Des élections générales sud-africaines sur fond de morosité

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Une militante du nouveau parti politique uMkhonto weSizwe (MK) tient une lance et un bouclier traditionnels lors du dernier rassemblement du MK à eMalahleni le 26 mai 2024 avant les élections sud-africaines prévues pour le 29 mai 2024. La Cour constitutionnelle sud-africaine a statué le 20 mai 2024 que l'ancien président Jacob Zuma n'était pas éligible à l'Assemblée nationale lors des élections générales de la semaine prochaine. (Photo par Michele Spatari / AFP)

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Par Hamid AQERROUT  (Bureau de MAP à Johannesburg)

Près de trois décennies après la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, le processus de réconciliation nationale s’est ralenti en raison des nombreux défis auxquels la nation arc-en-ciel est toujours confrontée, avec en tête la pauvreté, un taux de chômage record (33%), des inégalités sociales criardes, une criminalité endémique et une corruption ancrée et le reste à l’avenant.

Alors que les élections générales du 29 mai courant augurent de surprises et de changements profonds de la carte politique du pays, nombreux sont ceux qui doutent encore que les urnes peuvent apporter les changements tant escomptés, les sondages montrant la méfiance de la majorité des Sud-africains à l’égard de leurs hommes politiques et particulièrement du Congrès National Africain (ANC) qui monopolise le pouvoir depuis trente ans.

Oubliée l’époque où ils étaient aveuglés par des promesses creuses et incités à voter pour un parti en raison du lavage de cerveau générationnel, les Sud-africains, particulièrement les jeunes, en ont assez de la corruption, des délestages électriques récurrents, des pénuries d’eau et du manque de leadership avant-gardiste.

Trente ans après la Journée de la Liberté, qui militait pour les droits humains fondamentaux, de nombreux Citoyens luttent toujours pour accéder à l’eau et à l’électricité. Ces problèmes leur rappellent obstinément l’attitude du gouvernement de l’ANC en matière de responsabilité.

Une amère réalité que même le Président Cyril Ramaphosa a été contraint de reconnaitre en déclarant à l’occasion de cette Journée, commémorée le 27 avril, que la pauvreté, le chômage et les inégalités définissent encore la vie de millions de citoyens en Afrique du Sud, 30 ans après l’abolition du régime ségrégationniste de l’apartheid.

Les pièges systémiques de l’apartheid toujours en place

Une grande partie des pièges systémiques de l’apartheid sont encore fermement en place, 30 ans après. De nombreux habitants, notamment dans les townships, parlent de marginalisation comme du reflet de leurs expériences communes d’exclusion et d’aliénation.

D’aucuns soutiennent que leur désir de liberté et de restauration de leur humanité et de leur dignité a été trahi par le parti au pouvoir. Dans le quartier historique de Soweto, à Johannesburg, le chômage croissant des jeunes, les infrastructures délabrées et mises à rude épreuve et la pauvreté sont pointés du doigt. Inquiets du manque de services de base, de nombreux citoyens de la métropole économique affichent leur scepticisme quant à l’avenir de leur pays.

C’est dire que les inégalités économiques sont si profondes que les réalisations des dix premières années depuis l’avènement de la démocratie "ont été effacées". En conséquence, le processus de réconciliation nationale en pâtit également, comme en attestent d’ailleurs la ségrégation et les disparités sociales encore flagrantes dans un pays qui se considère pourtant comme la première puissance économique dans le continent.

Impuissants face à un parti-Etat qui étend son hégémonie à la sphère économique et à toutes les institutions du pays, à travers la politique de déploiement des cadres et la capture de l’Etat, les citoyens lambda n’ont d’autres choix, hélas, que de constater les dégâts. Leur pays se trouve à la croisée des chemins : Les choses qu’ils tiennent pour acquises sont en train de s’effondrer et les tensions augmentent en ce qui concerne les questions raciales, mais surtout les inégalités économiques.

Faut-il rappeler à ce propos que l’Afrique du Sud est le pays où l’inégalité des revenus est la plus forte au monde, avec un coefficient de Gini d’environ 0,67 sur 1. Les inégalités économiques se traduisent par un taux de chômage élevé, officiellement de 32,9 %. Un chiffre qui ne prend toutefois pas en compte les personnes qui ont cessé de chercher un emploi. De surcroit, la plupart de ceux qui travaillent ont de faibles revenus, à tel point que les 10 % des ménages sud-africains les plus riches sont responsables d’environ 52 % des dépenses totales du pays. Les 10 % de ménages les plus pauvres ne contribuent qu’à 0,8 % des dépenses totales.

Sur le plan macroéconomique, les économistes ont averti contre le dérapage budgétaire qui pourrait encore s’accélérer et le déficit budgétaire national qui devrait s’aggraver plus que prévu. Le budget de cette année prévoit une dette brute à 74,7 % du produit intérieur brut (PIB), alors que la dette publique globale pour 2024-2025 devrait grimper jusqu’à 290 milliards de dollars (5.500 milliards de rands) avec des coûts de financement s’élevant à environ 20 milliards de dollars, soit plus d’un milliard de rands par jour.

De l’avis de nombreux experts économiques, la responsabilité principale de cette situation incombe indubitablement au système politique qui est incapable de se régénérer et de juguler la corruption rampante en son sein.

Bien évidemment, le système économique et la société civile ont également leur part de responsabilité, notamment pour ne pas avoir su s’opposer aux dérives de la politique et rester silencieux face à la capture de l’Etat, à la corruption endémique et à la mauvaise gouvernance.

Reste à savoir maintenant si le désir inéluctable d’un changement pour de meilleures perspectives, d’opportunités et d’un leadership incitera les Sud-africains à se rendre aux urnes pour élire les membres de l’Assemblée nationale, qui éliront ensuite le Président de la république. (Avec Quid)

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