiste au capitalisme a été un succès, les résultats de l’autopsie des rapports socio-économiques par le marxisme reste indépassable. Sa version léniniste, qui lui est complémentaire, étendra plus tard l’approche marxiste aux rapports internationaux en théorisant l’impérialisme comme stade suprême du capitalisme. Si bien que ce que Huntington a fait dans son essai, revisité par le marxisme-léninisme, apparait comme une tentative de couvrir d’un voile culturel et religieux le volet boueux des relations internationales. Peut-être aussi que l’éminent professeur américain à l'Université Harvard a cherché à doter le bassement matériel dans les rapports internationaux d’un peu de poésie épique, celle-ci contenant par définition une violence sublimée par les récits mythologiques attribués à Homère.
Qu’importe. Car en définitive, la confrontation occidentalo-russo-chinoise qui découle de cette analyse et se dessine sous nos yeux en perspective d’un nouvel ordre mondial, comporte également une dimension ethno-religieuse et se décline aussi en termes de rejet de l’autre (une altérité intolérante). Néanmoins ses ressorts profonds demeurent d’ordre économique tant le comeback de la Russie, l’avènement de la Chine, et plus généralement la montée en puissance du bien nommé Sud global bousculent ce que l’Occident unanime appelle son « mode de vie » qui se résume au train de vie que les occidentaux soutirent de l’ordre mondial actuel. Mais qu’il s’agisse de l’approche de Huntington ou de l’approche matérialiste, le cas d’Israël est un concentré des facteurs qui poussent le monde à la déflagration.
L’islam au milieu d’un magma volcanique
Peu peuvent aujourd’hui contester les périls menaçant ainsi le monde ni douter que de par son étendue sur plusieurs continents, de ses ressources et de sa démographie, la composante musulmane, qu’elle soit État constitué ou population au sein d’une nation, se retrouve une fois de plus au milieu de ce magma volcanique comme un ennemi à, au moins, contenir. Le rabaissement de l’adversaire et sa diabolisation étant l’une des armes dans toute confrontation, l’Islam est ses musulmans, en vue de leur soumission, sont ainsi sans cesse ramenés à une violence « inhérente à leu religion » et à une nature vampire assoiffée de sang conforme aux prescriptions coraniques. Pour justifier la domination que le marxisme-léninisme a décrite et décriée, l’attaque du 7 octobre est rejetée comme acte de résistance et réduite à une barbarie inspirée précisément par une supposée essence islamique, sachant que ce qui touche au conflit israélo-palestinien finit toujours par déteindre sur l’ensemble du monde musulman et à entrainer ses peuples dans son tourbillon. Son état actuel remonte à la chute du dernier des empires musulmans, l’ottoman.
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Depuis, les musulmans ont des difficultés importantes à se remettre en selle et en sont à expliquer en permanence qu’eux, aussi bien que leur religion, ont toutes les aptitudes à être candidats à l’intégration, sans se renier, au canevas et aux standards du monde moderne. Une aptitude que l’on s’obstine à ne pas leur reconnaitre sous prétexte qu’ils sont religieusement incompatibles avec le progrès.
En revanche, la société juive peut receler tous les « travers » que l’on reproche aux sociétés musulmanes, Israël, du moins pour sa souche européenne, restera une démocratie libérale. Que l’État hébreu ait toutes les caractéristiques de l’État militaire dont on retrouve les traits dans la définition d’un Sabra qui désigne généralement les juifs nés en Israël, n’y change pas grand-chose. Pourtant, un simple recensement du nombre de militaires qui reviennent à la direction des affaires par la fenêtre politique est édifiant dans ce sens. Un autre simple tour d’horizon des Premiers ministres issus du commandement de l’armée est également assez représentatif de cette réalité. Tout un ensemble d’ingrédients qui fait d’Israël un Etat guerrier, en permanence en état de guerre. C’est une condition sine qua non à son existence. C’est pour cette raison qu’il a été souvent dit, lorsque commence à se concocter un processus de résolution de la question palestinienne, qu’Israël est en danger de paix.
