Enseignement : La question des langues encore et toujours - Par Bilal TALIDI

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Le PNEA 2019, basé sur les résultats des élèves de la 6ème année primaire et 3ème année secondaire collégiale, fait état de la faiblesse globale des acquis

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Dialogue social : Face aux fuites, parler vrai et dissiper les ambiguïtés -  Par Bilal TALIDI

Dans son exposé devant la Commission de l’enseignement, de la culture et de la communication à la Chambre des représentants, au titre du PLF 2023, le ministre de l’Education nationale Chakib Benmoussa s’est attardé sur les indicateurs tirés de diagnostics nationaux du secteur. Il a en même temps livré le plan d’action que son Département compte mettre en œuvre pour remédier aux carences révélées par ces indicateurs pétrifiants.

S’appuyant sur les résultats du Programme national d’évaluation des acquis des élèves (PNEA 2019), le ministre a présenté sa lecture de la situation critique du système pédagogique et exploité les données du contexte socio-éducatif et des facteurs à la source des conclusions du diagnostic. Il a notamment mis l’accent sur ceux en lien avec le milieu socio-pédagogique, l’environnement scolaire, la pratique pédagogique et les normes qui président à la performance scolaire. Il a par la suite décliné son plan d’action (douze engagements préfère-t-il) articulé autour de mesures portant sur l’amélioration de l’offre au niveau des infrastructures, l’élargissement du contenu numérique, le soutien de la formation des enseignants, le renforcement de la sécurité en milieu scolaire, la lutte contre la violence, la consolidation des mécanismes de contrôle pédagogique et l’immunisation du temps scolaire. En d’autres termes les mêmes engagements qui reviennent régulièrement dans les offres des gouvernements successifs, sans impact effectif sur l’action pédagogique et sans répondre à la question lancinante de l’amélioration de la qualité de l’offre éducative et son corolaire, l’équité territoriale.

Des disparités et des écarts

Le PNEA 2019, basé sur les résultats des élèves de la 6ème année primaire et 3ème année du collège, fait état de la faiblesse globale des acquis, indiquant qu’une partie très importante des apprenants n’a pas réussi à assimiler le programme officiel.  Ils n’ont pas pu, non plus, acquérir les habilités et compétences correspondant à leur niveau d’étude. Le diagnostic a également établi des disparités territoriales criantes entre les résultats des élèves des milieux urbains et leurs camarades ruraux, entre l’enseignement privé et public, de même qu’en termes de genre, des écarts flagrants ont été révélés.

Il n’est pas nécessaire de revenir sur l’ensemble des dimensions de ce diagnostic, mais il est important de s’arrêter sur deux indicateurs édifiants : la maîtrise des langues et l’apprentissage des matières scientifiques. Le rapport dialectique entre ces deux paramètres renseigne, en effet, sur les options mises en œuvre dans l’engineering linguistique et son aptitude à favoriser l’apprentissage ultérieur dans les domaines scientifiques, au niveau du collège et de l’enseignement supérieur.

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Le PNEA 2019 fait ressortir que seulement 12% des élèves de la 6ème année primaire ont complètement assimilé l’ensemble du programme en langue française, alors qu’à peine 11% des élèves de la 3ème année secondaire ont assimilé 91% du programme.

L’indicateur de la maîtrise des mathématiques est, en dépit de sa faiblesse, mieux loti que celui de la langue française, sachant que cet indicateur ne révèle pas au niveau du primaire de disparité significative en termes de territoires (urbain et rural), de genre (garçons et filles) ou de type d’enseignement (public et privé). Si bien qu’au registre des mathématiques, force est de constater que ces disparités sont beaucoup moins prononcées que celles enregistrées dans l’apprentissage de la langue française. Au total, 27% des élèves de la 6ème année primaire ont assimilé 88% du programme en mathématique, contre 12% seulement qui ont assimilé 85% du programme de la langue française.

L’inutilité de la langue française

Les autres matières scientifiques confirment cette tendance. Le taux d’acquisition se présente nettement mieux par rapport au programme de la langue française, avec 33% des élèves maîtrisant plus de 84% du programme, les disparités étant minimes ou quasi-nulles entre les milieux urbain et rural, le genre et le type d’enseignement.

Au niveau du collège, 24% des élèves ont assimilé 55% du programme, avec des disparités territoriales et quelques disparités minimes au niveau du genre et du type d’enseignement.

La discipline Physique-chimie corrobore les résultats de la maîtrise des mathématiques, quoique des disparités minimes émergent en termes de déclinaison territoriale et du genre, contre des différences criantes en termes de type d’enseignement où le privé prend nettement le dessus sur le public.

