PJD : Lecture dans le recadrage royal - Par Bilal TALIDI

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Abdalilah Benkirane, ancien Chef du gouvernement, actuel secrétaire général du PJD

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Aux sources du rayonnement marocain au Mondial - Par Bilal TALIDI

Il est tout à fait normal que le communiqué du Cabinet royal relatif à une déclaration antérieure du PJD (4 mars) se prête à des lectures différentes, toute interprétation étant éminemment encadrée par des prérequis idéologiques. 

Mais les termes de ce communiqué sont si concis et précis qu’ils ne laissent aucune marge d’interprétation du genre qu’affectionnent certaines parties étrangères souvent promptes à vouloir imposer leurs thèses en instrumentalisant les contextes internes pour les soumettre à leurs desseins.

Peu importent les visées de certaines parties obsédées par le modèle égyptien (l’éradication des islamistes) et, à l’opposé, celles d’autres sphères étrangères qui alertent contre le risque de sacralisation de personnes au sein de l’appareil exécutif les protégeant de toute critique.

Ce que cible le communiqué

Formellement, il convient de constater que le communiqué du Cabinet royal a ciblé un paragraphe particulier de la déclaration du Secrétariat général du PJD et ses arrière-pensées qu’il a sévèrement recadrés. Mais dans aucun passage n’a visé la direction du parti. Ce constat consacre l’idée largement partagée selon laquelle le Roi n’a pas d’«intentions supposées» à l’égard du PJD et que la monarchie se tient au-dessus des partis qui jouissent d’un traitement égal conformément aux dispositions de la Constitution.

Si certains sont tentés d’éluder ce fait, il suffit de leur rappeler un communiqué antérieur du ministère de l’Intérieur sur le PJD pour saisir la différence entre critiquer la direction du parti et critiquer le contenu d’une déclaration sans citer la direction de ce même parti. Dans son communiqué, le ministère de l’Intérieur, s’en prenant à la ligne politique du PJD sans le nommer, avait accusé «la direction d’un parti politique» d’avoir tenté, de manière délibérée, de porter atteinte à la crédibilité des élections partielles du 21 juillet 2022. Le ministère a également relevé que ces « allégations malveillantes et inacceptables » ont pour objet de « porter atteinte à cette étape électorale et semer le doute sur son déroulement d’une manière méthodique et délibérée, à l’instar de la ligne politique adoptée par le parti lors des échéances électorales du 8 septembre 2021 ».

Le domaine réservé 

Le communiqué du Cabinet royal est porteur, lui, de trois importants messages, le premier étant que la politique étrangère est, par la force de la Constitution, un domaine réservé au Roi que le Souverain gère selon les constantes sacrées et les intérêts supérieurs de la Patrie.

Ce message, manifestement le plus fort de ce recadrage royal, consiste à dire que l’action du ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita reflète les orientations du Roi et sa politique étrangère et que, peut-être sans s’en rendre compte, le Secrétariat général du PJD, en s’en prenant à lui, véhément ou pas, s’est attaqué à la politique extérieure du Roi lui-même.

Le PJD tout comme n’importe quel autre parti, pourrait se risquer à objecter en invoquant le statut de la politique étrangère dans la Loi fondamentale et du type de prérogatives qu’elle renferme. Sauf que ce genre de tentation ne revêt dans le cas d’espèce aucun intérêt, le SG du PJD Abdalilah Benkirane ayant constamment confirmé, avant pendant et après son passage par la chefferie du gouvernement, un fait commun à tous les Etats bien établis : la politique étrangère est un domaine exclusif du chef de l’Etat. Auprès de ses partisans comme auprès de l’opinion publique, l’homme assurait qu’il serait absurde d’arrimer la politique étrangère, un domaine régi par le temps long, la régularité et la constance, au sort de gouvernements par définition passagers et sujets à l’instabilité. Il a toujours affirmé que la monarchie, seul fondement immuable du système politique marocain, est l’unique dépositaire de ce secteur stratégique et il serait absurde, ou pernicieux, d’essayer de dissocier la politique du Roi de celle du ministre des AE.

