PJD : Dynamique en temps de crise - Par Bilal TALIDI

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Les opposants à la démarche de Benkirane avancent que le secrétaire général a été élu au congrès extraordinaire avec pour seule et unique mission de préparer le congrès ordinaire du parti. Il ne devrait pas en conséquence imprimer à son activité le caractère d’un secrétaire général élu par un congrès ordinaire.

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Le PJD vit ce mois-ci au rythme soutenu du renouvellement de ses structures régionales et provinciales, marqué par l’insistance de son secrétaire général Abdalilah Benkirane à être présent, malgré son état de santé, à nombre de ces étapes, particulièrement celles ayant une portée symbolique (Lâayoune, Rabat, Fès), où il s’emploie à rappeler sa vision de la sortie de crise.

Le parti, tiraillé en interne par un désaccord d’ordre juridique fondamental en lien avec le timing du prochain congrès ordinaire, ne semble pas au bout de ses peines.

Congrès ou pas congrès ?

Benkirane s’estime dans une situation confortable du fait que le précédent congrès extraordinaire n’a pas voté en faveur d’une résolution l’astreignant à fixer une date pour le prochain congrès. Ce qui l’incite à considérer que cette échéance est subordonnée à un déterminant majeur qui consiste à faire sortir auparavant le parti de sa situation de crise, le prochain congrès devant être, à ses yeux, un couronnement, et non pas un moment de grand déballage des différends et des rapports de force à l’œuvre au sein du PJD.

Les opposants à cette thèse soutiennent que le secrétaire général a été élu au congrès extraordinaire avec pour seule et unique mission de préparer le congrès ordinaire du parti. Il ne devrait pas en conséquence imprimer à son activité le caractère d’un secrétaire général élu par un congrès ordinaire.

Pour fondamentale qu’elle soit, cette problématique juridique n’est ni prioritaire ni déterminante, du moins pas encore, pour le fonctionnement du parti. Ce qui focalise davantage l’intérêt c’est la vision proposée pour sortir le parti de sa crise et la façon d’y parvenir.

Benkirane considère, lui, que l’ouverture d’un dialogue interne reviendrait à mettre sur la table les divergences, avec leur lot de tensions intestines et de crispations psychologiques, intellectuelles et politiques. A ses yeux, la priorité va à la réhabilitation et à la revalorisation du rôle du référentiel originel du PJD, incontournables pour la consolidation de l’appareil du parti et le raffermissement de sa cohésion. Seule, à son sens, la concrétisation de ces conditions est à à même de permettre au parti de renouer avec ses heures de gloire.

Une histoire d’hégémonie

Ceux qui ne partagent pas son point de vue estiment que Benkirane dissimule derrière l’appréhension de la discorde que provoquerait un dialogue interne, son intention tue d’asseoir l’hégémonie de sa vision et d’éluder toute responsabilité collective dans la crise, y compris la sienne propre.

Un nombre important de militants pense que Benkirane n’a pas jusqu’ici révélé de feuille de route claire, sachant qu’il a lui-même déclaré, à plusieurs reprises, qu’il n’en disposait pas pour sortir le parti de sa crise. Mais qu’il était, en contrepartie, déterminé à remettre le PJD sur le terrain de ses batailles d’antan, celles de l’identité et du référentiel. C’est dans ce sens qu’il faut interpréter son insistance sur le fondamentaux et les valeurs qui font de la rectitude des militants, de leur abnégation et altruisme, des vertus cardinales attractives.

En attendant, la réalité du terrain montre que l’appareil du parti est sclérosé et sa mécanique grippée peine toujours à tourner correctement. Les plus magnanimes attribuent cette panne à l’état de santé fragile de Benkirane depuis son élection en tant que Secrétaire général, et qui a visiblement impacté la dynamique du parti. Un autre groupe soutient que les séquelles de la débâcle électorale du 8 septembre, doublées de l’incapacité de les comprendre et de les assimiler, ont mis en panne une partie considérable de l’appareil organisationnel du parti. Les plus suspicieux avancent que Benkirane ne veut pas que la machine reparte avant d’en modifier la structure, ce qui expliquerait son recours intensif aux assemblées électives régionales et provinciales pour le renouvellement de leurs instances.

