Lee Kua Yew ou le miracle singapourien, une source d’inspiration possible pour le Maroc

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Une politique de fermeté contre la corruption a permis à Lee Kuan Yew de mener à terme sa grande ambition pour Singapour et les Singapouriens

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Les droits de l'homme sont-ils solubles dans la diplomatie ?

Au Maroc, après dix-huit mois de consultations, la Commission Spéciale sur le Modèle de Développement a rendu son rapport à quelques semaines des élections qui auront lieu cette année. Ce document fait un diagnostic exhaustif des entraves qui bloquent le développement de notre pays, et propose des recommandations pour sortir du statuquo, en préconisant un État fort, et un contrepouvoir de la société conséquent. 

Les rédacteurs du rapport, sans se référer directement aux exemples de certains pays asiatiques qui ont réussi leur métamorphose, ont été bien inspirés de proposer ce socle sur lequel les forces politiques marocaines peuvent décliner leurs propres programmes ou feuilles de route. En s’inscrivant dans le long terme, les chantiers stratégiques proposés, rappellent en filigrane certains modèles asiatiques.

L’un des pays qui a impressionné par sa sortie rapide du sous-développement est Singapour qui a été dirigé par Lee Kuan Yew pendant plus de trente ans. D’un petit poste colonial sans ressources naturelles ni humaines, la ville-État est devenue, en une seule génération, l’une des économies les plus florissantes de la planète à telle enseigne que la Chine, sous Deng Xiaoping, s’en est inspirée pour ouvrir le pays communiste au capitalisme. 

Le destin de Singapour peut être résumé à la volonté d’un seul homme, Lee Kuan Yew, politicien providentiel et combatif, qui s’est mis tôt au service du pays. Après avoir fini ses études de droit, il revient à Singapour en 1954 pour exercer le métier d’avocat. Avec un groupe de compagnons, ayant suivi la même éducation britannique que lui, il créa le parti de l’action populaire (PAP) pour apporter les réformes nécessaires dont a besoin le pays.

Le but du parti était au début de constituer un gouvernement autonome pour gérer les affaires de la cité. Le parti remporta les élections de 1959 et obtint l’autonomie à l’exception de la défense et des affaires étrangères. Lee Kuan fût alors Premier ministre et fit face aux Anglais pour obtenir plus de réformes au profit des citoyens pour améliorer l’éducation, le logement, et la santé. 

Après un référendum organisé en 1962, Singapour devient une entité de la fédération de la grande Malaisie. Pour les singapouriens, dont la ville est dépourvue de tous les attributs de richesses et de souveraineté, aucun salut n’est possible en dehors de la fédération malaisienne. Les responsables de ce pays par contre, commencent à s’inquiéter de l’inclusion de Singapour, dont la majorité de la population est chinoise, alors qu’ils prônent, en Malaisie, une politique favorisant les malais musulmans. 

Des émeutes raciales éclatent dans la fédération de Malaisie en 1964. Les deux premier-ministres, malaisien et singapourien, tentèrent d’éteindre le feu et proposèrent, en vain, des solutions pour sortir de la crise. Face à l’impasse, la Malaisie prend l’initiative d’exclure Singapour de la Fédération, qualifiant son gouvernement de manquer de loyauté envers le gouvernement central.

Forcé et ne l’ayant pas souhaité, Lee Kuan Yew signe l’accord de séparation en 1965, tout en maintenant avec la Malaisie la coopération dans certains domaines pour la survie des singapouriens. La ville est dans une pauvreté absolue : manque de cadres compétents, absence d’infrastructures et de moyens financiers adéquats pour subvenir aux besoins d’une population de la ville estimée à l’époque à 2 millions d’habitants.

Lee Kuan vit un moment d’angoisse, dira-t-il plus tard : J’ai cru en l’union avec la Malaisie, nous sommes les deux un seul peuple lié par la géographie, l’économie et des liens de parenté. Ceci détruit tout pour quoi nous avons lutté. Ses biographes relèvent qu’il tomba malade pendant plusieurs jours et ne dormit plus durant des nuits tellement la situation de Singapour était désespérée et sans issue.

 Le Premier ministre britannique Harold Wilson s’en inquiéta auprès de lui et entendit de la part de Kuan Yew cette réponse : mes collègues et moi, sommes des personnages sains et rationnels avec nos moments d’angoisses. Nous mesurons toutes les possibles conséquences avant d’entreprendre la moindre action sur l’échiquier politique. Ses premiers pas à l’international furent la demande de reconnaissance de Singapour comme nouvel État par la communauté internationale et son admission à l’ONU.

Kwan Yew s’inspira du modèle suisse pour instaurer une politique internationale de neutralité à l’égard des conflits régionaux et internationaux, et du modèle israélien pour les questions sécuritaires et militaires. Il mena, au niveau intérieur, une politique de fermeté contre la corruption en introduisant une législation donnant au Bureau d’Investigation des pratiques corruptives, le plein pouvoir pour procéder à des arrestations et condamnations de tout responsable corrompu.

Il aligna les salaires des ministres et hauts responsables sur ceux du secteur privé pour attirer les meilleurs profils. L’enseignement fût revalorisé en engageant des enseignants de qualité pour éduquer la nouvelle génération, avec des motivations salariales conséquentes, couplées à des exigences sur les résultats. La population fût contrainte à limiter les naissances à deux enfants, et les systèmes de santé et de logement ont été développés pour améliorer la qualité de vie des citoyens.

Durant ses trente ans au pouvoir, Kuan Yew a été réélu à sept reprises.  Quand il s’est retiré du gouvernement, il garda un droit de regard sur les décisions stratégiques de l’État. Même sur mon lit de mort, même si vous êtes en train de m’enterrer, si je sens que quelque chose ne va pas bien, je me lèverai a-t-il affirmé une fois en forme de boutade. Et d’ajouter : J’ai trouvé mes successeurs. Ils sont là et leur objectif est de trouver à leur tour leurs successeurs. Il doit y avoir un renouveau continu des talents dévoués et honnêtes.

Face aux critiques des pays occidentaux sur les droits de l’homme, Kuan Yew n’en avait cure. Ce qui primait pour lui c’était le bien-être des singapouriens, leur prospérité et leur sécurité. Il a établi les châtiments corporels pour plusieurs délits pour ne pas encombrer les prisons, et garantir la sécurité des citoyens jour comme nuit. Avec une forte intervention de l’État, Singapour est devenu la place où il fait bon d’investir et vivre.

De 400 dollars par habitant au moment de l’indépendance, à 36.378 actuellement, Singapour dépasse, et de loin, les pays de la région, y compris la Malaisie dont il faisait jadis partie. Son PIB est actuellement supérieur à celui de la Malaisie (372 milliards USD contre 336). Cette synthèse a été orchestrée par un homme, Lee Kuan Yew, animé par une volonté politique inébranlable de réussir contre vents et marées. Pour qu’un pays ne disposant pas de gisements pétroliers, puisse installer des raffineries, importer du pétrole brut et le réexporter raffiné, c’est la démonstration que quand la volonté politique est là, tout devient possible. 

12 Juillet  2021.

 

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