Vers l'effondrement du mythe de ''l'eldorado européen'' ? (Par Adil ZAARI JABIRI)

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Le manque de coordination et les poussées émotives et xénophobes du "chacun pour soi" qui ont sonné le glas de «l’Europe unie» et ouvert grand la porte à l’improvisation et aux demi-mesures.

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Par Adil ZAARI JABIRI (MAP)

Bruxelles - Hôpitaux bondés, personnels médicaux débordés et couacs en cascade dans la chaîne d’approvisionnement en vaccins. Le spectacle affligeant qu’offrent aujourd’hui les États membres de l’Union européenne (UE), qui se targuaient il n’y a pas longtemps d’être parmi les nations les plus médicalisées au monde, fait mal au cœur.

Avant même le début de la pandémie du coronavirus en 2020, le système de santé européen montrait déjà des signes d’essoufflement à cause notamment du manque endémique de ressources humaines et des coupes budgétaires successives. Mais la pénurie de masques de protection, de gel hydro-alcoolique et de respirateurs, a révélé la fragilité et les limites d’un modèle économique qui a choisi de placer son destin entre les mains d’autres nations lointaines comme la Chine ou l’Inde au péril de la santé et de la quiétude des citoyens.

Sont venus ensuite se greffer à cette crise, le manque de coordination et les poussées émotives et xénophobes du "chacun pour soi" qui ont sonné le glas de «l’Europe unie» et ouvert grand la porte à l’improvisation et aux demi-mesures. Tout le monde se souvient des réquisitions sur les tarmacs des masques destinés aux pays tiers, des interdictions d’exportation de médicaments ou de produits paramédicaux devenus rares et ensuite des chamailleries sur les restrictions sanitaires communes, particulièrement la fermeture des frontières internes.

Venue l’ère des vaccins, c’est une nouvelle bataille qui est en train de déchirer les pays européens, exacerbée par un climat de méfiance et de suspicion de plus en plus présent chez les citoyens du Vieux Continent.

Pourtant, la politique commune d’acquisition de vaccins avait pour objectif de barrer le chemin à la concurrence déloyale, au chacun pour soi, à l’hégémonisme des laboratoires, au nationalisme vaccinal et surtout d’éviter la répétition de la crise des masques, des tests et des respirateurs.

Mais très vite, les mauvais réflexes sont revenus. Et à force de procrastiner, de vouloir trop réglementer, trop négocier, trop communautariser, les Européens dégringolent aujourd'hui au dernier rang des nations qui ont avancé dans leur processus de lutte contre le coronavirus tant en termes de choix des vaccins que de volume des commandes ou en capacité à vacciner rapidement les populations.

Privilégiant le marchandage des prix des vaccins sur la disponibilité, le respect des procédures sur l’urgence, l’UE a pris le risque de nourrir le doute et l’euroscepticisme. En conséquence, certains États comme la Hongrie ont commencé à négocier, en solo et parfois en secret, des contrats avec des laboratoires russes et chinois dans une sorte de sauve-qui-peut individualiste.

Cette situation a été aggravée avec les derniers développements autour de la sécurité du vaccin d’AstraZeneca, dont une dizaine de pays ont suspendu l’utilisation en raison d’effets secondaires non encore définitivement établis.

Outre le coût en vies humaines, la pandémie a placé sous l’éteignoir la croissance économique européenne, avec des faillites en série et la fermeture maintes fois prolongée de nombreux secteurs dits «non essentiels». Les annonces de suppressions d'emplois se sont multipliées ces derniers mois malgré des plans d'aide inédits pour soutenir l'économie européenne. En janvier 2021, 15,7 millions d'hommes et de femmes étaient au chômage dans l'UE, dont 13,3 millions dans la zone euro.

Environ quatre jeunes de moins de 25 ans sur dix ne travaillent pas en Espagne, un sur quatre en Suède et au Portugal et près d'un sur cinq en France.

Véritable moteur de l’économie européenne, avec 10% du PIB de l'UE, 27 millions d'emplois et 2,4 millions d'entreprises, le secteur du tourisme est à son tour fortement mis à mal dans les États membres qui ont accusé des pertes colossales se chiffrant à plusieurs milliards d'euros.

Quant au secteur automobile, qui était l’un des plus florissants en Europe, il accuse une perte de production dépassant les 4 millions de véhicules, soit 122 milliards d'euros.

L’UE découvre ainsi les limites de son action et paie les frais de la lourdeur de ses procédures et de la déficience de sa politique communautaire. Au-delà de ces insuffisances conjoncturelles, elle multiplie les sous-performances : Absence de vision stratégique en matière de santé, une croissance économique en berne, une monnaie arthritique sur le marché mondial, un retard technologique criard face aux géants américains et asiatiques et un manque flagrant de coordination des politiques communautaires.

Quant à ses promesses d’une «Europe de la prospérité» pour lesquelles l’UE a même dédié un poste de Commissaire chargé de «la promotion du mode de vie européen», elles relèvent du vœu pieux. Et c’est justement cette situation qui nourrit autant la tentation de «l’exit» chez certains États membres que les sentiments eurosceptiques et de rejet chez les citoyens. L’extrême droite, qui caracole un peu partout en Europe, y trouve aussi un terreau fertile.