Politique
ICPC : la lutte contre la corruption vers une action plus restreinte ?
Le projet de loi relatif ? l?INPC a ?t? discut? par la Commission de justice de l?gislation et des droits de l?Homme, ? la Chambre des repr?sentants.
Il s?agit d?un projet de loi qui devra hisser l?Instance centrale de pr?vention contre la corruption (ICPC) au rang d?instance nationale, en vertu des principes de la Constitution de 2011. Avant cette discussion au Parlement, la Conf?d?ration G?n?rale des Entreprises du Maroc (CGEM) avait d?j? mis en garde?: le texte repr?sente un recul par rapport au projet de loi propos? par l?Instance centrale de pr?vention contre la corruption (ICPC). Ce texte inqui?te le patronat autant que le milieu associatif et il existe en deux versions : l?une propos?e par l?ICPC en octobre 2013, et l?autre, approuv?e au Conseil de gouvernement le 26 juin 2014.
Deux projets de loi diff?rents
Le 26 juin 2014, le Conseil de gouvernement a approuv? le projet de loi relatif ? l?INPC, alors qu?un projet de loi (n?12-113) avait ?t? propos? par l?ICPC, en octobre 2013 d?j?. Petit b?mol, le texte approuv? par le gouvernement est diff?rent de cette version-l?. Plus encore, il restreint davantage le champ d?action de l?INPC.
Dans le texte du projet de loi propos? par l?ICPC, le constat est clair?: le bon fonctionnement de l?institution se heurte ? plusieurs obstacles. S?en affranchir ne passera que par la mise en place d?un cadre juridique assurant ??la promotion de l?Instance Centrale de Pr?vention de la Corruption en une Instance nationale ind?pendante et sp?cialis?e b?n?ficiant de la pleine capacit? juridique et de l?autonomie financi?re, n?ob?issant ? aucune tutelle, afin de garantir son ind?pendance telle que consacr?e par la Constitution et ce, pour toutes les instances de bonne gouvernance.?? Car pour le moment, les actions de l?ICPC restent entrav?es sur plusieurs plans. Ces entraves figurent justement dans la note de pr?sentation du projet de loi, propos? par l?ICPC?:
- ??La difficult? d?obtenir les informations n?cessaires en raison des r?ticences des administrations et organismes concern?s ? adh?rer volontairement dans ce processus ;
- La fragilit? du positionnement de l'instance dans le circuit de la mise en ?uvre des propositions et recommandations ;
- La difficult? de se doter des moyens mat?riels suffisants lui permettant de disposer des comp?tences qualifi?es requises ;
- L?incapacit? de l?ICPC ? r?agir efficacement aux plaintes et d?nonciations qui lui sont soumises en raison de l?absence de pr?rogatives d?enqu?te et d'investigation pouvant lui permettre d?assurer ? ces plaintes un traitement objectif et un aboutissement ad?quat.??
De surcroit, le projet de loi de l?ICPC insiste clairement sur ??l??largissement de ses pr?rogatives pour englober la lutte et la pr?vention, un pouvoir d?auto-saisine pour l?ensemble des actes de corruption, tout en la dotant des moyens humains et mat?riels n?cessaires??. Contact? par Quid.ma, le pr?sident de l?ICPC Abdesselam Aboudrar a affirm? l?importance de revenir sur les mesures restrictives du nouveau projet de loi?: ??Nous avons officiellement signal? au Chef du Gouvernement que le texte tel qu?approuv? par le Conseil du Gouvernement est en retrait par rapport au projet initialement valid? avec le Secr?tariat G?n?ral du Gouvernement ? l?issue d?une tr?s large consultation entreprise courant 2013. Nos remarques ont ?num?r? tous les points pouvant restreindre l?action de l?INP et nous envisageons de r?it?rer notre plaidoyer ? l?occasion de l??tape parlementaire.??
C?t? gouvernement, le son de cloche est tout autre. Le terme corruption?n?est interpr?t? dans l?article 4 du projet de loi que selon le Code p?nal : ??On entend par corruption, en vertu de la pr?sente loi, les crimes de corruption, le trafic d?influence, le d?tournement et la concussion? tels que pr?vus dans le Code p?nal.?? Les infractions ne sont donc interpr?t?es que sous la lumi?re des articles qui les concernent, dans le Code p?nal?: 241 (d?tournement), 243 (concussion), 248, 249, 251 (corruption) et 250 (trafic d?influence). Le projet de loi, tel qu?approuv? en Conseil de gouvernement, occulte les pr?rogatives de pr?vention et de lutte, pr?vues pour l?ICPC, pr?voyant ??l??largissement de son champ d?intervention ? tous les actes de corruption ?nonc?s dans [l?article 36 de la Constitution].??
