Le hooliganisme ou l’esprit d’une génération - Par Bilal TALIDI

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Abdelouafi Laftit, ministre de l’Intérieur, et Abdellatif Hammouchi, directeur général de la DGSN/DGST : Plusieurs établissements de socialisation ont été créés. Un grand investissement a été fait dans la construction des terrains de proximité, l’encouragement de concours de talents artistiques aux plans national, arabe et international. Beaucoup d’argent a été mis dans l’organisation des festivals culturels et artistiques, la finalité étant de protéger les jeunes des sirènes de l’extrémisme. Pr

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70 personnes, dont 18 mineurs, ont été déférées devant le juge d'instruction près la Cour d'appel de Rabat, suite aux actes de vandalisme qui ont suivi le match AS FAR-Maghreb de Fès, disputé dimanche dernier au Complexe sportif Prince Moulay Abdellah.

Elles sont poursuivies pour constitution d'une bande criminelle, dégradation d'un bien destiné à l'utilité publique, tentative de viol, vol qualifié et outrage à des fonctionnaires publics. Dans cet article, Bilal Talidi, chroniqueur mais aussi enseignant, donne sa lecture de ces condamnables faits, remet en cause la politique d’endiguement suivie jusqu’ici et prône un retour, que d’aucuns jugeront rétrograde, aux valeurs de la discipline mêlant pédagogie et coercition.  

Les derniers actes de violences survenus au Complexe sportif Moulay Abdellah à Rabat, impliquant des supporters de l’AS FAR et du MAS de Fès n’interpellent pas uniquement sur les déterminants de ce trop-plein de violence et de ses mobiles. Ils exigent également l’évaluation des approches précédentes d’appréhension de ce phénomène.

Quelques adeptes des analyses psychologisantes n’ont pas tardé à fournir des prétextes, arguant que les jeunes ont subi, tout au long de la pandémie, des traumatismes impalpables et que la réouverture des stades leur a servi d’exutoire pour riposter au ‘’syndrome posttraumatique’’ et aux frustrations refoulées par une de contre-violence dont les forces de l’ordre, prises à partie, seraient devenues le déversoir !

Un défi politique majeur

Considérons deux chiffres à la fois importants et effrayants. Le premier indique que 85 éléments des forces de l’ordre ont été blessés dans ces incidents. Le second fait état de la présence de 90 mineurs dans les 160 supporters interpelés.

La première donnée fait ressortir que l’institution sécuritaire est devenue, dans la représentation des fauteurs de ces troubles, dépourvue d’autorité inspirant le respect et la crainte, et ne serait plus perçue comme un corps chargé d’assurer le bon déroulement d’un match. Dans cette représentation, l’institution se transforme objet de vengeance, quand bien même elle n’a été pour rien dans la victoire d’un club ni dans la défaite d’un autre.

La deuxième donnée, d’une extrême gravité, révèle une faillite des valeurs tout aussi gravissime dont on ne saurait dispenser l’Ecole, la famille ainsi que l’ensemble des institutions de socialisation.

La première donnée pose un défi politique majeur. 

Jusque-là, les enquêtes d’opinion arabes et internationales relatives aux indicateurs de confiance dans le monde arabe ont constamment relevé un paradoxe significatif. Au moment où les indicateurs de confiance dans les institutions gouvernementales, le Parlement et les partis politiques au pouvoir ou dans l’opposition battaient de l’aile, l’institution sécuritaire et militaire restait gratifiée d’un taux élevé de confiance. L’explication en est que celle-ci, aux côtés des institutions dotées de légitimité, constituent des piliers fondamentaux de la stabilité, de la sécurité et de la paix sociale.

A ce stade, ces tendances de l’opinion publique n’ont pas encore dangereusement varié, du moment que ces institutions continuent, du moins dans les pays stables, d’avoir la même stature. Cependant, la résurgence de ce genre de phénomènes suscitent des appréhensions quant à la fragilité de cette confiance en rapport avec les jeunes générations qui, en s’en prenant avec autant de violence aux forces de l’ordre, risquent d’en ébranler les assises et de modifier la stabilité des tendances d’opinion du public à leur égard.