La violence dans la Torah
Il n’empêche que ni sur ce plan ni sur le volet religieux, rarement le peuple juif est renvoyé à son prophète, Moïse, capable de colère et de violence, ou encore aux incitations à la tuerie dans la Torah dont on a eu quelques spécimens par la bouche de responsables religieux juifs au début de la guerre actuelle.
La journaliste Ghizlan Taybi, rédactrice en chef à 2M, et surtout chercheure en théologie, a effectué plusieurs recherches sur les religions à travers le monde. Séduite comme beaucoup d’entre nous par les succès juifs dans le monde des affaires et par leurs contributions dans divers domaines (sciences, littérature, musique), elle a toujours posé un regard attendri sur Israël et le judaïsme. Racontant sur sa page Facebook sa visite à Auschwitz qu’elle qualifie de « l’un des moments les plus émouvants de (sa) vie », elle écrit : « A chaque pas que j’esquissais, je reconstituais dans ma tête, le cœur meurtri, tous ces instants de souffrance que j’avais lue et relue dans les livres de Simone Veil, Elie Wiesel, Primo Levi… ainsi que dans tous les témoignages des survivants que j’ai écoutés et réécoutés en Israël et qui, à chaque fois, me saccageaient littéralement. »
C’est pourtant elle qui, face au drame en cours, répondant à un correspondant juif prétendant que sa « religion interdit de tuer », lui rappelle que les « livres sacrés du judaïsme sont les plus violents de tous et Yahvé du Talnakh (Dieu dans le judaïsme) est extrêmement sanguinaire. Les appels à l’extermination, aux meurtres sans pitié même contre femmes, enfants et bétail foisonnent, explique-t-elle, dans tous les livres sacrés du judaïsme : Nevi'im, Ketouvim , Devarim , Tehilim, Chemot, Samuel, Josué ou Sefer Shoftim »
Mme Tayibi se contente de donner de « tout-petits exemples » éloquents de la Torah, dont on se contente de citer deux qui condensent tous les autres :
« Eh bien, va les attaquer maintenant, détruis complètement tout ce qui leur appartient, sans pitié. Mets à mort tous les êtres vivants, hommes et femmes, enfants et nourrissons, bœufs et moutons, chameaux et ânes. » (1Samuel15.3).
« Lorsque l'Éternel votre Dieu aura fait disparaître les nations chez qui vous vous rendez pour les déposséder, lorsque vous les aurez chassées et serez installés dans leur pays, gardez-vous bien de vous laisser prendre au piège en les imitant après leur extermination, et n’allez pas vous rallier à leurs divinités » (Deutéronome 12.29-13.1).
Pour autant, et là on revient à ce que le matérialisme historique a bien décrit et que l’Histoire raconte, il ne viendra à l’idée d’aucun esprit normalement constitué de faire de cette violence un acte inédit ou une exclusivité israélienne. C’est la morgue de criminels de guerre qui prétendent obéir à un ordre éthique et proclament que Tsahal est l’armée la plus morale au monde, qui est outrageante et insupportable, alors même que les soldats israéliens se livrent sans remords ni reproches à l’assassinat massif des enfants et des femmes pour réduire tout un peuple à l’état végétatif.
Même la Rome antique, puissance absolue de son époque, mère de la civilisation - après le Grèce bien entendu - qui soumettait par le fer et le feu les « peuplades barbares », n’avait pas cette outrecuidance. Voire qu’à un moment de son histoire, avec l’édit de Caracalla* en 212, Rome a cherché à étendre la citoyenneté romaine à tous les hommes libres de l'Empire en vue, entre autres, de faciliter l'intégration des cultures provinciales dans la société romaine et favoriser une plus grande homogénéité culturelle par une diffusion des valeurs et coutumes romaines. Rien de tel n’a été offert hier ou n’est proposé aujourd’hui au monde. Faudrait-il s’en étonner quand l’édit de Caracalla lui-même, en dépit de sa généreuse bonne volonté, a fait long feu.
* L'édit de Caracalla ou plaidoyer pour les États-Unis d'Occident, de Xavier C…, un haut fonctionnaire français, probablement un officier naturalisé américain. Il s’agit d’une correspondance traduite et publiée chez Fayard par Régis Debray qui l’a assortie d’une postface où il en conteste les thèses.