Le mini-sommet de Tunis : deux présidents en campagne électorale et un ‘’intrus’’ – Par Bilal Talidi

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Une photo fournie par le service de presse de la présidence tunisienne montre le président Kais Saied (C) accueillant un mini-sommet maghrébin aux côtés du président algérien Abdelmadjid Tebboune (G) et du président du Conseil présidentiel libyen basé à Tripoli, Mohamed al-Menfi, à Tunis, le 22 avril 2024. (Photo de la Présidence tunisienne / AFP)

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Autour du président tunisien Kaïs Saïed, le président algérien Abdelmadjid Tebboune, et le président du conseil présidentiel libyen, ont tenu lundi à Tunis ce qu’ils appellent leur première réunion consultative, annoncée en marge du septième sommet du gaz tenu en Algérie. Ils avaient alors convenu de tenir des réunions tous les trois mois. 

Comme l'avait annoncé le président algérien lors d'une interview avec la télévision nationale, il est question de créer une organisation régionale en Afrique du Nord, semblable aux organisations de l'Afrique de l'Ouest et de l'Est. Pour les trois responsables, il s’agit de discuter de la situation dans la région du Maghreb et de la nécessité de renforcer et d'unifier les efforts pour faire face aux défis économiques et sécuritaires.

Les trois dirigeants ont dû adopter des décisions minimales, convenant de former « des équipes communes (...) qui seront chargées de sécuriser les frontières communes (des trois pays) contre les dangers et les impacts de l'immigration non organisée », d’« unir les positions et le discours » dans leur traitement de ce sujet avec les autres pays « frères et amis concernés par ce phénomène ».

Au-delà de la généralité de la déclaration commune, rien n'indique sérieusement que l’option algérienne d’une structure alternative à l’UMA ait été retenue. La Libye a, à plusieurs reprises, particulièrement à la veille de cette réunion, assuré qu’elle n'était pas intéressée par la formation de tout bloc régional maghrébin dans la région qui tendrait à isoler le Maroc. La Mauritanie, sur laquelle l'Algérie comptait pour être un membre clé de la structure politique régionale prônée par Alger, n'a pas participé à la première réunion et a préféré rester à l'écart de toute initiative qui pourrait être interprétée comme une implication dans les tentatives d’isolement du Maroc de son environnement régional et maghrébin.

Le communiqué de la présidence algérienne, qui commentait la décision de la Mauritanie, a tenté de minimiser la position de refus mauritanienne, et a mentionné un appel téléphonique entre les présidents algérien et mauritanien, où il a été expliqué que la réunion tripartite s'était occupée de « questions actuelles de nature africaine ».

En réalité, cette initiative n’est pas une nouvelle idée pour la diplomatie algérienne, présentée dans le contexte de la réponse au dynamisme diplomatique que Rabat a réalisé ces dernières années. L'Algérie avait déjà appelé à un « Maghreb arabe sans le Maroc », mais n'a pas réussi à convaincre les parties concernées de l’utilité réelle de sa tentative. En revanche, Rabat a pu séduire un certain nombre de pays africains par l'initiative atlantique, tandis que l’on assistait de l’autre côté à l’émergence de sérieux différends entre l'Algérie et le Niger, puis entre l'Algérie et le Mali, tandis que le Tchad rejoignait également l'initiative. La Mauritanie, toujours soucieuse de préserver un équilibre délicat et souvent précaire, s’est engagée dans un dialogue approfondi avec Rabat, qui se poursuit, sur cette initiative, notamment après l'entrée en scène de puissances internationales pour convaincre Nouakchott de se joindre à l’initiative.

Il est clair que les interventions récurrentes du président Abdelmadjid Tebboune sur la formation d'un bloc régional en Afrique du Nord s'inscrivent dans le contexte du lancement de sa campagne présidentielle avancée au 7 septembre prochain. Le sujet de la confrontation avec le Maroc et la preuve de la supériorité diplomatique de l'Algérie sur celui-ci représente l'un des sujets électoraux importants et décisifs qu'il utilise pour prouver son éligibilité et sa compétence à se présenter à la présidence, en particulier vis-à-vis des élites sécuritaires et militaires qui n'ont pas encore vraisemblablement décidé de soutenir sa candidature. Lui-même d’ailleurs ne s’est pas encore résolu à se déclarer officiellement pour un second mandat.

