Politique
Barcelone, 25 ans après : MEDITERRANEE, SOUVENIR, SOUVENIR...
Le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, lors de la visioconférence à l’occasion des 25 ans du processus de Barcelone le 27 novembre 2020
Voici 25 ans, s'est tenue à Barcelone, la conférence Euro- Méditerranéenne réunissant les pays des deux rives. Un grand espoir. La Déclaration adoptée était centrée sur la promotion d'"un espace de stabilité et de prospérité partagée". Qu'en est-il aujourd'hui ? Le Maroc, par la voix du ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a livré son évaluation, vendredi 27 novembre courant.
Le cadre officiel était précisément le 5ème Forum régional de l'Union pour la Méditerranée organisé à l'occasion du 25ème anniversaire de ce processus de Barcelone. Un parterre de haut rang, en présence du Roi Felipe VI d'Espagne et la coprésidence du Haut Représentant de l'UE, Josep Borrell, de la ministre espagnole des Affaires étrangères, Mme Arancha Gonzalez et le Secrétaire général de l'Union pour la Méditerranée (UpM) ainsi que les chefs de la diplomatie de celle-ci.
Pour notre ministre, le bilan reste insuffisant. Il a ainsi mis en avant certains paradoxes qui ont marqué le processus depuis un quart de siècle. Et de citer pour commencer un paradoxe économique : "I'Euromed a réussi à faire de la Méditerranée un marché de près de 800 millions de consommateurs mais l'intégration économique n'est toujours pas au rendez-vous avec 90% des échanges qui sont intra-UE , contre seulement 9% entre le Nord et le Sud". Le déficit commercial est pratiquement abyssal entre le Sud et l'UE – il est de l'ordre de 70 milliards d'euros. L’on attendait beaucoup des accords de libre-échange pour le réduire, ils n'ont fait que le creuser. S'est dessinée ainsi, comme l'a déclaré Nasser Bourita, "une ligne de fracture plutôt qu'un trait d'union "attestée par une richesse supérieure au Nord et "un différentiel du PIB/habitant de 1 à 9".
L'on parlait, pourtant, voici plus de deux décennies donc, d'un "co-développement"; on est loin du compte… Et d'appeler de ses voeux , non plus le même "constat lamentatif" mais autre chose de plus volontariste : une politique méditerraáéenne de cohésion. Il s'agit de faire converger les politiques nationales vers l'objectif de départ: celui d'une zone de prospérité partagée. Que faire à ce sujet ? M. Bourita a insisté sur la mise sur pied d'un instrument financier; il serait surtout dédié au développement des infrastructures; il ferait aussi évoluer l'espace méditerranéen d'" un modèle marchant" vers un modèle productif". La banque des projets de l'UPM existe; il lui manque encore un instrument financier approprié.
L’évaluation au plan politique témoigne de points si peu positifs. Ainsi le processus de Barcelone n'échappe pas à une forme de "surpolitisation", selon les termes mêmes du ministre. Et de relever au passage que "l'UpM est la seule organisation au monde qui porte la Méditerranée en son nom mais le paradoxe c'est qu'elle est aussi "précisément celle qui ne traite pas des sujets majeurs de la Méditerranée". La gestion de la pandémie de la Covide -I9 ? Rien à signaler alors que cette région est pratiquement l'un des épicentres. La migration ? Pas d'agenda positif mais plutôt des mesures fortement restrictives instrumentalisées d'ailleurs par des paramètres électoralistes et populistes de certains courants de la droite et de l'extrême-droite. La gouvernance ? C'est plutôt l'aysmétrie qui prévaut. Une absence patente de concertation qui conduit à fragiliser le processus de Barcelone et même à le rendre "invisible" au "yeux du monde".
Au total, il reste largement transparent, invertébré - il n'imprime pas... Les relations Euromed ne mobilisent pas grand-monde. La question méditerranéenne est-elle au centre des préoccupations ? Les sous-bassements néo-libréraux devant instaurer à terme une zone de libre-échange ne ressemblent-ils pas davantage à une juxtaposition de zones de libre échange qu'à une zone globale ? De plus, ils sont surtout limités aux produits industriels, pas aux produits agricoles et aux services. La mise en place d'une zone de libre-échange n'est pas un objectif mais un moyen de construire une zone de paix et de prospérité, Or, le rattrapage économique entre les deux rives n'a pas été atteint : tant s'en faut.
