société
Nuages sans rives d’un confiné – Par Rédouane Taouil
A l'opposé des oiseaux, les hommes se cachent pour survivre, consent, à son corps défendant, un confiné.
Pèlerins gris du ciel, fraternels nuages
Sur la steppe d’azur vous errez d’un vol lent
Exilés comme moi, votre voyage éternel
Vous entraîne du Nord au Midi Brûlant
Mikhaïl Lermontov
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Au commencement, il n'est ni verbe, ni main dans la main ; il est la distance et la fin -soliloque un confiné.
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« On transforme sa main en la mettant dans une autre », clame Eluard. Un confiné regrette d'être devenu immun à pareille maxime.
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De couvre-feu à couvre-feu, de nuits désertes à hiver ténébreux, un confiné demande par la voix d’Apollinaire, de rallumer les étoiles.
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A l'opposé des oiseaux, les hommes se cachent pour survivre, consent, à son corps défendant, un confiné.
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Les yeux du confiné sont clos. Les salles obscures lasses du couvre-feu. Bertrand Tavernier s'éteint. Il est autour de minuit.
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Le lexique du confiné s'enrichit d'un nouvel oxymore, à l'image du lait noir ou de l'éclair qui dure : confinement à l’extérieur.
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Un confiné se plaint de passer inaperçu. Son masque le rassure : à l’image de l’amoureux, tu te fais trahir par tes yeux.
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Privé de ses verres de contact dans les débits de boisson, un confiné se perd à tâtonner à midi comme à la tombée de la nuit.
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Un confiné se plaint du manque de compassion. Le virus lui enjoint de se regarder dans son miroir.
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Assailli par les écrans, privé des salles obscures, un confiné plonge dans le souvenir des esquimaux glacés et des ouvreuses.
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Sous les masques, les visages sont les mêmes. Des visages de tous et de personne.
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« Il faut sans cesse se battre pour voir ce qui se trouve au bout de son nez ». Un confiné reste sourd à cet appel d’Orwell. Son masque le lui interdit.
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Un confiné croise ce qu'il était en 2019. En proie à moult superstitions, il n'ose lui souhaiter une heureuse année.
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Sonné par le bruit assourdissant sur le virus, un confiné soliloque : les dégoûts et les couleuvres ne se discutent pas.
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« Nous craignons plus l’accablant ennui que la suprême mort ». Maxime d’un confiné lecteur de La ferme africaine de Karen Blixen.
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Obnubilé par les chiffres, un confiné s’est mis à la terrasse de son café préféré pour compter les survivants parmi les clients et les passants.
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Incrédule, un confiné s’étonne qu’il existe encore un ciel bleu, des sourires, des rêves et des terrasses de café.
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Il n’est de chemin que de pas, chuchote Antonio Machado à un confiné. Celui-ci poursuivit son bonhomme de chemin et son pas achoppa.
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Le confiné et son masque se sentent de plus en plus complices, mais refusent de se jurer fidélité.
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Le masque est une corde au cou, confesse un confiné à l’insu de son encombrant accessoire.
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Un nuage se promène gerbe d’étoiles à la main. Pénombre au cœur, un confiné l’implore de souffler sur ses lueurs.