Politique
Les camelots de la toile
Mayssa Salama Ennaji, du jour à la nuit, ou de la nuit au jour, allez savoir…
Le confrère Mohamed Tantaoui a commis, cette semaine, un excellent papier. Il a croqué, avec beaucoup de talent un personnage, haut en couleur dans tous les sens du terme. Le papier est bien léché. Si je fus subjugué par ce style exquis servi par une langue qu’on pourrait jalouser, ici en France, j’étais, en revanche, moins conquis par les standards esthétiques qui ont convoqué, chez lui, le sublime. Certes les goûts ne se discutent pas. Que l’auteur me permette donc de bémoliser son entrain. Je lui rends cependant grâce de m’avoir fait découvrir Mayssa Salama Ennaji. Car cette activiste vaut le détour. Et rien qu’avec son nom, elle est déjà une énigme. Interloquant et inhabituel au Maroc, elle affiche une triplette pour être qualifiée. Avec un pareil tiercé, on se croirait plongé dans l’Orient des harems. Que nenni. Elle est bien de chez nous. Un produit local et authentique.
Comme elle a l’air de ne pas être piquée des hannetons, cet insecte qui titille avec son dard, j’ai eu, du coup, une folle envie d’être le hanneton du jour. D’autant et au vu des réactions de certaines followers (suiveurs en français svp) et les vierges effarouchées qui sont vite montés sur les barricades, ceints d’un féminisme déchaîné, pour crier au scandale parce ses atours ont fait l’objet d’un éloge, ce n’est pas l’envie qui me manque d’en rajouter à mon tour. Car, pour crayonner ce personnage, on peut difficilement faire l’impasse sur la forme tellement celle-ci est entortillée avec le fond. Et puis ne dit-on pas que la forme, c’est le fond qui monte à la surface.
Ce personnage, dont j’ignorais l’existence, fait visiblement et désormais partie du paysage politique marocain. Elle a, me semble-t-il, même gagné ses galons dans le marché de l’indignation où les crieurs et autres vociférant tiennent, sur la toile, le haut du pavé. Je ne vois donc pas pourquoi on s’étonne qu’elle puisse attirer foudre et frelons. Aussi, je tiens à disqualifier, par avance, les arguments qui, participent du nouveau politiquement correct, et qui voudraient qu’on l’épargne parce que femme. La gentrification de la politique serait à ce moment une calamité. En politique, seul compte « d’où parles tu camarde ? »
Soyons magnanime. De la ressource, ce n’est pas ce qui lui manque. Elle a tout pour attirer le chaland. Et elle ne s’en prive pas. Elle a le verbe haut-perché et la dégaine un tantinet hautaine. Polémiste, brailleuse et racoleuse en diable, elle se répand, sur les réseaux sociaux où elle a plusieurs baux : Facebook, Instagram, twitter, YouTube. Elle délivre, à qui veut l’entendre ses courroux. Avec concision ou avec logorrhée, c’est selon. Elle a cependant cette manière, un peu boursouflée, de déployer le pronom « JE » qui en impose. C’en est au point d’être suspect. On a l’impression d’avoir affaire à un narcissisme contrarié. Un narcissisme obéré.
Du bagout, elle en à revendre. Son atout ? Elle parle bien. Son défaut ? Pas de surmoi. Son talon d’Achille ? Ses pérégrinations politiques. Rivière infinie d’éloquence, elle ose tout. Elle a cette puissante capacité de vous envelopper dans la volupté de la langue arabe. D’autant que cet idiome est prédisposé au charnel et à l’ensorcelant. Il dissout, le plus souvent, la raison pour mieux s’emparer de l’émotion.
L’excellente aquarelle esquissée par Tantaoui nous épargnera utilement les considérations esthétiques, accessoires non négligeables du problème, pour ne s’arrêter qu’aux prétentions idéologiques. Car après tout, ce personnage portait, il n’y a pas si longtemps, non seulement le hijab et les habits amples qui cachaient les formes, ce qui est son droit le plus stricte, mais militait pour qu’il soit imposé à toutes les femmes. Aurait-elle oublié le temps où elle prêchait une autre bonne parole, aux antipodes de celle d’aujourd’hui ? Ne plaidait-elle pas pour la séparation des hommes et des femmes dans les transports publics ? Reconnaissons que c’est là une mutation stratosphérique qui ne saurait être prise pour peanuts.
Chacun a le droit de faire son aggiornamento. C’est même seuls les idiots, parait-il, qui ne changent pas d’avis. Mais là, on est face à une déconcertante mise à jour du logiciel. Il faut avoir un sacré estomac pour troquer « l’islam est la solution » de Sayed Qotb avec la banderole « le PAM est la solution ». Abdelatif Ouahbi a peut-être réussi une belle opération en brandissant cette activiste comme un scalp dérobé au PJD. On ne peut pas en dire autant de la place des convictions dans les débats de société. Mais chacun sait qu’au Maroc, la transhumance des politiques est un sport national.
