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Paris face à la vague de ''francophobie'' en Afrique – Par Hatim Betioui
Ousamen Sonko, (un Thomas Sankara en civil ? ) et Bassirou Faye, un tandem à la tête du Sénégal qui offre, bien plus que les pays du Sahel, la plus éloquente expression des allergies que provoque désormais la France en Afrique
Les relations entre la France et ses anciennes colonies africaines n'ont jamais été aussi dégradées et tendues qu'en ce moment. Ce déclin ne se limite pas au seul aspect des relations, mais englobe tous les domaines, qu'ils soient politiques, économiques, militaires ou même culturels.
Si les positions critiques et hostiles des peuples de ces pays envers la France sont les plus visibles et bruyantes, les positions officielles exprimées publiquement par les dirigeants de certains de ces pays dans leurs discours et lors de déclarations aux médias locaux et internationaux ne diffèrent pas des opinions populaires dominantes. Elles s'y confondent même totalement, et parfois les devancent et les orientent.
Le premier signe de la détérioration des relations franco-africaines, pour ne pas parler de leur effondrement, se manifeste dans les événements dramatiques actuels en Afrique de l’Ouest, notamment dans la région du Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad). Ces événements ont porté un coup sévère aux relations avec la France, les endommageant profondément dans tous leurs aspects.
Un effondrement en quelques années
Il convient de souligner que ces relations, tissées au fil de plus de sept décennies de coopération étroite entre les capitales de ces pays et Paris, couvaient des irritations de plus en plus fortes depuis si longtemps qu’il n’a pas fallu plus d’un laps de temps très court, trois ans, pour effondrer brusquement. Cette rupture fait suite à une vague de coups d’État militaires qui a déferlé sur la région, engendrant une nouvelle génération de leaders militaires populistes déterminés à couper le cordon ombilical qui reliait leurs pays à leur ancien colonisateur. Ce dernier est tenu pour directement ou indirectement responsable de la détérioration des conditions sécuritaires et économiques de leurs pays.
Cependant, la contagion du « syndrome sahélien » qui a frappé la France, l’obligeant à démanteler ses bases militaires et à quitter rapidement la région, ne s’est pas limitée au Sahel. Il s’est également propagé à d’autres pays africains en dehors de cette région, comme le Sénégal et le Togo.
Le cas du Sénégal
Le Sénégal est un cas emblématique. C’est l’un des rares pays africains n’ayant pas connu de coup d’État depuis son indépendance en 1960 – contrairement aux pays du Sahel –,néanmoins le président Bassirou Faye, arrivé démocratiquement au pouvoir en 2023, n’a pas tardé pour exiger le retrait des troupes françaises stationnées sur le sol sénégalais.
Dans le même temps, Bassirou Faye a organisé une conférence internationale pour commémorer le 80ᵉ anniversaire du massacre des tirailleurs sénégalais, exécutés froidement par la France en 1944 simplement parce qu’ils réclamaient leurs salaires. Certains historiens sénégalais estiment à 400 le nombre de soldats tués.
Malgré cela, les relations entre Dakar et Paris restent marquées par une coopération dans plusieurs domaines. Toutefois, Dakar marche actuellement sur des œufs, essayant de réévaluer cette relation en fonction de ses intérêts nationaux, sans entrer dans une confrontation directe comme c’est le cas pour certains pays du Sahel.
La position du Togo
Le Togo, tout aussi « ami fidèle », n’est pas en reste. Il est également touché par la « contagion sahélienne » et commence à manifester son mécontentement à sa manière, rejoignant les voix africaines dénonçant la domination française et appelant à rompre avec son influence.
Les positions togolaises, exprimées notamment par son ministre des Affaires étrangères, Robert Dussey, se sont distinguées par leur audace, leur franchise et, parfois, leur caractère surprenant. Ses déclarations lors de conférences de presse avec ses homologues africains et occidentaux, y compris le ministre français, s’opposent ouvertement à la position française. Il a ainsi clairement soutenu les coups d’État survenus dans les pays du Sahel et s’est fermement opposé aux sanctions imposées par les organisations internationales et régionales aux États ayant connu des putschs militaires sous prétexte de préserver la démocratie et les institutions constitutionnelles. Certains ont vu dans ces prises de position une rupture avec la tradition diplomatique togolaise, habituellement caractérisée par la modération et le calme. Cependant, ces déclarations s’inscrivent dans le cadre plus large des dynamiques actuelles en Afrique.
Les défis du néocolonialisme français
Bien que la présence française en Afrique soit confrontée à de nombreux défis, certains d’entre eux trouvent leur origine en France même. Ces dernières années, le pays a connu un virage marqué vers l’extrême droite, entraînant une vague de racisme décomplexé contre les communautés africaines immigrées et leurs valeurs, souvent empreintes de traditions religieuses. Cette islamophobie a nourri une montée des tensions.
Cette vague de rejet en France a trouvé un écho en Afrique, sans épargner un pays aussi lié à la France que le Tchad, où une « francophobie » croissante s’est manifestée sous diverses formes, mêlant actions politiques et militaires. Les événements récents dans les pays du Sahel ne sont pas étrangers à ce contexte.
Les relations entre la France et ses anciennes colonies africaines, dans cette une phase critique, entament une nouvelle vague de décolonisation marquée par une remise en question généralisée de l’héritage colonial et des liens historiques qui en découlent. Et Il sera incontestablement très difficile à Paris de remonter la pente tant il lui faudra auparavant arriver à bout de ses démons ressuscités par la prédominance des droites populistes qui ne touche pas que la France.