Driss Lachgar : Le professionnel – Par Naïm Kamal

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Driss Lachgar au Forum de la MAP, mardi 28 juillet 2021

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Jeudi 29 juillet 2021, Forum de la MAP. A ce sixième épisode de la série électorale en perspective des scrutins du 8 septembre, qui voit défiler les chefs de parti, Driss Lachgar invite les siens à aller dénicher les « progressistes qui s’ignorent » là où ils sont, dans leurs villes, leurs rues, leurs patelins, là-haut dans la montagne…  « Les militants doivent s’impliquer dans leur société », souligne-t-il. Un quart de siècle en arrière, l’actuel premier secrétaire de l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP) aurait distillé le même contenu, mais dans un autre langage. Il aurait dit : « il faut coller aux luttes des masses populaires, se fondre dans les combats des classes laborieuses, encadrer et organiser le prolétariat, travailler à la conscientisation des ouvriers, mobiliser la force du travail …» et bien d’autres pépites qui dominaient de leur brillance le discours marxisant des années soixante aux années quatre-vingt-dix. 

Témoin et acteur

Les années quatre-vingt-dix, c’est une décennie charnière, la dernière du vingtième siècle finissant, qui a vu prendre forme la longue maturation de « l’alternance consensuelle » voulue par le Roi Hassan II pour intégrer à la gestion des affaires publiques ceux qui n’y ont jamais pris part, du moins depuis le renversement du gouvernement Abdellah Ibrahim en mai 1960. 

De ce demi-siècle, Driss Lachgar est à la fois témoin oculaire et acteur de premier plan. C’est cette ère qu’on appellera, aux débuts du règne du Roi Mohammed VI, les années de plomb, lorsque le jeune et nouveau Souverain mettra en place l’Instance Equité et Réconciliation pour solder les comptes de ces années de feu et de braises. Driss Lachgar, chanceux, les traversera sans trop de dégâts personnels, et le voilà aujourd’hui portant ce titre prestigieux, premier secrétaire d’une formation  qui faisait la pluie et le beau temps, taillé sur mesure au congrès constitutif de l’USFP en 1975 sur l’envergure historique et l’épaisseur intellectuelle de Abderrahim Bouabid, le ministre de l’Economie et des Fiances qui restera dans l’histoire comme celui qui a présidé en 1959 à l’émancipation du dirham marocain de la monnaie du colon français. 

Si bien que lorsque Driss Lachgar au terme d’un congrès houleux devient le chef de file de l’USFP, ses adversaires, mais pas seulement, trouveront que l’habit, porté aussi par Abderrahmane El Youssoufi et dans sa succession par Mohamed El Yazghi, son mentor, est trop grand pour lui. Une injustice. Qui ne tient compte ni de l’air du temps, l’heure n’étant plus partout dans le monde aux grandes figures charismatiques, ni de l’histoire propre de Driss Lachgar. 

Dans le tumulte de l’UNFP

Il y a un peu plus d’un demi-siècle donc, à l’âge du rêve, de l’utopie et du sacrifice, le jeune Driss fait son entrée en politique. Il a à peine 16 – 17 ans. La scission au sein de l’UNFP* n’avait pas encore fait son chemin et la création de l’USFP n’effleurait même pas encore les esprits. Mais les germes de la grande confrontation sont eux bien là. Aile syndicaliste « khoubziste** » contre aile politique, courant révolutionnaire contre tendance réformiste, aile de Rabat contre aile de Casablanca, basristes contre attentistes, une mini guerre civile déchirait le parti. Ses échos résonnaient en s’amplifiant jusque dans l’unique campus du Maroc à l’époque, l’Université Mohammed V où l’Union Nationale des Etudiants du Maroc, dominée par l’alliance UNFP-PLS, est en butte à la montée de la Nouvelle gauche qui comptait renvoyer aux vestiaires de l’histoire tout ce beau monde représentatif d’une « petite bourgeoisie opportuniste et arriviste». 

 Est-ce à son éducation politique dans ce milieu hautement conflictuel que Driss Lachgar doit sa propension à la violence physique conçue comme « légitime » dès lors qu’elle est « révolutionnaire » ? En partie. Pour l’autre, à son physique imposant dont il usera sur le campus où un certain Abdel Malek El Jeddaoui, qui terminera sa carrière comme ambassadeur du Maroc à Moscou, supervise la mouvance estudiantine proche de l’UNFP puis de l’USFP. A sa décharge, la bagarre et les descentes musclées chez l’ennemi idéologique étaient le dénominateur commun de la faune gauchisante de l’époque. En venir aux mains ou ne pas en venir revenait à être ou ne pas être. 