La deuxième donnée, relative aux caractéristiques des hooligans, fait ressortir une pléthore de diagnostics classique invoquant pêle-mêle la régression du rôle de l’éducation, le déclin des institutions de socialisation ou encore la faillite du système pédagogique. Il importe de noter, ici, que ce diagnostic ne propose, malgré sa pertinence, aucune solution, hormis le ressassement des mêmes litanies sur la réhabilitation du rôle de la famille dans le processus de l’éducation, la place centrale de l’Ecole dans toute entreprise de développement, et la réforme du système pédagogique. Or, la famille (père et mère) est elle-même dans l’impuissance, au bord de la démission, face aux problèmes et aux attentes de sa progéniture. La même observation peut-être portée sur l’institution scolaire, qui, aux prises avec la mentalité et la psychologie de la jeunesse dont elle a la charge, se plaint des autorités de tutelle qui lui ont retiré un des puissants outils de coercition et de discipline (les sanctions disciplinaires), favorisant, le mot n’est pas fort, l’ensauvagement de toute une génération.

Avec les événements du 16 mai, la stratégie de lutte contre le terrorisme a imposé la vision dite : «Garder les élèves en classe !». Cette orientation a dicté la production d’un nombre de circulaires pédagogiques annihilant les sanctions disciplinaires telle interdiction de l’exclusion des élèves, définitive ou partielle, voire de faire sortir momentanément les chahuteurs de classes. Les sanctions alternatives ayant supplanté les sanctions disciplinaires, l’institution scolaire s’est retrouvée, en raison de l’inapplicabilité des sanctions alternatives et de leur irréalisme, démunie de tout outil d’intervention disciplinaire. 

16 mai 2003, les limites d’une approche 

Sur cette lancée, même le coefficient des notes des contrôles continus s’est vu substitué les examens régionaux et nationaux. Il en a résulté chez les élèves, depuis 2003, le sentiment d’avoir été affranchis de toute autorité éducatrice. Ainsi livrés à la vacuité, ils en sont arrivés à se croire au-dessus de toute autorité, qu’il s’agisse de la famille dont ils font désormais peu de cas, ou de l’institution scolaire à son tour désarmée.

Les événements du 16 mai ont fait croire que la nouvelle génération avait besoin d’exprimer ses talents, de libérer son potentiel, de s’épanouir et de voir s’ouvrir ses perspectives culturelles. Plusieurs établissements de socialisation ont été créés. Un grand investissement a été fait dans la construction des terrains de proximité, l’encouragement de concours de talents artistiques aux plans national, arabe et international. Beaucoup d’argent a été mis dans l’organisation des festivals culturels et artistiques, la finalité étant de protéger les jeunes des sirènes de l’extrémisme.

Près de 20 ans après, cette stratégie a besoin d’une réévaluation sans complaisance. Non pas uniquement au vu de sa capacité à juguler la radicalisation des jeunes, mais aussi au regard de sa contribution à promouvoir le sens d’appropriation respectueuse de l’espace public, l’observance des lois et le respect des institutions, la préservation de la sécurité du pays, et la participation aux différentes actions caritatives et de volontariat tournées vers l’amélioration des indicateurs du développement humain en termes, entre autres, d’éducation et de santé.

Les événements survenus au Complexe Moulay Abdellah ne sont pas des actes isolés ou contingents. Ils sont à la fois des indicateurs parlants sur les limites de l’orientation précitée, et l’expression de l’état débridé d’une génération tout entière, qui échappe à la supervision et à l’encadrement des institutions de socialisation. Seulement parce que ces institutions, pour la plupart compétentes, ont été dépouillées de leurs attributions et privées d’un important outil de coercition pédagogique.

Il importe aujourd’hui, alors que défis du terrorisme sont en régression, que l’institution scolaire opère un retour à la normale afin d’accomplir sa mission de manière équilibrée, en actionnant concomitamment la dimension pédagogique et la dimension coercitive. Aussi est-il important de restituer au contrôle continu son coefficient de base (pour rendre son autorité au professeur !) et de procéder à une refonte profonde du système des examens de telle sorte à rompre avec le phénomène des fraudes.

Ces éléments de réponse peuvent paraître loin de constituer une solution à ce phénomène. Mais, sur le fond, aucune alternative n’est disponible en dehors de la consolidation des piliers de l’institution pédagogique. Car, en définitive, c’est en s’entrainant à la discipline et à la bonne tenue entre les murs d’une classe que l’on intègre mieux les notions de l’ordre et de la positivité ailleurs. Pour certains, cela apparaitra rétrograde, mais c’est en réapprenant, en les inculquant, les vertus de la discipline que l’on créera une nouvelle génération respectueuse des institutions et attentive à l’estime dû aux appareils sécuritaires qui, eux, en retour, assument leur rôle dans la protection et la sécurisation de la société. 

 

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