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Victoire historique de l’opposition en Turquie, revers sans précédent d’Erdogan
Un partisan tient un portrait du maire d'Ankara et candidat du Parti républicain du peuple (CHP) Mansur Yavas à Ankara, le 31 mars 2024. Le principal parti d'opposition turc a revendiqué le 31 mars la victoire à Istanbul et à Ankara, son étoile montante émergeant des élections locales en tant que challenger sérieux du président vétéran Recep Tayyip Erdogan. (Photo par Adem ALTAN / AFP)
Par Youness KRAIFA (MAP)
Istanbul - L’opposition turque, dirigée par le Parti républicain du peuple (CHP), a remporté une victoire historique aux élections municipales, qui ont eu lieu dimanche, alors que le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir a subi un revers sans précédent.
Avec 37,76% des voix et une victoire dans 14 grandes municipalités, 21 provinces et 337 districts, le CHP a réalisé ses meilleurs résultats depuis des décennies, tandis que l’AKP a subi sa première défaite électorale en 20 ans.
L’AKP est arrivé en deuxième position derrière le CHP avec 35,48% des voix, remportant 12 grandes municipalités, 12 provinces et 356 districts.
Selon les analystes politiques, les résultats de ces élections municipales ont changé la carte politique du pays, l’opposition remportant la plupart des provinces de l’ouest et de la côte sud, alors que l’AKP est resté ancré dans le centre et le nord du pays. Les provinces orientales à majorité kurde sont revenues au Parti de l’égalité et de la démocratie des peuples (DEM) (5,68% des voix).
Ainsi, le principal parti d’opposition en Turquie a de nouveau remporté la présidence des grandes municipalités qu’il avait déjà remportées lors des élections municipales de 2019, et a également arraché de nouvelles municipalités qui étaient considérées comme des bastions de l’AKP, notamment la municipalité de Bursa.
Selon les chiffres publiés par le Conseil électoral suprême turc (YSK), Ekrem İmamoğlu a été réélu maire d’Istanbul avec 51% des voix, soit un million de voix de plus que son adversaire de l’AKP, Murat Kurum.
La bataille pour la mairie d’Istanbul a été âprement disputée, car les plus grandes villes turques revêtent une importance particulière en tant que centres politiques majeurs, accueillant à elles seules plus de 10 millions d’électeurs. La ville est traditionnellement considérée comme un indicateur de satisfaction des électeurs à l’égard des politiques publiques en vigueur, et la victoire de n’importe quel parti aux élections municipales y est considérée comme une victoire symbolique majeure.
Istanbul était autrefois un bastion du président turc Recep Tayyip Erdoğan, qui en était le maire de 1994 à 1998, avant que l’alliance au pouvoir ne perde le contrôle de la ville lors des élections de 2019.
Les candidats du CHP ont également remporté la mairie de la capitale Ankara (Mansur Yavaş, avec près de 60% des voix) et d’Izmir, la troisième plus grande ville turque (Tunç Soyer, avec 48% des voix).
L’opposition a remporté aussi la municipalité de Bursa au détriment de l’AKP, grâce à Mustafa Bozbey (environ 47% des voix), et a conservé la mairie d’Antalya (Muhittin Böcek, avec 47,40% des voix) et d’Adana (Zeydan Karalar, avec 47,34% des voix).
En revanche, l’AKP a conservé les provinces du centre et du nord du pays, telles que Konya, Gaziantep, Samsun et Aksaray.
"Le peuple turc a envoyé ses messages aux politiciens par le biais des urnes", a déclaré, dimanche soir, le président Erdoğan, reconnaissant que son alliance "n’a pas obtenu le résultat escompté".
Les résultats du scrutin du 31 mars "seront un tournant pour le Parti de la justice et du développement (...). Nous analyserons les résultats des élections municipales et réexaminerons notre parcours", a encore affirmé M. Erdoğan depuis le siège de son parti à Ankara.
De son côté, le président du Parti républicain du peuple, Özgür Özel, a salué les bons résultats obtenus par les candidats du parti, soulignant que "ces résultats attestent que le CHP va mener une nouvelle politique dans le pays".
"Les électeurs ont décidé aujourd’hui de changer l’image de la Turquie. Le peuple a décidé d’équilibrer le pouvoir au niveau local et a également transmis un message important sur la manière de gérer notre pays", a poursuivi M. Özel depuis le siège de son parti à Ankara.
Pour de nombreux observateurs, la situation économique du pays (avec une inflation dépassant les 67% et une monnaie nationale qui s’effondre chaque jour face au dollar) a joué un rôle crucial dans le changement du paysage politique et la défaite de l’AKP après des années de domination des résultats des élections nationales et municipales.
Plusieurs observateurs ont également pointé du doigt des "erreurs flagrantes" commises par l’AKP lors de ces élections, notamment le choix de candidats locaux qui ne bénéficient pas d’une popularité suffisante et la concentration pendant la campagne électorale sur de grands projets entrepris par la Turquie, sans accorder suffisamment d’attention aux problèmes quotidiens auxquels sont confrontés les électeurs.
Les électeurs turcs ont voté pour 1.393 maires, près de 20.000 membres de conseils municipaux et plus de 30.000 "mukhtars" dans divers quartiers et villages turcs, en plus des membres des conseils des personnes âgées.
Ce scrutin a eu lieu dans 30 grandes municipalités, 51 provinces, 922 districts et 390 villages à travers la Turquie. Le taux de participation s’est élevé à 78,11%, selon le Conseil électoral suprême turc.