Habile manœuvrier, manipulateur sournois, infatigable homme de la confrontation et du terrain mais aussi des coulisses et des compromis, c’est dans ce magma qu’il gagne ses galons jusqu’à devenir, aux cotés de Mohamed El Yazghi, l’homme de l’appareil par excellence. Son long parcours le mène tout naturellement en 2001 au Bureau politique de l’USFP. Nul ne peut prétendre qu’il a volé sa consécration. Ses droits d’entrée, il les a acquis de haute lutte au sein d’un parti où la « paix des ménages » politiques est un concept flou, absent de son dictionnaire politique. Driss Lachgar, militant aguerri, est un professionnel de la politique au sens léninien. Toute sa vie il n’a fait que ça, ne sait faire que ça. 

L’erreur d’El Yazghi

En 2007, il croit son moment de gloire enfin arrivé. Il a perdu sa circonscription électorale, mais sa défaite, il l’accepte, faisant d’autant plus contre mauvaise fortune bon cœur qu’il pense se rattraper par une place dans le gouvernement où la « méthodologie démocratique » qui a fait de Abderrahmane El Youssoufi le Premier ministre socialiste de « l’alternance consensuelle » n’est plus de rigueur. Mais voilà qu’une fatwa édicte l’inadmissibilité au gouvernement de tout candidat qui n’a pas remporté ses législatives. Mohamed El Yazghi qui négocie pour le parti la formation du gouvernement, n’a, semble-t-il, rien fait pour défendre son « poulain » et en lieu et place installe Jamal Rhmani, un militant méritant qui a gravi les échelons à l’ombre de Driss Lachgar.  Grand mal lui en a pris !

Blessé, la bête politique se déchaine. Rue dans les brancards, s’émancipe définitivement de la tutelle « yazghiste », se révolte contre la direction du parti, s’attaque au PAM. Pour la petite histoire, c’est à lui que l’on doit « alouafide aljadid » (le nouveau venu), voulu quolibet excommunicateur de ce parti créé initialement pour cantonner l’islamisme. Accessoirement il fait du pied aux islamistes du PJD qui commençaient à gagner du terrain au détriment des partis traditionnels. Pour le « ramener à la raison », on lui donnera en lot de consolation le poste de ministre en charge des relations avec le Parlement qu’il occupera de 2010 à 2012. 1 an, 11 mois et 30 jours, précise Wikipédia. 

Mais à l’USFP, la tornade Lachgar est loin de se calmer. Elle poursuit son tourbillon et rase tout sur son passage. Au IXème congrès du parti en 2012, Lachgar balaye sans coup férir les icones prestigieuses du socialisme réformiste à la marocaine : Mohamed El Yazghi, Abdelouahed Radi, Fathallah Oualalou et autres Mohamed Achaari. Tous y passent, seul Habib El Malki, éliminé au premier tour, en réchappe en s’alliant au nouveau premier secrétaire pour prendre la présidence du conseil national. 

Un homme apaisé

Au Forum de la MAP, le premier secrétaire de l’USFP est à des années lumières de tous ces bruits. Il dégage l’impression d’un homme enfin apaisé. Sa réputation de Liquidator, que lui accolent ses adversaires, bien établie, il peut voir venir et égrener ses satisfécits. Le retour de l’Etat social à l’abri de la pandémie ne peut que le combler. Le Covid-19 et la proactivité royale, le Maroc et les Marocains, le Nouveau modèle de développement et les échéances électorales, les succès diplomatiques du Maroc et les attaques que subit le Royaume, il les évoque en toute sérénité. L’effet certainement à la fois de l’âge (de la maturité ?) et de l’expérience. 

Ce qu’il pense de la transhumance des députés peut surprendre, mais elle ne lui pose aucun problème tant qu’elle n’est pas commandée par des manipulations de l’Etat profond. Pour l’instant, l’Administration territoriale semble se tenir à distance. Des alliances à venir, il assure n’avoir aucun exclusif et reste ouvert à la gauche, aux partis du mouvement national, tout aussi bien qu'aux vrais libéraux attachés aux principes de liberté, d'égalité et de démocratie. 

Sa querelle avec le PAM, du passé. Son éphémère flirt tactique avec le PJD, un souvenir lointain. Dans sa foulée au trot, il appelle Abdalilah Benkirane à observer l’obligation de réserve qui s’impose, selon lui, à tous les anciens Chefs de gouvernent. Et s’il s’abstient de commenter le rapprochement PJD-PAM, il garde toutefois aux islamistes du gouvernement qui avaient vainement essayé de le récuser en 2016, un capital de mépris. Saad Dine El Otmani, dit-il, n’avait pas l’autorité nécessaire ni sur le gouvernement ni sur son propre parti. Il en veut pour preuve le vote des députés islamistes contre la loi sur le cannabis que pourtant le Chef (présumé) du gouvernement a présenté en personne. Bref, Saad Dine El Otmani n’a su tenir ni son rôle ni son rang. Quant à ses ambitions électorales, il escompte figurer dans le trois premiers. Ce qui lui serait bien utile pour faire oublier la bérézina historique de son parti aux législatives de 2016.

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*Union Nationale des Forces Populaires

** Sobriquet dérivé de pain utilisé par l’aile politique pour désigner l’aile syndicale qui voulait se concentrer exclusivement sur les intérêts salariaux des travailleurs. 

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