L'évaluation de l'initiative du président algérien Abdelmadjid, d’un point de vue diplomatique, est difficile à évaluer car ses conditions ne se sont pas encore concrétisées. Il n'y a pas de clarté à ce sujet pour les parties concernées. La seule partie qui a annoncé son contenu et ses objectifs est l'Algérie, tandis qu'aucune déclaration n'a été faite par Tunis et Tripoli pour mieux préciser leurs pensées et leurs attentes. La réunion de Tunis, que même un site réputé très proche du pouvoir, TSA, a qualifiée de ‘mini sommet maghrébin’, se réduit à un round d’échauffement. Que la Mauritanie n’ait pas adhéré à l’opération a certainement limité ses ambitions.

Géostratégiquement, la création de cette structure qui n’a pas encore eu lieu, ses deux partenaires étant fortement lestés intérieurement, indique la volonté d’une expansion de l'Algérie vers l'est à la recherche d'une solution pour gérer son isolement dans le sud, après être entrée en tensions déclarées et d'autres silencieuses avec les pays du Sahel au sud du Sahara (Niger, Mali), ne réussissant pas non plus à attirer la prudente Mauritanie dans son conflit avec Rabat.

Stratégiquement, tant la Tunisie que la Libye souffrent de crises de différents niveaux, qui soulignent toutes une stabilité politique fragile. La Tunisie souffre d'un régime autoritaire qui a perdu la capacité de dialoguer avec la communauté internationale et avec les élites locales, et souffre d'une crise économique asphyxiante, aggravée par l'absence d'accords avec le Fonds monétaire international. Les relations de l'Algérie avec la Tunisie ne sont pas non plus stables. Une sourde tension les caractérise sur fond de l'influence croissante des Émirats Arabes Unis en Tunisie, et des relations solides qui se tissent entre Kaïs Saïed et Abou Dhabi.

Pour la Libye, jusqu'à présent, les factions politiques n'ont pas réussi à amener le pays à l'étape finale : l’organisation des élections, la construction des structures politiques et des institutions d'État, et la clôture de la période de transition avec toutes ses implications, en plus de la signification politique que porte la présence de al-Mishri, dont la légitimité et la représentativité sont limitées par les dissensions inter-libyennes.

Néanmoins, la Tunisie pourrait continuer à se rapprocher de l'Algérie au détriment de Rabat car elle a besoin de soutien financier et économique pour sécuriser au président une autre période de légitimité qui s'effrite, mais l'instant électoral est imminent, et toutes les possibilités sont ouvertes, y compris la fin du rôle de Kaïs Saïed ou sa consolidation au pouvoir. Il en va autrement pour la Libye dont les relations avec Rabat sont fortes et prennent différentes dimensions.

Il est difficile d'imaginer que Tripoli puisse faire partie d'une volonté d'affaiblir ou d'isoler le Maroc de son environnement régional. Elle n’y a rien à gagner et tout à perdre. Politiquement, même si l'initiative réussissait, elle ne ferait que formaliser une réalité existante : la consolidation de la stagnation et de l’effritement du Maghreb pour le bonheur des puissances intéressées. Rien de plus.

Depuis que le président tunisien Kaïs Saïed a accueilli la direction du Polisario, sa diplomatie a adopté une politique d'apaisement, tandis que Rabat a procédé par un subtil mélange de colère et de non-escalade, cherchant à circonscrire le problème à travers un mécanisme de correction de la position tunisienne. Quant à la Libye, elle ne peut pas se permettre de risquer dans une vaine tentative d’isolement le Maroc de son environnement ne serait-ce que parce que la plupart des accords qui ont réuni les factions libyennes ont eu lieu soit à Skhirat soit à Bouznika, et l'envoyé des Nations Unies, Abdallah Bathily, a clairement parlé en novembre 2023 du rôle de Rabat pour le rassemblement des représentants des principales institutions libyennes pour préparer la rencontre des dirigeants afin de résoudre les différends en suspens entre les factions. La vérité est que aussi elle n’a aucun intérêt à se retrouver en tête-à-tête avec l’Algérie dont elle connait parfaitement les travers.

Ces trois considérations — diplomatique, stratégique et politique — rendent l'initiative algérienne très limitée et peut-être davantage motivée par des arrière-plans électoraux que par une initiative diplomatique ayant atteint une maturité suffisante face à l'activité et au progrès de la diplomatie de Rabat dans la gestion du conflit régional avec l'Algérie.

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