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Les transformations rapides de la capitale éthiopienne, Addis-Abeba : modernisation ou effacement de l’histoire ?
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Addis-Abeba est à un tournant crucial : soit elle parvient à concilier développement économique et préservation de son identité culturelle, soit elle devient une ville totalement nouvelle, dépourvue de son âme et de son histoire
Tout visiteur de la capitale éthiopienne, Addis-Abeba, ces dernières années, a pu constater l’ampleur des transformations urbaines majeures et accélérées que connaît la capitale de la diplomatie africaine.
Récemment, ces transformations ont touché tous les aspects de la ville : quartiers, rues, places publiques et ponts, surprenant de nombreuses délégations qui l’ont visitée le week-end dernier à l’occasion de la 38ᵉ session ordinaire du sommet de l’Union africaine
Il n’est pas exagéré de dire qu’Addis-Abeba est aujourd’hui un immense chantier qui redessine les contours de la ville et la transforme en une capitale moderne, rivalisant avec les grandes métropoles mondiales. Les rues ont été repensées et élargies en longueur et en largeur, et de nouvelles routes ont été ouvertes pour absorber le trafic croissant. Des quartiers entiers ont été rasés pour laisser place à d’immenses complexes résidentiels surmontés de gratte-ciel à l’architecture chinoise ou américaine, entourés de chaînes de restauration rapide internationales telles que McDonald’s, KFC, Burger King et Pizza Hut.
Le quartier de Piazza a longtemps été le cœur battant de la capitale éthiopienne, avec ses rues anciennes animées, ses boutiques artisanales et commerçantes, ainsi que ses bâtiments marqués par les différentes époques de l’histoire. Mais ce paysage a changé rapidement : les bulldozers ont envahi le quartier, détruisant des bâtiments historiques, dont certains remontaient à l’époque de l’empereur Menelik II. Même les édifices d’architecture moderne, emblématiques de l’âge d’or de la ville sous le règne de Haïlé Sélassié, ont été entièrement démolis et remplacés par des espaces ouverts destinés à des projets de développement urbain.
Le même sort a été réservé aux ruelles pavées étroites des quartiers anciens, autrefois prisés des touristes et des amateurs de café éthiopien traditionnel. Tous ces quartiers ont été effacés, ne laissant même pas de vestiges, privant ainsi la ville d’une grande partie de son patrimoine visuel et culturel.
Le changement ne s’est pas limité aux bâtiments : il a également touché les centres artistiques et culturels qui faisaient partie de l’identité de la ville. Le Centre culturel Fendika, autrefois un refuge pour les écrivains, poètes, musiciens et peintres éthiopiens de toutes ethnies et générations, connu pour ses spectacles et soirées musicales vibrantes, a disparu sous l’assaut du gigantesque chantier de modernisation qui balaie Addis-Abeba.
Aujourd’hui, quiconque arrive dans cette ville, considérée comme le carrefour du continent africain, perçoit sans aucun doute que les transformations ne se limitent pas à la disparition des monuments historiques, mais affectent aussi directement la vie de ses habitants. Des centaines de familles se sont retrouvées contraintes de quitter leur domicile sans qu’un plan clair de relogement ne soit mis en place. Les évacuations se sont déroulées rapidement, parfois avec un préavis de seulement quelques jours, plongeant de nombreuses personnes dans l’incertitude et l’angoisse.
Ceux dont les maisons n’ont pas été démolies, ils subissent d’énormes pressions financières. Les autorités leur ont imposé des rénovations coûteuses afin de répondre aux nouvelles normes urbanistiques de la capitale. Certains habitants ont reçu l’ordre de remplacer leurs fenêtres par des modèles en verre et aluminium modernes, coûtant parfois jusqu’à 750 dollars par fenêtre, alors que le loyer mensuel moyen ne dépasse pas 120 dollars, rendant ces exigences impossibles à satisfaire pour beaucoup.
Face à ces transformations, une question essentielle se pose : peut-on moderniser une ville sans effacer son identité historique ?
Les architectes et experts en patrimoine estiment que la modernisation ne signifie pas nécessairement la destruction, notamment des bâtiments historiques, qui pourraient être réhabilités et intégrés au nouveau plan urbain au lieu d’être totalement éradiqués. C’est d’ailleurs ce qui se pratique dans de nombreux pays.
Le véritable capital d’Addis-Abeba réside dans son équilibre entre un passé riche et un développement urbain accéléré, ainsi que dans la diversité de ses monuments emblématiques, témoins de son héritage culturel et religieux.
Aujourd’hui, Addis-Abeba est à un tournant crucial : soit elle parvient à concilier développement économique et préservation de son identité culturelle, soit elle devient une ville totalement nouvelle, dépourvue de son âme et de son histoire, livrée aux assauts de la mondialisation galopante, avec son cortège de pollution visuelle, culturelle et environnementale, menaçant aussi bien les communautés, les habitants que la pierre elle-même.