Nouvel ordre ou désordre commercial mondial ? Le FMI, la Chine et les secousses tarifaires – Par Assia Makhlouf

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Sur les réseaux sociaux chinois, les surtaxes américaines déclenchent sarcasmes et humour : vidéos satiriques, images générées par IA, slogans inversés. Sur cette photo, Donald Trump n ouvrier bedonnant de la couture

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Entre flambée des droits de douane, redéploiement des stratégies économiques et bras de fer sino-américain, le système commercial mondial vacille. Au centre de cette agitation : le FMI, la CELAC, la Chine, les réactions de Donald Trump et l'écho grandissant d'un monde multipolaire en recomposition. Le round up d’Assia Makhlouf

Les avertissements du FMI : rééquilibrer d'urgence l'économie mondiale

Lors d'un discours prononcé à Washington, Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI, a appelé à une réorganisation des équilibres économiques mondiaux. Elle alerte sur l'aggravation des tensions commerciales, la flambée des droits de douane et la multiplication des barrières non tarifaires, responsables selon elle d'un "sentiment d'injustice" et de perturbations majeures dans les chaînes d'approvisionnement.

Elle exhorte les grandes puissances à adopter des politiques nationales plus inclusives : à la Chine, elle demande de renforcer la protection sociale et de stimuler sa consommation intérieure ; à l'Union européenne, de dépasser les cloisonnements du marché unique ; aux États-Unis, de réduire leur déficit budgétaire. Elle plaide aussi pour une solidarité accrue envers les pays les plus vulnérables.

Trump et la stratégie du choc tarifaire

Donald Trump, toujours fidèle à son approche transactionnelle, multiplie les mesures protectionnistes. Tarifs douaniers records, nouvelles taxes sur les navires chinois, surtaxes ciblées sur le GNL ou les véhicules importés : la Maison Blanche assume une politique de réindustrialisation à marche forcée. Si Trump affirme qu'un accord est "possible avec tous les pays", la Chine reste exclue des 90 jours de suspension accordés au reste du monde.

La Chine réplique avec ses propres surtaxes, créant une spirale conflictuelle. L'annonce de nouveaux frais pour les navires liés à la Chine accroît les tensions, d'autant que ces mesures touchent aussi les armateurs chinois détenant des navires fabriqués ailleurs. L'objectif affiché de l'administration américaine : relancer une industrie navale déclinante face à l'hégémonie asiatique.

La Chine entre ironie populaire et inquiétude industrielle

Sur les réseaux sociaux chinois, les surtaxes américaines déclenchent sarcasmes et humour : vidéos satiriques, images générées par IA, slogans inversés. Cette dérision cache cependant une véritable angoisse industrielle. Dans les provinces manufacturières comme le Guangdong, les commandes américaines chutent. De nombreux industriels chinois cherchent désormais à se redéployer sur d'autres marchés.

Les surtaxes américaines devraient aussi alimenter l'inflation domestique aux États-Unis, prévient Jérôme Powell, président de la Fed. En Chine, la portée des surtaxes sur les produits américains reste limitée : le pays peut produire localement la grande majorité des biens qu'il consomme.

Optimisme prudent du Japon

Le nouvel ambassadeur des États-Unis au Japon, George Glass, s’est dit « extrêmement optimiste » quant à un accord commercial entre les deux pays, saluant l’implication personnelle de Donald Trump dans le dossier. Le Japon, frappé par des surtaxes américaines sur l’automobile, l’acier et l’aluminium, appelle à un accord rapide avant la fin du délai de 90 jours décrété par Washington. L’enjeu est crucial pour Tokyo, les exportations automobiles représentant 28 % des ventes vers les États-Unis. Une réunion entre les responsables japonais et américains s’est tenue à Washington, en attendant une nouvelle rencontre prévue fin avril.

La CELAC en pivot diplomatique vers la Chine

En Amérique latine, la CELAC (Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes) affiche une posture de plus en plus distante envers Washington. Lors de son dernier sommet, l'organisation a condamné les politiques douanières et migratoires américaines, et prépare pour mai un Forum CELAC-Chine à Pékin.

Bien que certains pays comme le Paraguay et l'Argentine aient pris leurs distances avec cette ligne dure, la majorité des membres voient en la Chine un partenaire économique stratégique. Le Forum Celac-Chine, relancé dans un contexte de guerre commerciale exacerbée, reflète un basculement géopolitique du Sud global vers l'Est asiatique.

Vers une accalmie ? Entre réalisme diplomatique et incertitudes de marché

Malgré les tensions, certains signes d'apaisement apparaissent. Donald Trump se montre ouvert à des accords, notamment avec l'Union européenne et le Japon. La visite de Giorgia Meloni à la Maison Blanche en est une illustration, même si elle n'a pas débouché sur des avancées concrètes.

La reprise des discussions avec la Chine laisse entrevoir une possible désésacalade, mais les déclarations restent prudentes. Sur les marchés, une certaine stabilité revient, comme en témoignent les rebonds enregistrés en Asie. Cependant, le climat général reste tendu.

Entre opportunités de transformation et dérives protectionnistes

La mondialisation commerciale est à la croisière des chemins. La succession des crises (sanitaires, géopolitiques, environnementales) révèle ses vulnérabilités. Le FMI plaide pour une refonte plus inclusive et plus équilibrée. Mais les logiques de puissance et les replis protectionnistes menacent les efforts multilatéraux.

Dans ce contexte instable, chaque crise devient une bifurcation. Comme le résume Kristalina Georgieva : "Si l'on déploie suffisamment d'efforts, ce qui était impossible devient possible".

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