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Le Sahara marocain face aux nouvelles batailles diplomatiques : Construire une vision d’avenir – Par Adnan Debbarh

Nasser Bourita, minister des affaires étrangères marocain et son homologue russe Sergueï Lavrov - Face aux grandes recompositions géopolitiques, le Maroc doit affirmer une diplomatie d’équilibre, un souverainisme pragmatique, sans alignement servile
Dès la parution de l’article d’Hannah Rae Armstrong, Naïm Kamal a mis le débat en place en revoyant la proposition à ses origines historiques : Alger. Mustapha Sehimi, puis Abdelhamid Jmahri se sont attachés à déconstruire l’article de celle qui se présente comme une ‘’experte’’ de la région. Dans cette chronique, Adnan Debbarh explique pourquoi et comment, face aux recompositions géopolitiques, le Maroc doit dépasser la simple réfutation et structurer une diplomatie proactive pour consolider ses alliances et anticiper les nouvelles dynamiques du pouvoir mondial.
La publication, le 4 mars 2025, d’un article dans Foreign Affairs intitulé "The Case for Partition in Western Sahara" et signé par Hannah Rae Armstrong, remet sur le devant de la scène une vieille proposition : la partition du Sahara marocain. Une idée historiquement rejetée par Rabat, et dont l’origine remonte à 2001, lorsque Abdelaziz Bouteflika avait suggéré à James Baker une division du territoire. Le Maroc s’y était opposé avec fermeté, considérant cette option comme une atteinte à son intégrité territoriale.
Face à ce type de publications, la réaction traditionnelle des analystes marocains consiste à déconstruire méthodiquement les arguments adverses, en dénonçant leurs biais et leurs incohérences. Une démarche nécessaire, mais insuffisante.
L’heure n’est plus uniquement à la réfutation : il faut construire un récit diplomatique anticipant les recompositions de l’ordre international.
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La parution de cet article n’est sans doute pas anodine. Elle intervient alors que l’administration Trump, de retour à la Maison Blanche, redéfinit ses priorités en matière de politique étrangère. Contrairement aux approches diplomatiques classiques, la vision de Trump repose sur une logique transactionnelle : chaque engagement est évalué sous l’angle du rapport de force et du bénéfice immédiat.
Dans ce contexte, un débat pourrait émerger à Washington : le soutien américain au Maroc restera-t-il un acquis stratégique ou sera-t-il soumis à de nouvelles conditions ? Plutôt que de se contenter de défendre ses positions, Rabat devrait anticiper les attentes de cette administration et structurer une offre diplomatique et économique qui consolide son statut d’allié incontournable.
Face aux grandes recompositions géopolitiques, le Maroc doit affirmer une diplomatie d’équilibre, un souverainisme pragmatique, sans alignement servile.
L’Afrique est devenue un théâtre de rivalité sino-américaine, mais Rabat n’a pas vocation à s’enfermer dans un camp. Il doit capitaliser sur son image de partenaire fiable pour Washington, tout en préservant ses relations avec d’autres pôles de puissance. L’objectif est clair : faire reconnaître son rôle comme acteur structurant de la stabilité régionale et interlocuteur privilégié dans les dossiers de sécurité et d’investissement.
Cela passe par un renforcement des relations avec les États-Unis sur plusieurs axes. D’abord, la coopération militaire, en consolidant le rôle du Maroc comme pilier de la stabilité au Sahel. Ensuite, l’économie, où le Royaume doit se positionner comme une économie disposant d’opportunités réelles pour les entreprises américaines. Hydrogène vert, phosphates, décarbonation industrielle, terres rares : autant de secteurs où le Maroc dispose d’un avantage comparatif majeur. Une approche proactive permettrait d’attirer des investissements structurants dans un cadre de partenariat équilibré.
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Le partenariat avec Washington ne se limite pas aux questions militaires et économiques. La relation trilatérale Maroc-USA-Israël, consolidée par les Accords d’Abraham, constitue un levier diplomatique essentiel. La reconnaissance américaine du Sahara marocain en 2020 était en partie le fruit de cette dynamique. Rabat doit continuer à valoriser son rôle unique dans la stabilisation des relations régionales et la normalisation avec Israël.
Parallèlement, l’Europe reste un acteur incontournable. Paris et Madrid ont des intérêts stratégiques profondément liés à la stabilité du Maroc. L’objectif n’est pas uniquement d’assurer leur soutien, mais de l’ancrer dans une logique d’intérêts mutuels et de bénéfices réciproques. Une diplomatie proactive avec Bruxelles permettra de sécuriser des engagements durables.
L’Algérie, consciente de son isolement croissant, tente un dernier coup de poker diplomatique en cherchant à monnayer un rapprochement avec Washington. Son approche repose sur trois leviers : la carte des hydrocarbures, l’achat d’équipements militaires et un lobbying ciblé. Mais Alger souffre d’un handicap majeur : l’absence d’une vision stratégique crédible. Elle se limite à offrir des transactions conjoncturelles, sans véritable ancrage structurant.
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Washington, bien que pragmatique, ne se laisse pas séduire uniquement par des avantages économiques immédiats. Une diplomatie ne se bâtit pas sur des promesses commerciales, mais sur une vision cohérente. C’est là où le Maroc a une carte à jouer.
L’article de Foreign Affairs n’est qu’un symptôme d’une bataille d’influence plus large. Le Maroc ne doit pas se contenter de répondre aux attaques, mais de structurer une approche diplomatique et géoéconomique cohérente. L’enjeu est de transformer les défis en opportunités : faire reconnaître son rôle central en Afrique, consolider ses alliances et anticiper les nouvelles dynamiques du pouvoir mondial.
C’est en construisant une vision d’avenir, et non en déconstruisant les thèses adverses, que le Maroc renforcera son positionnement sur l’échiquier international.