société
Moi vouloir justice pour Omar Raddad
Omar Raddad avec son avocate Me Sylvie Noakovitch
« Moi vouloir justice pour mon compatriote », ainsi commençait en français bougnoule mon article aux débuts de l’affaire Omar Raddad, en résonnance à l’infinitif de l’inscription « Omar m’a tuer », prêtée à Ghislaine Marshal présumée victime du jeune jardinier marocain.
Au Maroc l’affaire prend vite des dimensions existentielles. Des années bien avant le « nous sommes tous Américains » qui a suivi les attentats du 11 septembre, c’est un « nous sommes tous des Omar » qui parcourt l’opinion publique nationale.
Rapidement aussi, elle devient une affaire de politique intérieure. Le Prince Moulay Hicham y met son grain. Le célèbre avocat Jacques Vergès, adepte de la stratégie de défense de rupture qui ne fera pas que du bien à la démonstration de l’innocence de Raddad, est invité à l’émission L’Homme en question marquée par un mémorable accrochage avec l’animatrice de l’émission Samira Sitaïl. 2M réalisera à cette occasion l’une des meilleures audiences de son histoire.
Le Roi Hassan II prend l’affaire en main. Jacques Vergès dont la défense du criminel de guerre nazi Klaus Barbie avait déteint sur le procès, s’éclipse. Mais l’affaire est déjà pliée. Omar Raddad est condamné en 1994 à 18 ans de réclusion, sans possibilité de faire appel à l'époque. Il faudra attendre l’élection de Jacques Chirac pour voir le président français fort probablement par amitié pour le défunt Souverain, accorder au jardinier marocain une grâce partielle suivie d'une libération conditionnelle en 1998.
Le condamné, lui, n’en démord pas, il est innocent et ne veut qu’une obsession : se faire blanchi d’un meurtre qu’il n’a pas commis.
Scène de crime
Depuis trente, l’affaire qui a inspiré romans, films et essais dont le plus percutant est « Omar : La construction d’un coupable » de Jean Marie Rouart, aujourd’hui membre de l’Académie française, qui ne cesse depuis de militer pour la réhabilitation du jardinier marocain, continue de secouer régulièrement le bocal judiciaire français.
Le 24 juin 1991, Ghislaine Marchal, est trouvée morte dans la cave d’une dépendance de sa villa. Les constatations du médecin légistes faites sur place ne laissent pas l’ombre d’un doute. Cinq coups violents à la tête, assénés pour tuer, une plaie en V à la gorge, dix plaies au thorax et à l’abdomen provoquées par une lame effilée et à double tranchant dont une a provoqué une éventration et trois ont transpercé le foie, deux plaies derrière la cuisse gauche, des blessures et fractures aux mains, une phalange presque arrachée etc.
Sa conclusion, confiée à une journaliste, est catégorique : la victime ne s’est jamais relevée, succombant rapidement par hémorragie.
Et pourtant ! C’est cette femme, âgée, qui, aux dires des gendarmes, a trouvé en elle la force de se barricader dans la cave, et l’énergie d’écrire à l’encre de son sang la fameuse inscription « Omar m’a tuer ».
Un début de fiction qu’Agatha Christie n’aurait pas renié pour son détective Hercule Poirot. A la différence près que la perspicacité dont Agatha Christie a affabulé son détective fétiche l’aurait poussé à ne pas s’arrêter aux apparences. Pas les gendarmes français de 1991.
A leur décharge toutefois des circonstances atténuantes : Les deux principaux personnages de ce mauvais film avaient chacun les attributs de son rôle.
Ghislaine Marchal, riche veuve de 65 ans, cruciverbiste accroc aux mots croisés et à la lecture, offrait le profil de la victime parfaite. Et peu importe si son amour pour les mots et leurs définitions ne l’a tout de même pas empêchée de commettre une faute d’accord dans Omar m’a tuer.
Omar Raddad, lui, avait la tête de l’emploi : maghrébin, traits fermés et dur, regard inexpressif à ses début de coupable idéal, qui s’adonne aux machines à sous, suffisamment pour en déduire qu’en manque d’argent pour jouer, il a peut-être voulu en soutirer à son employeuse et devant son refus l’a sauvagement tué. Sans qu’aucune preuve, hormis l’inscription, ne le relie au crime.
C’est au fond cette mauvaise conjonction des astres qui a suffi pour le condamner à 18 ans de réclusion criminelle, dont il passera sept à repasser le film du destin qui l’a conduit du Maroc à Mougins dans les Alpes maritimes. Au bout de la bobine, il n’a plus qu’une obsession en quittant le bagne, trouver la preuve de son innocence et obtenir sa propre réhabilitation.
Ce que Voltaire a dit…
Une lueur d’espoir avait percé en 1999. Une requête en révision et des expertises graphologiques ont conclu à l'impossibilité d'attribuer l'inscription à Ghislaine Marchal. Elles ont aussi permis la mise en évidence de deux ADN masculins non-identifiés. La cour de révision ne l’entendra pas de cette oreille. Le doute qui bénéficie généralement aux accusés, n’a pas fonctionné et Voltaire qui disait qu’il vaut mieux cent coupables en liberté qu’un seul innocent en prison, pouvait aller revoir ses classiques.
Aujourd’hui de nouveaux éléments sont apparus. Un rapport de 2019, analysant des découvertes ADN faites en 2015, a vu le jour : quatre empreintes génétiques, correspondant à quatre hommes non-identifiés, avaient été trouvées sur deux portes et un chevron de la scène du crime. Des éléments forts qui devraient normalement suffire amplement pour donner suite à la requête déposée par Me Sylvie Noachovitch.
L’argumentaire de l’avocate renvoie la France et sa justice à une image qu’elles n’aimeraient pas d’elles-mêmes pour peu qu’elles se souviennent encore des principes inscrits au fronton de la République : Liberté, Egalité, Fraternité. "Ne croyez-vous pas qu'il est important de savoir à qui sont ces ADN ?’’ interroge-t-elle faussement naïve avant d’asséner le coup qui fait mal et en dit long : ‘’Dans l'affaire du petit Grégory, tous les moyens sont mis en œuvre. Dans l'affaire Raddad, il le faut aussi" !
Oui, mais il y a un os. La justice française n’aime pas se déjuger. «Les révisions de condamnations pénales, rappelle l’agence de presse française AFP, restent rares en France dans les affaires criminelles : depuis 1945, une dizaine d'accusés seulement ont bénéficié de leur vivant d'une révision et d'un acquittement.» Toute la question est donc de savoir si cette fois-ci la justice française sera au rendez-vous de ses idéaux. Ou fera-t-elle faux bond au philosophe des lumières François-Marie Arouet, alias Voltaire, si cher à l’actuel Garde des sceaux Eric Dupont-Moretti ?