Les données de ce diagnostic précis, dont le ministre a évoqué seulement celles en rapport avec la maîtrise des mathématiques et des langues arabe et française, interpellent à plusieurs titres. Le plus important ne consiste pas seulement à interpréter ces données pour en dégager une politique à venir, mais d’aller bien au-delà en vue de revoir les fondements d’une ingénierie linguistique qui, si elle n’est pas correctement corrigée, risque d’aggraver la crise. 

Et l’arabe, vaut-il mieux ?

Le PNEA 2019 a clairement identifié les contours d’une crise générale en matière de compétences des matières d’enseignement, en mettant l’accent singulièrement sur la lacune béante dans la maîtrise de la langue française et des mathématiques.

En clair, la corrélation des deux matières met sur la table le problème de l’apprentissage des mathématiques en langue française dans l’enseignement collégial. N’est-il pas en effet déraisonnable d’exiger d’un enfant déjà handicapé par la langue, faute de maîtrise du français, de combler ses lacunes en mathématiques, tout en lui imposant le handicap supplémentaire d’apprendre cette matière en français ?! Une langue dont on a que trop souligné sa faible maitrise par les élèves marocains, sans aller à évoquer l’avenir à l’international de cette langue dont le nombre de locuteurs peine à atteindre les 280 millions, avec des chiffres surfaits, comme celui de considérer un élève marocain actuel parmi ses locuteurs !

Les données du diagnostic révèlent que l’apprentissage en langue française traîne, au primaire comme au collège, une série de lacunes (compétences non acquises, disparités multiformes en termes de territoires, de régions, de genre et de types d’enseignement,..), au moment où ces disparités s’amenuisent dans l’apprentissage des mathématiques et des autres matières scientifiques, dites dures. Ce qui autorise de constater que l’enseignement des matières scientifiques en français n’aggrave pas seulement la crise de la maîtrise des compétences de ces matières, mais il en exacerbe les disparités à tous les étages du parcours.

Il serait recevable d’objecter à ce raisonnement, en rappelant les indicateurs de la maîtrise de la langue arabe qui affichent le même résultat que la français (seulement 10% des élèves du collégial maîtrisent 90% du programme de la langue arabe). Il y a cependant lieu de tenir compte d’une nuance de taille puisque contrairement au français, 42% des élèves du primaire en langue arabe ont maîtrisé plus de 92% du programme, contre à peine 12% pour la langue française.

Cette objection tombe d’ailleurs d’elle-même, quand on rappelle que les indicateurs du diagnostic révèlent nettement une autre lacune flagrante à tous les compartiments de la maîtrise de la langue française, qui ne varie pas du primaire au collégial (entre 11 et 12%). Il en est autrement des indicateurs de la maîtrise de la langue arabe pour les élèves du primaire et du collège. Ils donnent une maitrise de la langue, à hauteur de 11 et 42%, ce qui renseigne non pas sur la compréhension de la langue en soi mais sur l’inaptitude à en maîtriser les règles grammaticales et les modes d’expression et de composition (le programme du collégial). Sauf que la maîtrise de ces compétences n’affecte pas grandement leur usage usuel dans l’apprentissage des matières scientifiques, du fait que ces dernières ne requièrent pas forcément des compétences linguistiques très élaborées en langue arabe. En revanche, le diagnostic pointe un manque flagrant en langue française, le programme d’évaluation faisant clairement observer que les élèves ne connaissent de la langue française que l’alphabet latin qu’ils utilisent massivement sur les réseaux sociaux pour échanger en arabe dialectal.

La langue d’apprentissage, toujours d’actualité

Et s’il est nécessaire d’exploiter à bon escient les résultats du PNEA 2019, il ne faudrait pas néanmoins tenir compte d’une certaine obsolescence dans le sillage de la pandémie du Covid-19 qui a approfondi la crise du système éducatif, révélant bien d’autres aspects de ses insuffisances. L’épreuve de deux années de Covid-19 ayant dicté un enseignement à distance, sans disposer des moindres moyens d’efficience, sans parler des disparités territoriales, a porté à l’ordre du jour le débat sur les questions brûlantes de l’ingénierie linguistique et informatique.

Certes il est toujours indispensable de sonder les sources multiformes à l’origine de cette crise catastrophique de l’enseignement, mais il importe de préciser que la non-maîtrise des langues ne fera qu’aggraver la situation davantage. Nul ne serait myope au point de livrer, à courte ou à moyenne échéance, l’enseignement des matières scientifiques à une langue dont l’apprentissage est au plus bas de l’échelle du primaire comme du collégial. L’option la plus plausible serait de travailler en amont sur le chantier d’une politique linguistique d’abord, de la maîtrise des langues ensuite et d’une ingénierie linguistique où, au collège comme au second cycle, le choix de la langue serait un élément déterminant dans l’enseignement ultérieur des matières scientifiques.

 

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