Intellectuellement, Benkirane est resté égal à lui-même, à ce détail près : De leader politique érigeant le référentiel en source d’inspiration pour les membres du PJD et en canevas qui encadre les initiatives et détermine les propositions et les politiques du parti, il s’est converti en prédicateur qui prêche la morale et la vertu, en en faisant sa doxa et le corpus de sa communication hebdomadaire. Au point d’avoir pris pour coutume de livrer, chaque semaine sur sa page Facebook, ses méditations et ses interprétations de versets coraniques qui l’ont interpellé.

Des sources proches assurent que l’homme a eu une expérience particulière avec la lecture du Coran suite à son limogeage en mars 2017, et qu’il aurait mûri au cours de cette période de nouvelles idées. Mais les deux émissions diffusées jusqu’ici n’ont rien apporté de nouveau, si ce n’est l’insistance, dans la première, sur la mission eschatologique de l’Homme sur Terre et la nécessité de livrer bataille contre la vague de l’athéisme dans la société.

Ses opposants n’ont pas cessé leur critique de cette vision, soutenant que le ressassement des discours sur le référentiel et la mobilisation des adeptes ne saurait se substituer à une introspection collective qui précise la responsabilité collective dans la crise et la confrontation franche et sincère des idées pour générer une réponse commune.

Quel parti pour quelles missions

Si sur le plan de la doctrine, ou plutôt de la pédagogie, les démarches de la direction manquent de clarté, sur le plan politique le débat se tend extrêmement. 

Benkirane considère que le PJD n’a pas aujourd’hui pour mission de provoquer la chute du gouvernement. Pareille entrepris ne fera dans son estimation qu’apporter de l’eau au moulin de certaines parties qui, de l’intérieur même de l’appareil de l’Etat, s’emploient à créer une crise politique. Selon lui, le PJD devrait observer la même attitude qu’il a adoptée au plus fort du Mouvement du 20 février, lorsque le parti a opté pour le changement dans un cadre institutionnel adossé à une volonté royale attentive aux doléances de la rue et aux voix des forces réformistes. Cette approche l’amène à penser que ce gouvernement, indépendamment du comportement de son chef à l’égard du PJD, devrait bénéficier d’au moins une année de grâce, le temps de démontrer son échec, suite à quoi il serait constitutionnellement possible, sur décision royale, d’en limoger le chef et d’en nommer un nouveau, voire, si nécessaire,  de convoquer des élections anticipées.

Les adversaires de Benkirane lui reprochent l’incohérence de son «attentisme» actuel avec la posture d’opposant qu’il avait adoptée au lendemain de son limogeage, n’hésitant pas alors à diriger ses tirs contre les alliés de son propre parti au gouvernement. La réplique de Benkirane à cette critique consiste à distinguer sa volonté à l’époque de prémunir son parti contre l’hégémonie que tentaient d’imposer les alliés à son successeur à la tête du gouvernement, de la situation actuelle où certains, de l’intérieur même du pouvoir, chercheraient à déstabiliser le pays et à ébranler l’Etat au risque de le précipiter dans l’inconnu.

Néanmoins, cette question n’est pas un axe de tension majeure au sein du PJD. En temps politique, une année est vite passée et l’on préfère au PJD tempérer   pour mettre à l’épreuve la capacité de Benkirane, le moment venu, à passer à l’opposition sérieuse. 

C’est plutôt la normalisation des relations du Maroc avec Israël qui est de plus en plus source de raidissements, les détracteurs de Benkirane n’hésitant pas à agiter cette carte qu’il a longtemps brandie à leur encontre, et n’exigent pas moins que le parti prenne une position ferme sur cette question.

Benkirane, lui, à une approche stratégique de ce sujet. S’il comprend la position de l’Etat sur une question en rapport avec la cause nationale, il considère que certaines parties cherchent à aller plus vite que la musique de l’Etat et veulent impliquer le pays dans un processus de normalisation très poussé, bien au-delà des prérequis nécessaires à la garantie des intérêts vitaux du pays. C’est pour cette raison d’ailleurs qu’il n’objecte pas à ce que son parti adhère à des initiatives anti-normalisation aux plans régional, provincial ou local, sans avoir à produire au niveau central une position qui se heurterait à la politique de l’Etat dans ce domaine.

Ce sont là, globalement, les principaux soubresauts qui agitent le PJD et dont les dynamiques de réponse indiquent que le parti n’est toujours pas sorti d’une crise qui risque de perdurer au-delà de ce que l’on peut bien escompter.

 

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