C’est sur ces bases-là que l’'EU a marqué un tournant dans sa relation non seulement en Méditerranée mais aussi ailleurs avec la Politique européenne de voisinage (PEV) en 2004. Un nouveau cadre articule ainsi les relations de l’UE avec 16 pays partageant avec elle une frontière maritime ou terrestre. Il est prévu deux axes dans cette perpsctive : une aide financière et une coopération politique et technique. Objectif : établir un espace de prospérité et de bon voisinage. Trois pays sont au Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie); deux au Machrek (Libye. Egypte) ; d’autres au Moyen-Orient ( Israël, Jordanie, Autorité palestinienne, Liban, Syrie; dans le Caucase du Sud ( Arménie, Azerbaidjan, Géorgie); et en Europe de l'Est ( Moldavie, Ukraine, Biélorussie). Voici trois ans, l'UE adressé un bilan mitigé sur un profond réexamen en 2015. Elle reconnaît que "les évènements de ces dernières années "(conflits, essor des extrémismes et du terrorisme, violations des droits de l'homme, bouleversements économiques, réfugiés, ...), ont pesé dans ce sens. Elle se prononce pour "une approche nouvelle, une redéfinition des priorités et l'introduction de nouveaux modes de fonctionnement".
La PEV priorise trois domaines de coopération : le développement économique, la dimension "sécurité" ainsi que les migrations et la mobilité. Elle soutient également les initiatives visant à améliorer la gouvernance et à renforcer la démocratie, l'Etat de droit et les droits de l'homme dans ces pays. Le principe de conditionnalité (démocratie, capacité de mettre en oeuvre les priorités reconnues) s'apparentait à une volonté d'imposer une politique. Et les plans d'actions concrètes se révélent décevants ne prévoayant ni calendrier, ni budgets, ni indicateurs de réalisation ni modes de contrôle et d'évaluation. Une énonciation d’une intention et du mouvement avec des verbes comme "promouvoir","développer", ''recntrer","consolider","poursuivre","favoriser"…
Avec la PEV, il faut bien parler d'un tournant dans la politique européenne. Un glissment sémantique, pas neutre, se fait : les pays méditerranéens signataires de la Déclaration de Barcelone étaient des "partenaires"; ils deviennent de simples voisins et ce au même titre que l'Ukraine, la Moldavie et même le Caucase. Voilà bien une baisse de régime du partenariat euro-méditerranéen; elle signe d'une certaine manière le déclassement du processus de Barcelone. La dimension régionale était ainsi quelque peu abandonnée au profit d'un traitement différencié par pays. La spécificité méditerranéenne était diluée dans une politique plus large ouverte à des voisins terrestres de l'Europe.
C’est dans un tel contexte qu'a été lancé en juillet 2007 le projet d'une Union Méditerranéenne par le Président Sarkozy. Après bien des négociations, ce projet est recadré sous la formulation d'une Union pour la Méditerranée. Le projet initial ne concernait que 18 pays, ceux de l’Europe du Sud seulement et les pays méditerranéens de la rive Sud. Au final, l'on retrouve pas moins de 43 pays ( 27 membres de l'UE, 10 pays tiers méditerranéens, la Libye, la Mauritanie, l'Albanie, la Bosnie, le Monténégro et la Croatie).
Cette UpM veut s'inscrire dans le cade du processus de Barcelone et la Déclaration commune signée le 13 juillet 2008 par les 43 pays l'indique à plusieurs reprises. Mais c'est une énième relance avec une complexité institutionnelle accrue : le budget est une émanation de l'UE; articulation et inclusion de pays non-membres de l'UE et de la Déclaration de Barcelone; une co-présidence Nord-Sud; principe du consensus; rôle du Secrétariat éloigné du siège de l'UE à Bruxelles ... Le conflit israélo-arabe et la question palestinienne avaient déja fortement conduit à l'échec du processus de Barcelone; cette même contrainte va perdurer, aujourd'hui encore… La France, initiatrice de cette UpM en 2007-2008, n'a pas la main aujourd'hui; le projet initial s’est pratiquement enlisé par suite de la difficulté d’influencer les décisions de l'UE. L'Allemagne a une perspective différente avec la Confédération des Etats de la Mer Baltique réunissant 12 pays du Nord.
Une réarticulation de l'UpM est-elle possible ? Le processus de Barcelone peut-il être actualisé et revivifié ? Pareille revitalisation est évidemment souhaitable, mais sur des bases et des principes où les engagements des uns et des autres - et en particulier de l'UE - soient adossés de manière significative et opératoire à la recherche d'un "autre destin", comme l'avait déclaré SM le Roi, dans plusieurs domaines connexes : un concept, une vision, une convergence géostratégique, une coopération approfondie et une solidarité partagée. Remeubler cet espace méditerranéen pour asseoir et consolider la paix, la stabilité et la prospérité…