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GHALIGATE, OU LE MAKING-OF D’UN DENI DE JUSTICE – PAR MOHAMED AUJJAR, KHALIHENNA OULD ERRACHID, AHMED HERZENNI
Le juge espagnol d'instruction espagnol Santiago Pedraz Gomez face au dilemme Ghali
Cette tribune, signé de Mohamed Aujjar (ancien ministre des Droits de l’homme), Khalihenna Ould Errachid (président du Conseil Royal Consultatif des Affaires Sahariennes) et Ahmed Herzenni (ancien président du Conseil Consultatif des Droits de l’homme), publié dans le journal espagnol La Razon, remet les pendules à l’heure. Dans cette tribune, les auteurs décryptent le comportement de l’exécutif espagnol à travers une justice espagnole qu’ils invitent à faire la preuve de son indépendance et de son impartialité
La comparaison entre le traitement réservé en 2011 par la justice américaine à l’ex-président du Fonds Monétaire International, ou encore par la justice britannique en 1998 à l’ancien président chilien Augusto Pinochet, laisse apparaitre un décalage abyssal avec le confort seigneurial concédé par le juge espagnol à Brahim Ghali.
Alors même qu’il est accusé non pas d’un mais de deux viols, de détention arbitraire, de torture, de terrorisme et de crimes contre l’humanité, par des ressortissants espagnols et des associations et familles de victimes, Ghali est à peine "invité" à se présenter devant le juge « si son état de santé le permet ». Et pour ne pas déranger sa quiétude le moins du monde, c’est par vidéoconférence qu’il pourra faire sa déclaration au juge, depuis le confort de sa suite VIP à l’hôpital de Logroño, où il est arrivé depuis l’Algérie en Jet privé et sous bonne escorte.
Que faut-il penser de ce nouvel élan de mansuétude ? Que l’Espagne accueillante veille au confort de Ghali jusqu’aux moindres détails, ou qu’elle ignore ses victimes jusqu’à leurs droits les plus élémentaires ? Faut-il croire vraiment que le refus du juge de prescrire des mesures restrictives de liberté était justifié, lorsqu’on sait que Ghali a à sa disposition jet privé, passeport diplomatique et faussaires d’identités, sans parler des fonds déplafonnés et des complicités jusque dans l’Etat espagnol même ?
Faut-il croire vraiment que Ghali ne chercherait pas à se soustraire à la justice alors que pèsent sur lui des charges des plus lourdes, si seulement la justice daignait ne pas être aveugle à son cas ? Ou faut-il comprendre que le juge a besoin de si peu – d’un simple simili de procédure – pour formellement clore une affaire qu’on a déjà enterrée avant même d’ouvrir ? Une affaire d’ailleurs qu’on avait déjà tenté de clore par un bien pratique "non-lieu", si ce n’est la persévérance des victimes ?
L’on ne peut ne pas être troublé par ces questionnements. L’on ne peut pas ne pas constater que l’affaire de Brahim Ghali, qui balance entre affaire d’Etat et affaire d’opinion publique, est vécue par les principaux intéressés avec une nonchalance loquace. Comme si Ghali se savait protégé ? Comme s’il était confiant que ses protecteurs feront ce qu’il faut pour éconduire ses victimes et étouffer leurs plaintes, simplement en les ignorant ou en déclarant une mort clinique du dossier. Mort par irrecevabilité !
Tout porte à voir, en tout cas, que Ghali est entouré d’une bienveillance telle que le juge n’ose même pas le convoquer en personne, et se contente de lui envoyer une invitation – un "faire-part" presque – pour une entrevue par vidéoconférence ! N’importe quel justiciable à sa place serait à cet instant écroué, avec un dispositif de sécurité à la mesure des moyens de fuite à sa disposition. C’est ce type de discrimination, savant et argumenté, qui avait inspiré à Jean de La Fontaine son aphorisme cinglant : « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir ».
Quelle plus grande preuve de connivence, que de laisser au prévenu le loisir de se conformer, à son aise, à l’impératif auquel la justice est en droit et en capacité de l’astreindre.
Qu’en disent les victimes ? Y a-t-on seulement pensé ? Elles doivent certainement penser que c’est bien le monde à l’envers : lorsqu’elles caressent enfin la perspective palpable de voir leur bourreau s’expliquer devant la justice, c’est bien cette même justice qui les empêche d’obtenir leur droit !
L’indulgence dont fait montre la justice espagnole, à travers ses petits arrangements avec les précieuseries de Brahim Ghali, trahit un véritable renversement de valeurs. Alors même que les victimes ont consacré toutes leurs énergies et ressources pour porter à la connaissance de la justice les actes illégaux et répréhensibles dont ils ont été l’objet, la Justice, elle, n’utilise pas les moyens pourtant à sa disposition pour assurer, comme il se doit, le respect de la légalité dont elle est gardienne.
Qu’elle s’astreigne de ne pas agir, ou qu’elle se résolve à faire semblant de réagir sans le faire vraiment, revient strictement au même : un déni de justice, purement et simplement.
Ce qui est profondément troublant dans la telenovela qui défile devant nos yeux ébahis par le fossé entre une justice espagnole que nous respectons et ses comportements que nous réprouvons, c’est non seulement la facilité avec laquelle Brahim Ghali est ménagé et ses victimes ignorées, mais aussi et surtout l’auto-sabotage auquel se prête l’appareil judiciaire, qui semble fragiliser son propre dossier.
L’audition de Ghali par vidéoconférence ne va-t-elle pas à l’encontre de la propre position de la Cour Constitutionnelle espagnole, qui tient à « l’examen personnel et direct des personnes comparues, ce qui implique la coïncidence temporelle et spatiale de la personne prêtant déclaration, et de celle devant laquelle celle-ci déclare ».
Il ne faut pas beaucoup de scepticisme pour douter sérieusement qu’une simple vidéoconférence puisse donner lieu à l’engagement d’un procès dans le cas Ghali. C’est de la poudre aux yeux, pour cacher que ce qui se prépare est non pas la traduction en justice de Ghali, mais tout le contraire : son blanchiment judiciaire et son exfiltration légale.
Il est une chose de clamer l’indépendance de la justice, et une autre de démontrer son impartialité. Par sa gravité, son ampleur, sa symbolique et ses victimes, l’affaire Ghali est l’occasion qui ne se représentera plus à la justice espagnole pour prouver son indépendance et son impartialité.
Quand l’indulgence devient permissivité et quand tolérer revient à ne pas juger, l’on assiste à un assassinat extra-judiciaire des droits et des souffrances des victimes.
Les victimes n’y trouveront même pas de sens pour s’en consoler. Ghali reviendrait dans la clandestinité dans laquelle il s’était réfugié depuis qu’il a dû quitter l’Espagne pour fuir ses responsabilités pénales voici maintenant 13 ans. Sauf qu’aujourd’hui, il regagnerait sa clandestinité criminelle par le chemin d’une clandestinité juridique qui tente de se mettre en place en se croyant hors des regards.
Mais, en fait, l’on ne regarde qu’elle ; cette justice si prude. Les aménagements concédés à Ghali ne tiendront que par la volonté des protecteurs de Ghali, et ne dureront que le temps que l’impartialité de la justice, la vraie, reprenne ses droits. Car, l’appareil judiciaire qui tolère, peut à tout moment mettre fin à cettemansuétude infamante qui laisse prospérer des crimes odieux et permet à leur auteur de prospérer à la marge du droit.
L’indulgence n’est que le bénéfice précaire d’un silence complice.