Une question de qualification

Le deuxième message, adressé plutôt à l’ensemble des élites politiques et pas uniquement au PJD, explique que la conjoncture mondiale complexe, les dynamiques opposées qui tiraillent le contexte régional et international et les marges de manœuvre qui s’y opèrent en fonction des flux et des reflux, ne sont pas à la portée des élites politique. Sans prise sur ces paramètres et sans connaissance des tenants aboutissants des variations des politiques internationales, ces élites ne sont pas qualifiées pour prendre des positions fondées ou seulement se positionner pour défendre une position nationale qu’elles croient ou présentent comme ‘’noble’’.  A fortiori quand elles s’autorisent à instrumentaliser des politiques qu’elles considèrent antinomiques pour des considérations politiciennes et électoralistes ou pour des raisons liées aux dynamiques internes à leur parti (reconstruction, cohésion interne). 

Le communiqué du Cabinet royal rappelle que l’intégration de ces considérations subjectives dans l’évaluation et la critique de la politique étrangère est un exercice périlleux qui se retrouve dans une alliance objective avec les adversaires du Royaume qui, se servant de la relation entre le Maroc et Israël, se tiennent en embuscade pour s’attaquer au Royaume et s’acharner contre ses intérêts.

Une formulation pour le moins inconvenante

Et il est intéressant de relever que ce n’est pas la première fois que le secrétariat général du PJD publie des déclarations opposées au rétablissement des relations avec l’Etat hébreu ou à ce qui est communément appelé ‘’la normalisation’’, sans faire l’objet d’aucune réaction. 

Le recadrage royal actuel est intervenu lorsque le ministre des AE a été pris à partie pour avoir supposément « défendu l’entité sioniste» et de lui avoir « servi de relais » dans les fora arabe et africain. Cette fois-ci, il est utile de le souligner, la formulation a outrepassé les limites de bienséance qui s’impose à l’expression d’une position de principe, garantie du reste à tous les partis politiques, pour verser dans une attaque inconvenante, irrévérencieuse et non-diplomatique à l’encontre de ce qui relève du domaine réservé du Roi ; la politique extérieure.

L’appropriation de la légitimité

Le troisième message du communiqué du Cabinet royal consiste à faire la distinction entre la position de principe envers la question palestinienne et la nature multidimensionnelle de la relation avec Israël que nul n’ignore.

Il convient de rappeler ici une déclaration antérieure de Nasser Bourita dans laquelle il a clairement établi la distinction entre les deux positions au moment où il évoquait le contexte de l’ouverture et de la fermeture du bureau de liaison israélien. Le ministre a précisé la différence entre ce qui relève de la position de principe envers la question palestinienne et la position dictée par l’évaluation des intérêts supérieurs du pays, à la tête desquels figure l’évolution de la question de l’intégrité territoriale du Royaume dans un contexte régional et international fort complexe.

L’objectif de ce message est de donner un coup d’arrêt à l’instrumentalisation et à l’appropriation de la carte de la légitimité en rapport avec ce dossier : la conférer à ceux qui s’opposent à la normalisation et la retirer à ceux qui voient un intérêt aux relations avec Israël. Il s’agit également de rappeler que la politique s’appuie certes sur des principes, mais elle explore aussi les champs du possible et des options opportunes, particulièrement dans les conditions complexes qui requièrent la plus grande prudence vis-à-vis des machinations et des tactiques des adversaires.

Certains, enclins à exploiter à leur dessein le communiqué du Cabinet royal, s’échinent à inventer de gros titres, comme «le Palais réprimande le PJD», ou «Game Over pour Benkirane» ou «Colère du Palais contre le PJD». D’autres nourrissent l’espoir d’une éventuelle rupture entre la monarchie et les islamistes. En réalité, ces titres autant que ces vœux s’aventurent, inconsciemment ou non, à impliquer la monarchie dans la chose partisane. Le fait est que la finalité première et ultime du communiqué du Cabinet royale consiste à consacrer l’idée selon laquelle la politique étrangère est un domaine réservé au Roi, à fortiori en cette période qui requiert soutien et mobilisation. Au cas où certaines élites politiques seraient incapables de le faire pour des raisons qui leur sont propres, elles seraient mieux inspirées d’attendre que les tendances s’éclaircissent pour mieux évaluer les avancées ou les reculs que le Maroc aura réalisés en matière de défense de ses intérêts et de ses acquis.

 

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