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Les Lions de l’Atlas et l’Islam marocain - Par Bilal TALIDI
Les scènes de liesse, de danses, de chants, mêlés aux prières, aux invocations, aux visites des oulémas et dignitaires religieux, outre la célébration des victoires avec la mère, l’épouse et les enfants, sont autant d’indices qui renseignent sur la profondeur d’un islam typiquement marocain
Trois faits en lien avec la religiosité de l’équipe nationale de football ou l’un de ses joueurs méritent d’être médités. Le premier, émanant de la chaîne allemande Welt, a assimilé des joueurs marocains à Daesh pour avoir posté une photo l’index pointé en l’air, un geste qui ne colporte aucun sens autre que l’unicité de Dieu.
Le deuxième est l’œuvre d’une chaîne française qui, la veille de la rencontre Maroc-France, a consacré un débat à l’instrumentalisation politique des dimensions identitaires et du fait religieux pour supposément ressusciter la haine contre l’ancien occupant, le temps d’un match de football. Comme si la présence du chef de l’Etat français à la demi-finale se réduisait, elle, à un simple acte de supporter.
Le troisième, enfin, concerne un article publié par le site marocain «Achkayen», dirigé par un ressortissant marocain établi à l’étranger, accusant Zakaria Aboukhlal d’être inféodé aux thèses extrémistes et d’infiltrer la sélection nationale par sa vision salafiste.
Des accusateurs qui battent leur coulpe
La chaine allemande a présenté des excuses à la sélection marocaine pour cet impair, tandis que la chaine française a tant bien que mal nuancé ses propos, en faisant observer que les dimensions décriées reviennent souvent dans les joutes entre équipes adverses sans qu’il s’agisse forcément d’une équipe arabe ou islamique. Le site Achkayen n’a, lui, battu sa coulpe qu’après la publication d’un communiqué de la FRMF, le menaçant de poursuite devant la Justice et d’user «de toutes les voies de recours dans le but de protéger les membres de la sélection nationale de toutes accusations mensongères touchant leurs vies personnelles ou leurs comportements».
Sans s’attarder sur les réactions à ces faits ou sur les excuses des uns et des autres, il est plus important d’examiner les mobiles de médias tendancieux à faire une fixation sur la religiosité des joueurs marocains et la nature des messages qu’ils ont envoyés lors du Mondial, en parallèle à leurs performances sportives.
Ce quelque chose d’imprévu
Rappelons-le. La cabale droit-de-l’hommiste contre le Qatar, pays hôte de ce Mondial, s’est articulée autour de trois slogans. Le statut juridique et les conditions de travail des employés, l’aversion supposée de l’espace arabe à la différence et à la tolérance (droits des LGBTQ+) et la question palestinienne, les pays occidentaux craignant de voir le Mondial servir de plateforme à un réquisitoire retentissant à l’échelle mondiale contre les politiques de l’occupation sioniste.
Le Maroc, n’étant pas concerné par ces accusations, n’était pas tenu de fournir de réponses à la place du pays organisateur. Son rôle a été de fournir au Qatar un soutien professionnel aux plans sécuritaire et logistique, se tenant à distance de ces confrontations habituelles aux occidentaux.
Mais quelque chose d’absolument imprévu a émergé sur le terrain et que nul n’avait vu venir, ni le Qatar, ni les pays occidentaux, dont certains appelaient de leurs vœux, quand ils ne pariaient pas sur le fiasco du Mondial.
Au fil des matchs, le Qatar 2022 s’est transformé en un moment de rayonnement marocain par excellence, livrant trois messages nullement réfléchis ou préparés et totalement inattendus. Le premier concerne le modèle de l’islam modéré que les internationaux marocains ont livré au monde. Le deuxième se rapporte au modèle de la famille marocaine où la mère tient un statut symbolique quasi-sacré. Le troisième (que l’on ne développera pas ici) a trait à la présence centrale de la question palestinienne chez les Marocains, joueurs et public.
Ce contexte étant, il était normal que le modèle de l’islam marocain modéré suscite le plus d’interrogations, du fait que la majorité des joueurs marocains sont nés en Europe où ils ont conservé ce modèle typique de religiosité. Les chaines et les sites, qui ont tenté des raccourcis avec l’influence des groupes salafistes en Europe et mis en garde contre l’infiltration de Daesh du monde du football, se sont vite aperçus combien leurs arguments étaient ridicules, et leur connaissance de la culture marocaine et de la culture islamique en général limitée.
