Être heureux envers et contre tout !

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Le Bonheur c’est la salle d’attente du Bonheur. Attendre le Bonheur fait partie du Bonheur.

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Il semblerait que, par les temps qui courent, nous sommes condamnés à vivre heureux. La culture ambiante nous impose d’être dans une quête permanente du Bonheur et son corollaire l’Amour. Écouter une chanson, voir un film ou une pièce de théâtre, regarder la télévision, et vous serez abreuvés à satiété avec le sempiternel leitmotiv : hors le Bonheur et l’Amour, point de salut ! 

Cette incroyable pression des médias pousse la majorité des gens dans une recherche éperdue de ce qui est devenu les Graals de notre époque. Atteindre le Bonheur et vivre le grand Amour sont assimilés à un besoin physiologique et deviennent les seuls moyens pour beaucoup de se réaliser, de donner du sens à leur vie.

J’ai quelques difficultés à adhérer à cette mouvance, aussi séduisante qu’elle me paraisse. Est-ce par non-conformisme que je refuse à me soumettre au dictat du Bonheur à tout prix, ou est-ce juste mon refus obstiné de ne jamais céder à la mode ? Au fait, je crois que le problème réside en moi, il est au fond de moi-même, car je ne suis pas à l’aise avec ma définition des mots Bonheur et Amour.

Pour moi l’un et l’autre n’existent que dans le partage. Autrement dit le ressenti dépend du répondant qu’on trouve chez l’autre ou chez les autres. Le Bonheur comme l’Amour peuvent donc facilement basculer dans la souffrance s’ils sont contrariés par l’attitude négative des partenaires en face. Être éconduit est une dure, très dure épreuve !

Et puis le Bonheur c’est la salle d’attente du Bonheur. Oui, attendre le Bonheur fait partie du Bonheur. Sauf que la patience diffère d’un individu à l’autre. Il y en a qui éprouvent du plaisir à guetter la survenue de l’instant de félicité, fut-il fugace, et d’autres qui se crispent à l’idée de devoir attendre.

Le pire c’est que le Bonheur comme l’Amour sont des «denrées» hautement périssables. Ils sont tout, sauf immuables car ils dépendent de personnes qui changent avec le temps. Ils résultent aussi d’évènements et de contextes appelés à changer, ils s’épanouissent dans des situations et des conditions qui fluctuent à leur tour avec le temps.

Faut-il donc s’accommoder de la fugacité du Bonheur et de l’intemporalité de l’Amour ?

Le processus intellectuel décrit ci-devant m’incline à davantage de prudence, sinon à une certaine réserve dans la quête du Bonheur et de l’Amour. Malgré prudence et réserve, j’ai partagé pour ma part d’intenses moments de Bonheur, et j’ai goûté immodérément à l’Amour. A ceci près que pour goûter à ces félicités, j’avais au préalable décidé de vivre heureux.

Être heureux pour moi-même et par moi-même a été ma règle au quotidien, ma ligne de conduite au cours d’une existence de plus de trois-quarts de siècle, et dont je n’ai guère à me plaindre. Bien au contraire ! Être heureux par moi-même me permet d’absoudre ma famille, mes proches et mes amis de tous les malheurs, grands ou petits, qui me toucheraient. Ils ont sûrement contribué à rendre ma vie plus plaisante, mais nul ne sera tenu pour responsable de ce qui aurait pu assombrir mon bonheur. Si je suis l’artisan de mes moments heureux, je reste l’unique artisan de mes déboires, de tous mes déboires ! Ni des événements exogènes, ni les contrariétés qui jalonnent mon quotidien ne sauraient affecter mon humeur. Cette humeur reste égale face à tous les manques que je ressens, pas des manques futiles comme l’argent ou la notoriété, mais aussi face à un manque aussi crucial, primordial comme le Temps.

Je n’ai cependant aucune certitude que c’est moi qui ait pris un jour la décision de vivre heureux ? Mais ce dont je suis sûr c’est que je me retrouve spontanément dans cet état-là; aucun processus intellectuel ne s’est enclenché pour m’y conduire ! Autant dire que ce ressenti relèverait plus de ma nature profonde. Ma forte propension à me sentir heureux me surprend souvent moi-même.

Alors viscéralement heureux ? Béatement heureux ? Difficile d’y répondre de peur de gâcher mon plaisir. Je vais tenter cependant de m’en expliquer. Et je le ferai en deux parties :

— Première partie : comment pourrais-je prétendre être heureux en toutes circonstances, et

— Deuxième partie : à quel point serais-je heureux ? 

Première partie :

—> Comment pourrais-je être heureux quand les ravages du temps ont abîmé mon corps le rendant vulnérable au moindre effort ? Ne pas abdiquer devant l’effort ne soulage pas pour autant. Et des douleurs périodiques viennent rappeler que les maladies, avec leurs lots de souffrances, peuvent surgir de manière inattendue. Les tourments qui guettent ne sauraient constituer des moments heureux.

Comment j’arrive à m’en accommoder ? En admettant que l’âge n’a rien à voir avec la mort, qu’il n’est qu’un nombre et on sait que la limite des nombres c’est l’infini. Vieillir ne compte pas. J’ai donc arrêté d’avoir peur de la mort car je ne lui vois aucune échéance. Et si ma foi, mon miroir me renvoie les stigmates de l’âge, loin de paniquer, il me faut juste m’arranger pour essayer de vieillir en beauté. Raison pour laquelle je me persuade que les plus belles années de ma vie sont celles qui me restent à vivre. Pour vivre heureux, j’ai encore du temps, tout mon temps !

