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Broyé par la hogra, Mohcine Fikri devient le symbole du combat contre l’abus de pouvoir
A Rabat, Casablanca, Marrakech, Al Hoceima, Tanger, des citoyens sont sortis pour battre le pavé et scander leur rejet de la hogra dont a été victime Mohcine
C’est un long week-end de colère que les Marocains ont vécu. Depuis la tragique soirée de vendredi 28 octobre, les cris contre « la hogra » et les appels pour que cessent l’injustice et l’impunité ont résonné dans une dizaine de ville à travers le pays. Mohcine Fikri, ce jeune marchand de gros de poissons mort broyé dans un camion benne à ordures à Al Hoceima est devenu le symbole de la hogra –le mot est intraduisible en français et signifie l’injustice mêlée de mépris et de la lutte contre l’abus de pouvoir.
Tout a commencé à Al Hoceima. Mohcine Fikri est arrêté à la sortie du port avec 500 kg d’espadon, interdit de pêche. Les autorités locales saisissent la marchandise avant de la détruire dans le camion-benne. Le jeune poissonnier ainsi que deux hommes montent dans le camion- benne et Mohcine tente de récupérer sa marchandise saisie. Le système de broyage démarre soudainement. Les deux hommes parviennent à sauter hors du camion. Pas Mohcine Fikri qui meurt sur le coup broyé sous les cris d’une foule sous le choc. Il avait 31 ans. Des téléphones portables filment la scène effroyable. L’image du jeune Fikri broyé fait le tour des réseaux sociaux.
Al Hoceima s’enflamme immédiatement. Les premières manifestations commencent dans la soirée de ce vendredi noir. Dans la ville, la rumeur enfle. Révulsé par autant d’injustice, Mohcine Fikri se serait suicidé en se jetant dans le camion-benne. Un ordre aurait été donné pour que soit actionné le compresseur du camion alors que le jeune poissonnier se trouvait à l’intérieur. Les questions se bousculent. Qui a ordonné la saisie de la marchandise interdite ? La procédure a-t-elle été respectée dans la destruction des 500 kgs d’espadon, poisson interdit à la pêche ? Pour quelle raison une telle destruction a-t-elle été faite en public ? Les premières réponses tombent samedi alors que l’indignation et la colère des citoyens n’en finissent pas de monter dans de nombreuses villes marocaines. Une première dépêche de l’agence officielle Maghreb Arabe Presse, les autorités locales affirment que la destruction avait été ordonnée par le parquet général et qu’une enquête est ouverte pour déterminer les causes précises du décès de Mohcine Fikri. Les premières têtes tombent. Le délégué provincial de la pêche maritime est suspendu. Ce qui n’empêche pas la colère de continuer de monter. Sur la Toile, les appels à manifester se multiplient. Les hashtags de solidarité et de condamnation se répandent : « #JesuisMohcine Fikri », « #thanemou », « #broyéparlahogra ». Dans la soirée de samedi, des appels à manifester dimanche 30 octobre sont postés sur facebook. Abdalilah Benkirane, le chef de gouvernement et patron des islamistes en profite pour enfin sortir de son silence en appelant ses ouailles du PJD à ne pas se joindre aux manifestations. L’on apprendra par Benkirane himself que le père de Mohcine est un membre fondateur du PJD…
A Rabat, Casablanca, Marrakech, Al Hoceima, Tanger, des citoyens sont sortis pour battre le pavé et scander leur rejet de la hogra dont a été victime Mohcine. A Rabat, dimanche en fin d’après-midi, ils ont été plusieurs milliers de personnes- dont une majorité de jeunes issus du 20 février et du mouvement amazigh- à marcher du Parlement jusqu’aux abords du ministère de la justice en solidarité avec ce natif d’Al Hoceima mort broyé dans une benne. « Non à la hogra », « non à l'impunité », « nous sommes tous Mohcine » sont quelques-uns des slogans scandés au cours de cette marche qui a vu un déploiement très discret des forces de l'ordre.
En déplacement à l’étranger, le Souverain qui vient d’achever deux visites officielles au Rwanda et en Tanzanie, suit de très près le décès tragique du marchand de gros de poissons. Dimanche matin, Mohamed Hassad et Cherki Draiss, le tandem qui préside aux destinées du ministère de l’intérieur, sont dépêchés à Al Hoceima par le Roi. Au domicile de la famille du défunt et quelques heures seulement avant les obsèques, les deux responsables gouvernementaux ont présenté « les condoléances et la compassion du souverain à la famille du défunt Mouhcine Fikri». « Des instructions royales ont été données pour qu’une enquête minutieuse et approfondie soit diligentée et pour que des poursuites soient engagées contre quiconque dont la responsabilité serait établie dans cet incident, avec une application rigoureuse de la loi à tous, pour servir d’exemple à toute personne qui aurait failli ou manqué à ses missions et responsabilités ». Les parents du jeune Mohcine vont l’apprendre de la bouche même de Mohamed Hassad. Les télévisions publiques diffusent la déclaration du ministre de l’intérieur faite au nom du chef de l’Etat. Dans leurs JT du soir, Al Oula et 2M consacrent un reportage aux obsèques du marchand de poisson inhumé dans l’après-midi de ce dimanche à Imzouren, à une trentaine de kilomètres d’Al Hoceima. C’est un long cortège qui a marché pendant des heures pour accompagner le défunt jusqu’à sa dernière demeure.
Ce lundi, nos confrères de « Medias 24 » annoncent les premières gardes à vue dans cette tragédie. Des fusibles qui sautent et des lampistes qui paient ? La lutte contre la hogra ne fait que commencer…