La CGEM et Transparency Maroc fustigent
Avant la discussion du projet de loi au Parlement, la CGEM avait organis? le 11 septembre une rencontre pour en d?battre. Plusieurs contradictions entre les deux textes y avaient ?t? relev?es, insistant sur l?importance d?emp?cher la mise en vigueur de sa version telle qu?approuv?e en Conseil de gouvernement. Le patronat a d?ores et d?j? clarifi? sa position par rapport au projet de loi. Le pr?sident de la Commission Ethique et Bonne Gouvernance ? la CGEM, Zakaria Fahim, d?fend le fait qu????en ?voquant le terme ?corruption?, il faut revenir ? l?esprit de la loi et non pas au terme technique restreint du code p?nal.?? Le projet de loi approuv? par le gouvernement est aussi ??inefficace?au service des PME ? et repr?sente, par ailleurs, un ??recul par rapport ? l?ancien texte qui renfor?ait un organe [l?ICPC, ndlr] en lui permettant d?avoir les moyens de ses actions.?? Ces moyens ne se limitent pas qu?aux fonds, mais financi?rement, ils se r?duisent justement aux pouvoirs publics, dans le projet de loi approuv?. Zakaria Fahim estime que d?autres moyens de financement sont possibles et garantiront l?ind?pendance de l?INPC?: les organisations internationales, les instituts de d?veloppement, les organismes non-gouvernementaux, mais aussi le Conseil de l?Europe, qui, pour lui, ??a les moyens n?cessaires pour contribuer ? l?appui d?institutions pareilles sans enlever ? l?institution son ind?pendance. Il faut savoir en profiter. ? Abdesselam Aboudrar ajoute ? ce sujet qu???il n?a jamais ?t? question dans aucune version du projet de texte de la nouvelle instance qu?elle puisse recourir ? un autre financement que celui provenant du budget de l?Etat. En revanche, il n?y a aucune raison que la future instance ne puisse b?n?ficier d?appuis, dans le cadre g?n?ral de la coop?ration qu?entretient le Maroc, qu?elle soit bilat?rale ou avec des organismes internationaux, et cela au m?me titre que les d?partements minist?riels, les ?tablissements publics et autres institutions. Cela s?appelle la coop?ration internationale et cela est g?r? officiellement par le Minist?re des Affaires Etrang?res. Ces appuis prennent souvent la forme de missions d?experts, de prise en charge de formation, de participation ? des s?minaires, etc?C?est d?ailleurs le cas aujourd?hui pour l?ICPC qui b?n?ficie de l?appui du Conseil de l?Europe, de l?OCDE, du PNUD et autres. Ce n?est pas pour autant que les b?n?ficiaires de ces appuis ali?nent leur ind?pendance ou servent des agendas ext?rieurs. Par ailleurs, seul le financement public est en mesure d?assurer les frais de fonctionnement d?une instance publique, comme les salaires, les frais de si?ge, les frais de d?placements??? Malgr? cela, le ministre d?l?gu? aupr?s du Chef du gouvernement, charg? des Affaires g?n?rales et de la Gouvernance, Mohamed El Ouafa, ?carte toute possibilit? de financement en dehors de celui des pouvoirs publics?: ??cette institution est constitutionnelle.?Ses ressources seront tir?es du budget allou? par l?Etat. ?
De la part de Transparency Maroc, la secr?taire adjointe de l?association, Mich?le Zirari, reproche au texte une ???num?ration limitative??, car il ??concerne exclusivement les infractions pr?vues par le Code p?nal.?? En d?autres termes, le projet de loi occulte plusieurs agissements qui m?ritent sanction. Ils ne sont pas cit?s express?ment?: ??le blanchiment d?argent, la corruption dans les ?lections, l?abus de biens sociaux??? Mich?le Zirari d?montre que ce texte ne permet pas r?ellement ? l?INPC une intervention efficace?: ??l? [INPC] n?a aucun pouvoir d?investigation?; les administrations ne sont jamais tenues de r?pondre ? ses demandes quand elle sollicite des informations pour r?pondre aux plaintes re?ues?; il n?est jamais obligatoire pour le gouvernement ou le parlement de la consulter pour les questions en relation avec la corruption?; elle ne peut donner son avis que lorsqu?elle est sollicit?e.?? Le texte approuv? par le Conseil de gouvernement a ?t? d?battu ? la Chambre des repr?sentants. Par la suite, il devra ?tre soumis au vote mais son adoption pourrait freiner l?INPC dans son action dans la lutte contre la corruption. Cette adoption repr?sentera toutefois un pas dans le d?bat l?-dessus, comme l?affirme Abdesselam Aboudrar?: ??Nous croyons au fait que chaque acteur, institution ou groupe de pression, joue pleinement son r?le dans l?espace d?expression d?mocratique dont dispose notre pays. Je pense donc que le passage par le parlement enrichira le projet. Quoi qu?il en soit, l?adoption du texte constituera en elle-m?me une avanc?e puisque nous disposerons d?une instance dont le positionnement est sup?rieur, les pr?rogatives ?largies et l?ind?pendance garantie par la constitution. Aux diff?rents protagonistes ensuite d?en tirer le maximum et, ? pourquoi pas ? ?, d?en faire ?voluer le cadre juridique chemin faisant.?? En attendant, Mich?le Zirari estime qu???on ne peut que souhaiter que la pression de la soci?t? civile et des medias conduisent ? une am?lioration de ce texte.??