—> Comment pourrais-je être heureux quand mon univers s’est clairsemé avec la disparition de nombre de mes amis et beaucoup de mes proches. Très récemment encore j’ai eu à souffrir la mort brutale, coup sur coup, et à moins d’une année d’intervalle de deux de mes frères. La mort est en elle-même une grande souffrance, mais il y a pire, c’est l’absence de ces êtres chers !

Je suis dans un véritable déni, car j’essaie d’entretenir leur présence en me persuadant qu’ils sont juste dans la pièce à côté, que je vais les rencontrer au coin de la rue, au super-marché. A l’arrêt aux feux rouges, je dévisage les autres conducteurs dans l’espoir de voir apparaître Ali, Houssine ou Omar au volant d’une des voitures attendant le feu vert. Chaque fois que je dois aller à une rencontre familiale, je me surprends à préparer une blague ou un speech que je servirais à mes chers disparus.

Je joue délibérément leur présence imaginaire, factice et gravement insensée, pour occulter leur absence. Une absence que je m’obstine à ne jamais admettre ! Le paradoxe est que je me sens quelque part heureux à sublimer, dans mes songes, une présence encore plus prégnante que lorsqu’ils étaient là.

—> Comment pourrais-je être heureux quand tout autour de moi il n’y a que catastrophes et désolations, quand l’être humain affiche partout les stigmates des injustices et des misères qu’il s’inflige, quand le malheur semble devenir son lot quotidien, quand la condition humaine est à ce point abîmée ? Comment être heureux alors que la Terre, notre mère nourricière affiche de son côté les balafres qui l’ont complètement dénaturée, hypothéquant ainsi l’avenir de nos enfants ?

Ci-devant je me suis trouvé des raisons de rester heureux face à des situations très personnelles comme la maladie et ses souffrances, ou la perte d’êtres chers. Cependant il m’est difficile de me retrouver heureux face à des situations collectives sur lesquelles je n’ai pas de prise, et ma responsabilité étant infime.

Ce mot infime me fait penser au colibri de Pierre Rabhi, qui voulait éteindre un feu de forêt en allant puiser de l’eau avec son bec et qu’il déversait sur les flammes. Le colibri fait peu, mais il fait ce qu’il peut. Vais-je, par lâcheté me comparer à ce colibri pour m’exonérer de réels efforts à faire pour tenter de soulager les maux qui rongent la société et la planète ?

À vrai dire il y a longtemps que j’ai cessé de me comparer à ce taureau de la mythologie qui faisait tourner la Terre sur sa corne. Oui, je ne porte plus le poids de l'univers sur mes épaules. Je me contente d’actions sûrement importantes rapportées à ma personne, mais totalement insignifiantes pour modifier valablement ou durablement le cours des choses. Malgré l’insignifiance de mes actes, j’éprouve parfois de la joie à les accomplir. Je me retrouve ainsi heureux même dans des situations qui paraissaient très déplaisantes au départ. 

Deuxième partie :

—> Heureux au point de ne jamais fuir la solitude car j’ai appris à m’aimer moi-même. Pour m’aimer moi-même, il était impératif que je cesse d’être mon propre ennemi. (Cf à ce sujet ma chronique intitulée «Les délicieux tourments du grand âge» sur le lien https://bit.ly/368n87H ). Effectivement les tête-à-tête que je passe avec moi-même n’ont rien d’insupportable. Au contraire c’est l’occasion de longues rêveries en solitaire, l’occasion d’évacuer le trop-plein d’émotions pour ne garder que celles qui me réconcilient avec la vie. L’oxygénation de mon âme passe par la solitude !

Une boutade devenue pour moi un véritable adage veut que l’Homme descende du Songe ! Je le vérifie quotidiennement puisque mes rêves ne sont au fait qu’une succession de songes. Mes songes, s’ils diffèrent dans la forme se ressemblent sur le fond puisque j’y vis quotidiennement une haletante course-poursuite derrière le beaule bon et le merveilleux. Chaque nuit mes courses éperdue reprennent et je suis heureux au réveil de ne pas connaître l’issue de mes songes.

Le lendemain mes songes vont reprendre et je courrais à nouveau derrière de grands principes comme la liberté, la justice, je courrais derrière la démocratie, la laïcité, bref je courrais derrière tout ce qui constitue les manques du quotidien. Devrais-je continuer à courir au risque que ce quotidien finisse par avoir raison de mes songes. Non, je tiens à mes songes pour me sentir heureux à mon réveil.

—> Heureux au point que lorsque tout se passe bien pour moi, j’ai tendance à ne pas le remarquer, mais quand tout va mal, mon optimisme réapparaît comme par enchantement pour me rappeler que je me dois de rester heureux. D’aucuns diraient qu’il s’agit là d’une force de caractère. Sauf que je ne la ressens pas comme telle. Mais si toutefois le pessimisme finit par m’atteindre, ma belle assurance chavire pour me laisser en proie au doute. Un doute rédempteur car j’y retrouve la quintessence de mon humanité. J’ai besoin de douter pour faire émerger ce qu’il y a de plus profondément humain en moi. Le doute c’est mon habit d’Homme ! Comment ne serai-je pas heureux dans cet habit-là ? Alors pile je suis heureux, face je le suis encore.

Abdelahad Idrissi Kaitouni

Bouznika le 21 mars 2021

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