chroniques
Quand les solutions aux problèmes algériens sont au Maroc
Noureddine Khellassi est un journaliste algérien. Je l’ai connu à Alger à une époque où son pays avait déjà un pied dans la guerre civile. Il est ensuite venu à Rabat découvrir les frères marocains. Je l’ai reçu chez moi et l’ai fait inviter chez les Archane à Tiflet. Je lui ai également fait rencontrer d’autres Marocains.
C’était le bel épisode des « retrouvailles » maroco-algériennes dans l’élan de l’éphémère UMA, voulant espérer en une dynamique unitaire qui ferait se dissoudre dans la fraternité retrouvée toutes les divergences et tous les « malentendus » de l’histoire. C’était avant que l’Algérie ne plonge dans la décennie noire, qu’ait lieu les attaques terroristes d’Atlas Asni et les soupçons qui pèsent sur la Sécurité militaire algérienne, que les frontières soient fermées et que le naturel revienne au galop. Je l’ai récemment vu réapparaitre sur Facebook pendant le Hirak sur un ton un brin critique.
Je l’ai cru un temps en rupture de ban, mais voilà que je le redécouvre en conseiller à la communication auprès du ministre éponyme, dans Soir d’Alger, un journal fondé par Zoubir Souissi, un autre ami de ces moments où l’on croyaient encore possible de jeter des ponts par-dessus les « incompréhensions » mutuelles. Il y a publié, ès-qualités, un article fleuve sur le Maroc qui ne concevrait l’Algérie que comme ennemie. Une façon comme une autre, pas très artistique, d’inverser les rôles.
L’Omniscient
Tour à tour il s’y fait spécialiste du soufisme maraboutique, champ où Alger peine à contrecarrer le Maroc ; stratège militaire vantant la « supériorité » à ses yeux de l’armée « populaire » et théoricien de la diplomatie avec pour référent Ramatan Laamamra, ancien ministre des Affaires Étrangères et diplodocus notoire de la géopolitique prétentieusement prussienne qui a nourri les rêves chimériques de Houari Boumediene. Le tout empaqueté dans ce qu’il maitrise le mieux, la phraséologie de la guerre froide marquée par la référence récurrente à l’impérialisme, ignominie par définition.
N. Khellassi prend prétexte sur une production intellectuelle d’un think tank marocain, Forum FAR Maroc, qui développe une « vision » de la stratégie militaire du Royaume face à une potentielle confrontation avec l’Algérie, un possible qui n’a pas eu lieu en dépit de quatre décennies de forte tension, grâce essentiellement au sang-froid à toute épreuve du Royaume.
Ce qu’a avancé le think tank vaut ce qu’il vaut et en cherchant un peu, le conseiller en communication saurait que le Maroc pullule de « centres d’études stratégiques » et aurait en tout cas compris que les stratégies de défense pour quelque pays que ce soit ne s’élaborent pas à ciel ouvert.
La fanfaronnade
Mon ami l’Algérien reproche ensuite au Maroc d’aménager une base d’écoute à Jerrada, qui jusqu’à preuve du contraire est un territoire marocain, et fait comme si de l’autre coté de la frontière on ne rencontre que des majorettes et des cliques de parade. Noureddine Khellassi, qui est à cheval sur deux générations, devrait se rappeler les propos de Kasdi Merbah, puissant patron de la Sécurité militaire algérienne tout au long du règne de Houari Boumediene. Ce ponte du pouvoir militaire algérien, assassiné en 1993, s’était vanté d’avoir installé un système d’écoute sophistiqué de telle manière que rien ne pouvait bouger au Maroc sans qu’il n’en soit informé dans la minute qui suit. A ce titre, il avait conseillé à ses pairs de dormir de ce côté là sur leurs deux oreilles et Ils l’ont si bien pris au mot que quand ils se sont réveillés de leur longue sieste, c’était pour entendre les cris de la révolte de la jeunesse algérienne d’octobre 1988 et les bruits de bottes de sa répression dans le sang.
