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Médecins étrangers : La mal-gouvernance
Khalid Aït Taleb, ministre de la Santé - Il importe de valider leurs compétences des médecins étrangers, le cursus médical de certains médecins (Pakistan, Egypte,…) étant limité à quatre ans alors qu'il est pratiquement du double au Maroc.
Qu'il est donc difficile de réformer ! De nouveau, la preuve en est faite avec ce dossier relatif à l'admission des médecins étrangers. Un projet de loi déposé par le gouvernement et porté par le ministre de la Santé apporte un amendement à la loi 131-12 sur l'exercice médical. Il prévoit des mesures particulières qualifiées d'"incitations" pour attirer les médecins étrangers ou Marocains exerçant à l'étranger.
Vent debout, toutes les associations médicales professionnelles y sont opposées (Ordre national de l'ordre des médecins, Association nationale des cliniques privées, Syndicat national des médecins du secteur libéral, Syndicat national de médecine générale). Ce projet de texte législatif a été examiné le 16 juin courant à la Commission des secteurs sociaux de la Chambre des représentants ; les groupes parlementaires avaient jusqu'au lundi 21 juin pour déposer leurs amendements. Pour l'heure, les divergences se sont accentuées au sein de cette institution et ce par-delà le clivage entre les partis de la majorité et ceux de l'opposition.,
Un FAUX PROBLEME
Sur le papier, pourrait-on dire, l’on ne peut qu'être favorable en principe à la "libéralisation " de la législation en vigueur dans ce domaine. La crise sanitaire actuelle, liée à la pandémie de la Covid-19, a montré le déficit du système de santé national : un manque de 95.000 professionnels de la santé - 32.000 médecins et quelque 63.000 infirmiers.
Faut-il pour autant se limiter à cette approche chiffrée ? Le discours officiel du département de la Santé s'en tient en tout cas à cet argumentaire. De fait, la réalité est tout autre, plus complexe en ce sens qu’elle ne focalise que sur le problème des seules ressources humaines ". "Un faux problème", tonne le professeur Jaafar Heikel, épidémiologiste éminent, économiste de la santé. Et d'expliquer la carence de la politique publique dans ce domaine, depuis une quinzaine d'années d'ailleurs. Ainsi, en 2007, le Premier ministre alors en fin de mandat avait présenté une stratégie devant conduire à la formation annuelle de 3.300 médecins sans suite. En 2009, le ministère de la Santé avait publié une étude sur "Démographie médicale et paramédicale en 2025 " - pas plus d’avancées ! L'approche quantitative pour significative qu'elle puisse être ne suffit pas ; elle doit être corrélée en effet à des indicateurs qualitatifs : Quelle a été la gouvernance des structures publiques hospitalières ? Pourquoi leur efficience et leur productivité sont largement inférieures à celles du secteur privé ?
AUTRE DEBAT...
C’est là, assurément, un autre débat qui ne paraît pas être appréhendé d'une manière conséquente par l'exécutif actuel et le ministre en responsabilité. Pour ce qui est du projet de loi en débat aujourd'hui, comment s’articule-t-il ? Ce qui est proposé, c'est la condition d'inscription au tableau de l'ordre national des médecins. La durée de validité de celle-ci a été augmentée à 4 ans pour deux raisons : assurer la stabilité du médecin étranger et lui permettre également de réaliser son projet professionnel au Maroc (spécialisation). Il est aussi prévu que les médecins étrangers seront soumis aux mêmes conditions que leurs confrères Marocains pour ce qui concerne les diplômes et les certificats. Une attestation d'équivalence est requise, le conseil régional de l'ordre pouvant, le cas échéant, s'assurer de la validité du diplôme. Mais aucun mot sur la réciprocité avec leurs pays d’installation…
Pour motiver les médecins marocains exerçant à l'étranger, le texte a supprimé l'obligation de présentation de l'équivalence du certificat ou du diplôme obtenu dans une institution étrangère, compte tenu de l'expérience professionnelle acquise. Cette même catégorie de médecins nationaux pourra continuer à être inscrite sur le tableau d'un ordre étranger. Sont également levées les restrictions à l'exercice temporaire de la profession par les médecins non résidant au Maroc (importance de l'intervention médicale, spécialisation, technique médicale,...). Le champ de la pratique temporaire est ainsi ouvert dans tous les établissements de santé affiliés au secteur public ou privé ; il n'y aura pas de limitation à des établissements de santé spécifiques. Enfin, la durée de la pratique temporaire limitée à 30 jours sera levée et précisée dans un texte réglementaire édicté par l'exécutif.
