Abdelkrim El Khattabi au nom du sultan Moulay Youssef

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La guerre du Rif (1921-1926) a duré 5 ans. La guerre de « pacification » dans le Moyen et Haut Atlas qui a fait 100 mille morts, 22 ans (1912 -1934). De celle-ci on en parle si peu, allez savoir pourquoi. Ce qui est sûr, c’est que l’histoire du Maroc reste à écrire loin des passions et de vagues réminiscences

Le mouvement de contestation que connaît depuis à-peu-près huit mois la région du Rif à la suite du décès de Mouhcine Fikri dans un malheureux accident, a fait resurgir une tendance latente chez nombre de Rifains. Elle met en exergue une fierté qui leur serait particulière mixée à un sentiment de persécution dont ils auraient été les seuls à faire l’objet de la part de l’autorité centrale/makhzen. Si dans leur écrasante majorité les populations de la région ne remettent pas en cause leur marocanité, nombre de Rifains portent en eux le germe indépendantiste et dans les cas soft un fort penchant pour l’autonomie. J’ai encore en mémoire un jeune houceimi, aujourd’hui figure politique nationale, déclarant, au début des années 2000 au quotidien espagnol El Pais que « les Rifains étaient les Basques du Maroc ». La défiance constante d’une bonne partie des Rifains à l’égard du pouvoir central trouve ses raisons dans la révolte de 1958 et son écrasement brutal par les autorités, mais aussi dans le fait historique que le Maroc précolonial, pour ne pas dire archaïque, se présentait en une sorte de fédération non déclarée de tribus. La guerre du Rif (1921 – 1926) que dirigea Mohamed Ben Abdelkrim El Khattabi et sa proclamation d’une république éphémère dans ce qu’était alors un protectorat espagnol, a consolidé ce sentiment et énormément nourri l’imaginaire rifain qui a vu et voit toujours dans ses victoires contre les Espagnols et dans sa défaite qui n’aurait été possible que par l’intervention militaire française un acte inégalé dans l’histoire du Maroc.

L’image de l’Amghar en chef s’en est trouvée si sublimée qu’essayer d’y voir un peu plus clair est assimilé à un sacrilège. Nul ne peut minorer le rôle de Ben Abdelkrim, ni l’occulter comme il en a été fait pour son coreligionnaire Mohamed Abdallah El Raissouni. Pourtant, il faut bien dire que l’armée espagnole que lui et ses hommes ont battue à Anoual en 1921 est celle d’une Espagne qui n’a rien à avoir avec celle d’aujourd’hui. Sans doute comptait-elle 60 mille hommes. Mais à la fin du 19ème siècle début 20ème, période à laquelle elle a hérité par la volonté des puissances de l’époque du sud puis du nord du Maroc, l’Espagne n’est plus que l’ombre d’elle-même. Avec, un peu auparavant, la perte de ses colonies en Amérique, ce grand pays de la Péninsule ibérique souffrait d’un système agricole sous-développé, féodal et latifundiaire. Empêtrée dans ses problèmes, elle a vu le train de la révolution industrielle passer et son armée ne pouvait qu’être à l’image de ces retards. Son recours aux armes chimiques et son appel au secours à la France font la démonstration de ce délabrement qui allait aboutir à la guerre civile (1936-1939). Autre fait à rétablir pour comprendre un tant soit peu les ressorts socio-psychologiques d’un certain esprit rifain, la proclamation de la république par Ben Abdelkrim. C’est un fait avéré, cependant le chef de la résistance rifaine avait ordonné pour que la prière continue à se faire au nom du sultan Moulay Youssef. Ce qui laisse entrevoir que le projet n’était pas, pour le moins, précis dans son esprit. Ce qui précède n’enlève rien à la figure emblématique de Ben Abdelkrim El Khattabi ni à l’épopée glorieuse de sa résistance armée. En même temps elles ne doivent pas faire oublier la résistance farouche des guerriers du Moyen et du Haut Atlas qui ont subi dans leur chair une guerre de « pacification » sans pitié. Elle a duré non pas 5 ans, mais 22 ans (1912 -1934). De celle-ci on en parle si peu, allez savoir pourquoi. Ce qui est sûr, c’est que l’histoire du Maroc reste à écrire loin des passions et de vagues réminiscences.

 

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