Le conseiller en communication du ministre éponyme s’étale ensuite sur l’équilibre des forces et le principe de neutralisation par la dissuasion et veut faire croire à la « précision » de ses « renseignements » sur les capacités air-meret terre de l’armée royale. Il nous apprend par la même occasion que la « liste des handicaps militaires marocains n’est pas exhaustive ». Et pousse le bouchon jusqu’à vouloir nous faire accroire que « l’état-major des FAR et le cabinet du palais royal (ne sont pas) en mesure d'évaluer avec précision les coûts, les gains et les pertes de leurs actions ».
Pour reprendre une formule qu’affectionne particulièrement Ramtan Lamamra qui adore se prendre pour Talleyrand, tout cela est excessif et serait donc insignifiant si Noureddine Khellassi qui ne pèse la puissance d’une armée qu’aux tonnes de la quincaillerie qu’elle possède, ne cherchait pas à nous intimider, ou pire, à nous menacer d’un « engrenage des plus dangereux ». Depuis le temps, il devrait pourtant savoir qu’il y a là erreur sur la personne et sur l’adresse et que si engrenage il y a, il ne peut y avoir, quel que soit le vainqueur, que des perdants. Ça le Maroc le sait, mais s’il est acculé.
On ne va pas ressasser pour la trillionième fois les griefs marocains. De même ce serait facile de répondre que s’il y a des provocations, elles se trouvent dans son pays où l’on assiste à une orgie de manœuvres militaires à tirs réels non seulement dans les territoires limitrophes du Royaume, mais tout au long des 6500 KMS de frontières algériennes, ce qui dénote une grave mentalité d’assiégés. Tout se passe dans le pays voisin comme s’ils ne savent plus rien faire d’autres que faire tourner les chenilles de leurs tanks et faire voler leurs avions de guerre. Mais c’est vrai, la plus jolie fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a.
Des fissures dans le mur
Faut-il le signaler, Il y a beaucoup de fébrilité et d’agitation chez le voisin. On le serait à moins, le Hirak lui ayant fait perdre beaucoup de ses repères. Sa diplomatie, déjà depuis toujours à fleur de peau, c’est halte ou je tire ! A l’est comme à l’ouest, au sud comme au nord. Dans le gué, elle cherche à se défausser encore de ses problèmes sur le Maroc.
Dans la conjoncture, actuelle trois facteurs donnent à comprendre la montée en charge à laquelle on assiste :
L’Armée Nationale (plus très) Populaire, contestée, qui s’entend demander depuis plus d’une année de remettre les rênes à un pouvoir civil cherche à relégitimer sa présence et à s’offrir une raison de choc qui lui permettrait de continuer à monopoliser les manettes et les richesses du pays
Le soft power marocain que N. Khellassi admet à son corps défendant. L’attractivité qu’exerce le Maroc auprès de ses partenaires agit sur les nostalgiques de l’ère Boumediene comme dans un jeu de miroir où ils s’attendrissent sur la belle époque, quand l’Algérie pouvait se pavaner en leader du tiers-monde.
Le dernier facteur enfin est tout aussi lourd de conséquences que le premier. La « cause sahraoui » et le soutien au Polisario ne passent plus dans l’opinion publique algérienne. En tout cas plus comme avant. Des fissures sérieuses sont apparues dans le mur. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter leur ministre des affaires étrangères, Sabri Boukadoum, déclarer à la presse juste avant une séance parlementaire, que si les différences sur les sujets intérieurs étaient acceptables, les questions se rapportant à la défense et à la diplomatie ne pouvaient souffrir la divergence ou la division. C’était pas plus tard que lundi dernier, 1er juin.
Pour surmonter ce nouveau handicap Ils sont ainsi quelques-uns à Alger à penser qu’il faut brandir à visage découvert le Maroc plus que jamais en ennemi tout en lui en imputant la responsabilité, ce que par ailleurs le général Saïd Chengriha a fait bien des années avant qu’il n’assure l’intérim de l’état-major. Donc, à l’Est, rien que du déjà vu !