La part du fait religieux
Des islamistes, enthousiasmés par la religiosité des joueurs marocains, ont tenté de surfer sur la vague en considérant que l’exploit du Onze national met en évidence l’importance du fait religieux dans la consécration de la discipline et de la combativité au sein de l’équipe.
Mais s’il est vrai que le fait religieux peut contribuer à renforcer la discipline au sein du groupe et à exalter la ferveur pour défendre le maillot national, il serait extrêmement périlleux d’en tirer des conclusions hâtives, sinon la religiosité d’un joueur serait érigée en condition sine qua none à la sélection, avec le risque d’exclure de l’équipe nationale les joueurs ne répondant pas à ce qui risquerait ainsi de devenir un prérequis.
D’un point de vue sociologique, l’attachement de ces joueurs à l’islam marocain a germé essentiellement dans le giron familial à l’étranger. Les comportements et les pratiques (rites) spontanés de ces joueurs révèlent que leur religiosité n’a absolument aucun rapport avec les conceptions salafistes, ni même avec les modèles des groupes de l’islam politique. Les scènes de liesse, de danses, de chants, mêlés aux prières, aux invocations, aux visites des oulémas et dignitaires religieux, outre la célébration des victoires avec la mère, l’épouse et les enfants, sont autant d’indices qui renseignent sur la profondeur d’un islam typiquement marocain, hérité de la famille et marqué d’ouverture et de modération, ces rares caractéristiques qui font son rayonnement de par le monde.
Il ne faut pas se méprendre. Nombre de chaines satellitaires occidentales sont indisposées par le rayonnement marocain en raison précisément de ce modèle de religiosité, qui sous-tend en creux un modèle corollaire, celui de la famille et du statut de la mère en son sein. Le monde entier suivait le déploiement de ce modèle où la femme marocaine est présentée comme un acteur agissant et influent, un sanctuaire de créativité et une incarnation vivante de la Patrie, qui renseigne sur la force de la famille et sa cohésion et concrétise le lien intrinsèque entre l’éducation et la créativité, la maternité et la citoyenneté.
La leçon marocaine
Cet enseignement est la leçon éloquente que les Marocains ont donné à la thèse occidentale qui n’a cessé, des décennies durant, de donner des leçons au monde, pour l’obliger à emprunter ses voies faisant l’apologie de modèles multiples où la cellule familiale de base est déstructurée et où la maternité est perçue comme une construction culturelle imposée par une supposée phallocratie dominante.
De ce cycle d’enseignements marocains au Qatar 2022, le plus majestueux d’entre tous allait être l’audience accordée par le Roi Mohammed VI, père de tous les Marocains, à l’équipe nationale à son retour au pays. Evènement inédit, le Souverain a tenu à ce que les joueurs soient accompagnés de leurs mères que le protocole royal a dispensé de se soumettre à un code vestimentaire uniforme.
La scénographie fait ressortir que le modèle marocain puise sa sève dans sa modération, sa pluralité, sa diversité et son ouverture et s’appuie sur le socle d’Imarat Al Mouminine qui renferme toute cette pluralité dans le cadre d’un modèle religieux et historique, dont les significations ont été assimilées par les familles et ses valeurs retransmises en legs aux enfants, désormais immunisés contre les tentations d’un quelconque modèle exogène.
Le communiqué de la FRMF
Des impénitents, sans mauvais jeu de mots, pourraient interpréter le communiqué de la FRMF au sujet des propos du site «Achkayen» taxant Aboukhlal de salafisme comme une défense de l’international marocain, un démenti des accusations qui l’ont ciblé et une manière d’immuniser la sélection nationale. Mais au-delà de cette lecture au premier degré, visant à maintenir vivace l’esprit patriotique dont la sélection nationale a fait preuve, il s’agit aussi d’interdire à qui que ce soit toute remise en cause du modèle de l’islam marocain. Car toute atteinte de cette nature équivaudrait à faire entorse à Imarat Al Mouminine, ce socle fondateur et dispensateur de l’éclosion de tous les modèles à la source du rayonnement du Maroc et qui font du Royaume un centre d’attraction pour les autres peuples du monde.