Tension en Tunisie après une 4e nuit consécutive de heurts

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Heurts entre manifestants et forces de l'ordre à Ettadhamen, dans la banlieue de Tunis, le 18 janvier 2021

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La tension reste vive en Tunisie après une quatrième nuit de heurts malgré le couvre-feu anticoronavirus et l'intervention du président Kais Saied, des troubles sociaux qui se doublent de quelques appels informels à manifester mardi contre la pauvreté. Pour le chef du gouvernement tunisien, Hichem Mechichi. Les incidents nocturnes, éclatés depuis vendredi dernier dans plusieurs régions tunisiennes, "ne sont pas innocents". Ces actes "ne sont pas innocents et il n'y a pas lieu de semer le chaos" dans le pays, a insisté M. Mechichi, qui présidait mardi une réunion avec les hauts cadres sécuritaires du ministère tunisien de l'Intérieur.

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Heurts entre manifestants et forces de l'ordre à Ettadhamen, dans la banlieue de Tunis, le 18 janvier 2021

Cité dans un communiqué de la présidence du gouvernement, le chef du gouvernement tunisien a souligné que "les actes de pillage, de vol et de dégradation des biens publics et privés ne peuvent pas être considérés comme des mouvements de protestation", estimant que "les mouvements pacifiques sont garantis par la Constitution".

Il a dans, ce sens, condamné "les appels relayés sur les réseaux sociaux pour faire régner l'anarchie et porter atteinte aux institutions constitutionnelles", insistant sur la nécessité de faire face à ces appels à travers l'application de la loi.

Sur un autre plan, le chef du gouvernement a dit "comprendre les mouvements de protestation", affirmant qu'ils sont traités par le dialogue et la recherche de solutions en coordination avec les partenaires sociaux. 

De son coté, l'Organe consultatif du parti d'Ennahdha (islamiste), principale formation politique en Tunisie, s'est dit "profondément préoccupé" par ces émeutes nocturnes, dénonçant des "actes de vandalisme qui ciblent les biens publics et privés ainsi que des institutions administratives et des commerces". "Ces actes de violence sont injustifiés et n'ont rien à voir avec les mouvements de protestation pacifique garantis par la loi et la Constitution", souligne le parti dans un communiqué.

Le couvre-feu à partir de 20 heures, en vigueur depuis octobre pour tenter d'endiguer la pandémie, avait été avancé à 16 heures de jeudi à dimanche et accompagné d'un confinement.

Les troubles avaient éclaté dans plusieurs régions au lendemain du dixième anniversaire du départ de Zine el Abidine Ben Ali, chassé du pouvoir par la foule le 14 janvier 2011, et se sont poursuivis jusqu'à la nuit de lundi à mardi.

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Des blindés anti-émeutes à Tunis 

A Tunis, quelques centaines de jeunes ont jeté des pierres et quelques cocktails Molotov sur des policiers déployés en force dans plusieurs quartiers populaires, dont la vaste cité d'Ettadhamen. Les forces de l'ordre ont tiré d'importantes quantités de gaz lacrymogènes.

A Sfax, deuxième plus grande ville du pays, des protestataires ont incendié des pneus et coupé des routes, a constaté un correspondant de l'AFP.

Des heurts ont aussi eu lieu à Gafsa, où les habitants protestaient contre la destruction par les autorités d'un point de vente informel, a indiqué un autre correspondant.

Des échauffourées ont notamment éclaté au Kef, à Bizerte (nord) et Kasserine (centre-ouest), à Sousse ou encore Monastir (centre-est), selon des médias locaux.

Ces protestations, récurrentes en janvier quand est marqué l'anniversaire de plusieurs luttes sociales, n'ont pas abouti à des revendications politiques claires et ont été émaillées de pillages.

Le ministère de l'Intérieur a annoncé lundi 632 arrestations et l'armée a été déployée pour protéger certains bâtiments publics.

"Droit au travail" 

"Il y a un déni et une sous-estimation de la colère parmi les jeunes, notamment parce que les onze gouvernements qui se sont succédé (depuis la chute de Ben Ali) n'ont pas eu de stratégie pour répondre à la question centrale de l'emploi", souligne Olfa Lamloum, directrice de l'ONG International Alert en Tunisie, qui travaille dans les zones les plus marginalisées du pays.  

Selon une étude de l'ONG menée en 2019, avant le confinement, le chômage des jeunes atteignait 43% à Kasserine, ville marginalisée du centre de la Tunisie, tandis qu'un jeune sur cinq avait été interpellé ou emprisonné sur l'année passée.

"Tant qu'il y a une réponse uniquement sécuritaire, avec des arrestations massives, et pas de réponse sociale ou politique, les tensions vont rester vives", souligne Mme Lamloum.

Les dirigeants tunisiens, très divisés, sont restés très silencieux ces derniers jours tandis que de nombreux commentateurs et représentants politiques ont qualifié ces protestataires de "délinquants".

Seul le président Kais Saied, largement élu en 2019 avec le soutien des jeunes, s'est rendu lundi près d'Ettadhamen. 

Il a appelé les jeunes à ne pas s'en prendre aux personnes ni aux biens dans leur défense du "droit au travail, à la liberté et à la dignité", reprenant les slogans de la révolution de 2011.

"N'attaquez ni n'insultez personne, et n'endommagez pas les propriétés privées ou les institutions de l'Etat" car le "chaos" ne permet pas d'avancer, a-t-il poursuivi, les mettant en garde contre les tentatives d'instrumentalisation de leur colère.

L'Union générale des travailleurs tunisiens a appelé à cesser les troubles nocturnes, tout en rappelant que le droit à manifester était garanti par la Constitution.

Mais les rassemblements sont actuellement interdits en raison d'une recrudescence de cas de Covid-19. 

Une manifestation a rassemblé lundi à Tunis quelques dizaines de personnes protestant contre l'augmentation de la pauvreté, la corruption et "la répression policière". Elle a été dispersée par la police et un militant a été interpellé.

Quelques appels à la mobilisation ont été lancés par des internautes pour mardi, sans être relayés par des organisations.

Ces tensions interviennent alors que le gouvernement, constitué avec peine en septembre, et largement remanié samedi, est en attente d'un nouveau vote de confiance.

L'instabilité politique et le manque de perspectives économiques, avec un recul historique du Produit intérieur brut de 9% annoncé pour 2021, ont alimenté un pic de départs illégaux vers l'Europe, où les Tunisiens sont désormais la principale nationalité à arriver sur les côtes italiennes.

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