EN-DEÇA DES ORIENTATIONS ROYALES
Le Souverain avait appelé à rechercher de « grandes compétences étrangères » au bénéfice de la santé des citoyens. Le projet de loi actuel paraît bien en-deçà de cette orientation. Il intéresse une mesure ponctuelle ; elle vise à tenter de combler, en partie d'ailleurs, une insuffisance des effectifs actuels de médecins en important pratiquement, sur des bases discutables, des médecins étrangers. C'est en effet le système sanitaire dans son ensemble qui doit être mis à plat pour réfléchir et élaborer une nouvelle stratégie. Il faut en effet se mobiliser - alors que l'on parle tant d'un Nouveau Modèle de Développement - de sa composante sanitaire pouvant répondre aux besoins actuels et futurs. Qu'attend-on pour offrir aux privés l'option d'une installation sous la forme juridique d'une SARL unipersonnelle ? Pourquoi ce retard décennal sur le chantier de l'AMO et la création d'un organisme unique conduisant à une mutualisation ? Quel régime fiscal appliquer au secteur libéral de la médecine qui est le premier partenaire de la réforme et du chantier de l'AMO ? Où en est le partenariat public privé qui reste bien à la traîne ? Quelle politique du médicament, de la télémédecine ? Autant de dossiers encore en instance évoqués dans le communiqué des associations professionnelles des médecins et qui n'auront sans doute de premières réponses qu'avec le prochain cabinet issu des élections de septembre 2021.
En attendant cet agenda, que va décider 1e Parlement à propos de l'exercice des médecins étrangers au Maroc dans des conditions nouvelles ? Cette faculté n'a de sens que si le recrutement des médecins étrangers est dirigé prioritairement, vers le secteur public. A quoi cela rimerait si ces mêmes professionnels n'exerçaient que dans des métropoles porteuses (Casablanca, Rabat…) sous un régime libéral ? Il faut en effet insérer cette politique bénéficiant à cette catégorie de médecins étrangers dans une approche de régionalisation. Une carte sanitaire est ainsi le meilleur indicateur des besoins et partant des "déserts" médicaux où ils seront les bienvenus. Il importe également de valider leurs compétences, le cursus médical de certains médecins (Pakistan, Egypte,…) étant limité à quatre ans alors qu'il est pratiquement du double au Maroc.
Il y a un différentiel abyssal dans la répartition régionale des ressources humaines avec 8.000 médecins dans les villes et un millier seulement dans le monde rural. Il a été proposé en attendant la détermination de " 3 à 4 zones prioritaires vers lesquelles seraient orientées les compétences étrangères". Ces médecins pourraient être autorisés à exercer dans "les zones sous-médicalisées manquant d’hôpitaux public ".
Ni vision ni approche participative
Le président du Conseil national de l'ordre des médecins, le Dr. Mohammadin Boubekri a demandé que le régime applicable aux médecins étrangers soit décliné comme suit : une première catégorie de médecins compétents dits "seniors", justifiant d'une expérience de 5 ans et pouvant enseigner ; celle des médecins devant être autorisés à exercer trois mois - au lieu de 30 jours aujourd'hui ; enfin, celle des médecins débutants autorisés durant trois ans après un examen théorique et pratique couplé à celui de la connaissance de la langue; enfin, la preuve de leur radiation de l'ordre de leur pays d'origine,
Tout est donc sur la table aujourd'hui. Au Parlement, un rapport d'un groupe élaboré depuis la fin 2020 a été présenté le 8 juin. Le tableau est préoccupant : un stock de plus de 14.000 médecins à l'étranger ; un exode qui continue encore avec 600 médecins en 2018 et pratiquement autant en 2019; une migration qui, selon le British médical journal (BMJ), a un coût élevé de l'ordre de 0,1 % à 0,25 % du PIB, soit 1,1 à 1,77 milliard de DH, S'il y a bien un segment prioritaire à privilégier dans la politique de santé c'est celui des médecins Marocains à l'étranger. Dans ce projet de loi, il a manqué plusieurs paramètres : une vision autour d'un nouveau modèle de politique de la santé, une approche participative aussi. Difficile d'entraîner l'adhésion et le soutien... Un casse-tête de plus pour un gouvernement fourbu, en fin de mandat.