En France, une telle évolution serait plébiscitée par les identitaires et les racistes de tous poils, eux qui exhibent aujourd’hui, Zineb El Ghazoui, cette autre mutante, ancienne du 20 février, devenue une égérie de la fachosphère. Mais là ! avec Salama, c’est au Maroc qu’on est. Un pays musulman avec à sa tête, depuis 2011, ses anciens amis qui sont aux manettes. S’ils l’ont déçu, elle, leur ancienne muse, pourquoi les Marocains voteraient-ils pour eux aux prochaines échéances ?
C’est bizarre, entre ces deux exemples, Zineb et Salama, Sanaa El Aji apparait comme un modèle de cohérence et de rectitude, touchée par la grâce…divine. Question de vraies convictions consolidées par un vrai savoir.
Il est remarquable que ce soit au PJD ou au PAM, la Salama là, a pour fonds de commerce, l’indignité. Je ne veux pas lui faire l’injure de croire qu’elle s’offre au plus offrant. Ce serait odieux. Mais ces changements de pas-de-porte ont de quoi abasourdir. Et pour peu qu’on s’intéresse à son enivrant parcours, on reste pantois devant la solidité de son verbe qui n’a de d’égal que la sinuosité de ses engagements. De l’islamisme le plus échevelée au PAM, en passant par Al Ahrar, « ce n’est plus la girouette qui tourne, c’est le vent » dirait Edgar Faure. On n’a sensiblement pas affaire à une colonne vertébrale, mais à du caoutchouc. Circonstance aggravante, elle brûle aujourd’hui ce qu’elle a adoré la vielle. Sa méthode, c’est je lèche, je lâche, je lynche. Aziz Akhennouch et Benkirane en savent quelques choses.
Maintenant, soyons un peu plus sérieux. Ce qui est intéressant, dans le personnage, c’est ce qu’il signifie. Mayssa Salama Ennaji n’est, somme toute, que l’un des avatars du populisme qui prospère en ces temps de crise démocratique. Le propre d’une démocratie, souffreteuse et rabougrie, c’est d’être le terrain fertile du populisme. Comme elle, au Maroc et dans l’immigration, ils sont, dans la toile, légions les camelots de la diatribe. Elle a cependant un privilège dont elle abuse, c’est justement d’être une femme.
Et il est remarquable que les populistes comme elle, partagent, entre eux, deux attitudes : Ils sont, d’abord, les porteurs d’une acerbe critique des élites, à leurs yeux, « congénitalement » corrompues et, en tant que chevaliers blancs, ils se veulent aux avant-gardes de la défense du peuple, supposé vertueux. En fait, ils ont le secret désir de remplacer ces élites. Et pour cela ils sont capables de se damner. Ensuite et en second lieu, ces gens ne daignent même plus discuter avec les corps intermédiaires. Ils n’entendent respirer que l’air de l’empyrée en interpelant l’institution monarchique. Parfois avec déférence. Le plus souvent avec une indifférence aux égards dus à la personne du Roi. Ils n’ignorent pas que c’est lui qui peut leur ouvrir les portes de l’olympe.
Si on en Occident, le populisme à une histoire et a même ses idéologues. Au Maroc, c’est à une forme de « chaabisme » effréné qu’on assiste. Un « chaabawisme » à peu de frais. Nés avec les réseaux sociaux, les aboyeurs de la toile sont les télétravailleurs de YouTube qui les rémunère non pas au smig mais au buzz. Ce ne sont pas des lanceurs d’alerte. Ce sont des buzzers. Ainsi donc, on dort le soir comme chauffeur de camion, de taxi ou comme hôtesse de l’air, et on se réveille le lendemain comme journaliste qui n’a nul besoin d’une carte de presse, délivrée par Younes Moujahid. La seule carte qui vaille, à leurs yeux, c’est de la pression qui leur sert, en la circonstance, d’étiage.
Ces gens-là ne sont ni un phénomène électoral, ni un mouvement de société, ni un courant politique et encore moins les adeptes d’une idéologie. Ils prospèrent dans le marché de l’indignation. Leurs indignités recèlent, le plus souvent, des indigestions. Autoproclamés prescripteurs d’opinion, ils abusent les indigents. Ils sont au journalisme, ce qu’est Derb Ghallef aux Mega Mall. C’est dire combien cette derbghallafisation du débat politique se manifeste, outre l’escroquerie, comme l’une des pires avanies promptes à éroder « la jeune démocratie marocaine »