Le Maroc et le monde après la covid-19 : I- De quelques limites du système capitaliste néolibéral mondialisé – Par Ahmed Herzenni

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Le monde est déjà entré dans une nouvelle phase de son progrès technologique, marquée par la tendance à l’automation généralisée grâce aux développements de l’électronique et de l’informatique, mais aussi d’approches nouvelles telle que l’Intelligence Artificielle

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Dans un ouvrage collectif consacré à la crise sanitaire suite à la pandémie du Coronavirus Sars-Cov-2 et ses conséquences sur le monde, Ahmed Herzenni analyse ce que pourrait être le Maroc et le monde après le Covid-19. Cette étude déclinée en trois chapitres commence par les l’examen de quelques limites du système capitaliste néolibéral mondialisé. Dans la deuxième partie il aborde les fractures qui menacent le monde et tente de tirer les leçons de l’un des paradoxes majeurs de la mondialisation (la « mondialisation 2.0 » !) qui s’est finalement soldée par un renversement spectaculaire des rapports de force en son sein sans conclure à un dénouement rapide de l’affrontement planétaire entre le nouvel Est et le nouvel Ouest et sans parier sur une défaite inéluctable, même à moyen terme, du second. Dans la troisième et dernière partie, l’auteur s’attelle, but de l’étude, aux options qui s’offrent au Maroc.

I. De quelques limites du système capitaliste néolibéral mondialisé

La crise de la COVID-19 a permis de réaliser que le système capitaliste néolibéral mondialisé--ce que l’on nomme généralement « mondialisation »--avait atteint ses limites et commençait même à produire les facteurs de sa propre destruction. 

Ses limites écologiques d’abord. La rage de consommer, et donc de produire au risque de gaspillage à large échelle, caractéristiques du système, avaient conduit vers des seuils dangereux sinon critiques de réchauffement climatique, de déforestation et de désertification, de perte de biodiversité, d’émission de gaz nocifs, de diminution des ressources énergétiques conventionnelles, etc., tous phénomènes qui menaçaient, qui menacent encore, non seulement la reproductibilité du système, mais la durabilité même de la vie sur la planète Terre.

Une large coalition écologiste s’est ébauchée autour du globe pour imposer des mesures de lutte contre les effets sur le climat du système néolibéral mondialisé, mais l’opposition à ces mesures des leaders  de ce système, leur incapacité de lui imaginer des alternatives, voire de simplement le réformer, limitent grandement pour l’instant l’impact de cette coalition qui par ailleurs n’arrive pas à s’élargir et à se consolider..

Viennent ensuite les limites sociales de la mondialisation. A commencer par le fait qu’elle n’a jamais été totale. Bien des pays et des régions du monde lui ont échappé parce que dépourvus d’« avantages comparatifs » intéressants (soit que ces avantages aient toujours été « naturellement » absents, soit qu’ils aient été ravagés, par les changements climatiques notamment), ou pas encore suffisamment « pacifiés ». Ce sont d’ailleurs ces pays et ces régions qui fournissent des flux de plus en plus importants de migrants.

Même à l’intérieur des pays qui ont le plus profité de la mondialisation, les inégalités ont augmenté d’une manière parfois insoutenable. Car qu’est-ce que la mondialisation ? C’est le fait pour un pays, et/ou pour les grandes entreprises de ce pays, de se concentrer dans leur berceau sur les dernières étapes, les plus lucratives, d’un processus de production, et de déléguer l’exécution des étapes antérieures, les moins sophistiquées, et les moins lucratives même si moins coûteuses, à des pays tiers ou à des entreprises sises dans des pays tiers, qui ont des avantages comparatifs idoines et où les salaires, en particulier, sont plus bas. 

Ce mode de fonctionnement de la mondialisation a entraîné la « délocalisation » de nombreuses entreprises occidentales et une « désindustrialisation » massive de nombreux pays occidentaux avancés. Délocalisation et désindustrialisation qui ont entrainé à leur tour l’augmentation, parfois considérable, des taux de chômage et de pauvreté dans ces pays.

C’est dans les fractions des populations des pays occidentaux avancés les plus négativement affectées par les phénomènes de « délocalisation » et de « désindustrialisation » que se sont développées les premières résistances à la mondialisation. 

C’est également dans les mêmes fractions de populations que se sont formées les bases électorales de réactions politiques ultranationalistes, isolationnistes, protectionnistes et xénophobes à cette mondialisation (réactions en tous cas hostiles aux migrants) (1).

Le problème pour les ténors de ces réactions est que le monde est déjà entré dans une nouvelle phase de son progrès technologique, marquée par la tendance à l’automation généralisée grâce, bien entendu, aux développements de l’électronique et de l’informatique, mais aussi d’approches nouvelles telles que l’Intelligence Artificielle, la Robotique, l’impression 3D, etc., ce qu’on appelle désormais « l’industrie 4.0 », sur la base de laquelle on escompte passer à la « mondialisation 4.0 ». Délocalisée ou relocalisée, « l’usine » de demain sera très probablement exempte de présence humaine significative, comme plus que vraisemblablement le sera le « bureau » de demain, voire la « ferme » de demain (2).

Se posent alors à tous les dirigeants du monde des problèmes inédits : Comment répartir la richesse produite ? Comment rémunérer des gens qui n’ont probablement contribué aucun travail à la chose produite ? Qu’est ce qui remplacera le travail comme pilier principal des vies humaines ? Le plaisir ? Mais avec qui ? La famille gardera-t-elle quelque raison d’être que ce soit ? Comment la reproductibilité humaine sera-t-elle assurée ? Quel statut auront les « citoyens ordinaires » par rapport à ceux, une étroite minorité forcément, qui auront la charge de superviser l’ensemble du « système » ? 

  1. Voir l’article de Uma S. Kambhampati, The Whole Idea of Global Value Chains will be Reconsidered after Coronavirus, in The Conversation, April 28, 2020. [The Conversation est une revue électronique].

  2. Sur la mondialisation 4.0 et l’industrie 4.0, voir Subsister et réussir dans la prochaine Ere de Changement, in Urban Hub [Revue électrolique]. 

Demain : II- Vers un globe fracturé

*Ahmed Herzenni est sociologue. Ancien détenu politique, il est l’un des principaux instigateurs de la mouvance maoïste au sein de la Nouvelle Gauche apparue vers la fin des années soixante du siècle dernier. Il a notamment été secrétaire général du Conseil Supérieur de l’Enseignement, puis président du Conseil Consultatif des Droits de l’homme. Ahmed Herzenni est actuellement ambassadeur itinérant de SM Le Roi. 

Couv de l’ouvrage collectif

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