RETOUR SUR LE ''WOKISME''- Par Mustapha SEHIMI

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Le wokisme a une force dès le départ: il était fondé sur des revendications légitimes : lutte contre les inégalités, les injustices, les discriminations voire les persécutions. Il a ainsi gagné un certain capital de sympathie auprès des opinions publiques. Mais pose un problème : celui de sa dérive vers une autre dimension. Une forme de radicalité et d'extrémisme.

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"Woke", "wokisme": un mouvement avec au départ des revendications légitimes (lutte contre les inégalités, les injustices, les discriminations aussi). Une déconstruction de la société. Elle nourrit aussi l'antiwokisme qui se prolonge comme courant réactionnaire dans une longue tradition paranoïaque.

Le "wokisme" ? C'est le nom donné au mouvement "woke" ("éveillé" en français). Un principe : "rester éveillé". Cela veut dire à un premier degré d'analyse avoir conscience des inégalités sociales et de racisme. Il nous vient des États-Unis. Il s'est inscrit au départ dans le mouvement de lutte des Afro- Américains en faveur de l'accès aux droits civiques. Son origine est historiquement datée: celle du discours du pasteur Martin Luther King, en juin 1965, à 1' Université d'Oberlin, exhortant les étudiants à rester éveillés ("remaining awake") face aux discriminations et aux injustices. Un mot d'argot donc qui s'est transformé en " to be woke" avant d'être repris en 2008 par la chanteuse afro-américaine, Erykah Badu, dans sa chanson "Master Teacher" - ce sera alors sa popularisation auprès de la jeunesse américaine. L'expression rebondit avec le mouvement "Black Lives Matter", créée en 2013 en réaction à l'acquittement d'un vigile, Georges Zimmerman, responsable de la mort du jeune Afro-américain, Trayvon Martin. Un acte toujours présent dans la mémoire collective. Il a ainsi déclenché une vague de contestation nationale dénonçant le racisme systémique ainsi que les violences policières subies par les Afro-Américains. 

Au départ, des revendications légitimes

Autre évènement encore plus emblématique : la mort de Georges Floyd, Afro-Américain lui aussi, asphyxié par Derek Chauvin, un policier blanc, en mai 2020. Une mort tragique filmée et diffusée à grande échelle et qui a provoqué une grande indignation internationale. Cette vague de contestation ne s'est pas limitée en effet aux États-Unis ni à la question du racisme: tant s'en faut. Elle s'étend à d'autres pays; plus encore, elle va agréger des minorités estimant elles aussi être victimes de discriminations, d'injustices et de violences. L'on y retrouvera des minorités ethniques - telles que les Afros -Américains, aux États-Unis, ou celles issues des anciennes colonies comme en France et en Angleterre; mais également des minorités sexuelles - des gays, des lesbiennes, des personnes transgenres ainsi que des femmes  revendiquant leur appartenance à un féminisme se voulant moderne. Le Wokisme prend alors naissance; il devient un mouvement international, limité cependant aux pays occidentaux…

Le wokisme a une force dès le départ: il était fondé sur des revendications légitimes : lutte contre les inégalités, les injustices, les discriminations voire les persécutions. Il a ainsi gagné un certain capital de sympathie auprès des opinions publiques. Mais le problème est le suivant: celui de sa dérive vers une autre dimension. Laquelle ? Une forme de radicalité et d'extrémisme; l'influence du concept de "déconstruction" attribuée à des philosophes français dans les années 60 et 70 (Roland Barthes, Jacques Derrida, etc.). Il faut relever ici que seule la civilisation occidentale fait l'objet des activités déconstructrices ; que celle-ci est l'incarnation supposée de volonté de puissance et de domination; qu'elle est accusée d'être matrice désignée de l'exploitation capitaliste et de l'impérialisme colonial et néocolonial; et qu'elle est l'arme intellectuelle censée permettre de dévoiler l'insoutenable "face cachée" de l'Occident. Le racisme et le sexisme qui en sont les marqueurs sont considérés comme ses héritages culturels à dénoncer. Et à abolir à terme.

"Panique morale"

Il y a eu un temps de l'indigénisme, puis l'islamo-gauchisme et le concept "cancel culture" - une pratique apparue aux États-Unis consistant à ostraciser des individus, groupes ou institutions responsables d'actes de comportements ou de propos perçus comme inadmissibles. Le "wokisme" n'a pas manqué d'être instrumentalisé par les milieux d'extrême-droite. Comment ? En disqualifiant de manière péjorative tout un ensemble de forces contestataires issues des minorités ou des populations minorisées. En France en particulier, il a été utilisé pour tenter de faire taire certains courants critiques dans les domaines de recherche en sciences humaines et sociales questions de genre, d'identité sexuelle de discrimination fondée sur l'appartenance religieuse, ethnique etc. L'on a même parlé de "panique morale", référence étant faite à des épisodes d'inquiétude collective détachée de la réalité de la menace. Cela s'est traduit également par un sentiment de rejet, de répulsion et de colère à l'égard d'individus et de groupes étiquetés comme déviants et dangereux. Une crainte particulière : celle d'un phénomène remettant en cause les fondements du " vivre ensemble" et dont la cause est imputée à un groupe d'individus traités comme un bloc et diabolisés. 

Une longue tradition paranoïaque

A noter encore que cette panique morale se présente comme un nouveau fléau. Sauf qu'elle s'inscrit et prolonge une longue tradition paranoïaque avec le notamment pour cible les francs-maçons, les catholiques, les juifs, les homosexuels et les communistes, réels ou fantasmés d'ailleurs. Il faut y ajouter les immigrés et les musulmans...

L'antiworkisme ce n'est pas un concept conséquent mais il a pris place dans le champ médiatique et politique, rappelant l'anticommunisme d'antan. La tendance est d'y inclure tout, et surtout n'importe quoi; l'on en parle parce qu'on en parle. Ce que le sociologue Pierre Bourdieu appelait " la circulation circulaire de l'information". Il va au-delà de l'éveil des consciences autour notamment des questions de genre et de l'antiracisme; il a été pratiquement dénaturé par des polémistes qui l'ont transformé en épouvantail au regard de l'opinion publique Une pratique réactionnaire constituant un danger pour la société et même pour la civilisation.