Tan-Tan, les voix du désert : traditions, poésie et lumières au cœur du Moussem 2025

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Le Moussen de Tan Tan figure la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité depuis 2008 (originellement proclamé en 2005)

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Sous les cieux vastes de Tan-Tan, Assia Makhloiuf nous plonge dans la 18ème édition du Moussem déployant son souffle vivant. Entre musiques populaires, poésie féminine, artisanat nomade et spectacles lumineux, l’événement réaffirme l’universalité de la culture saharienne dans toute sa splendeur.

Par Assia Makhlouf

Bir Anzaran : fusion des rythmes et des générations

Sur la scène vibrante de la place Bir Anzaran, des milliers de spectateurs ont assisté à un véritable voyage musical où les voix du Maroc contemporain ont croisé les sonorités ancestrales du Sahara. Le chanteur populaire Abdelaziz Stati a enflammé la soirée avec ses chansons intemporelles, réinterprétées avec une fougue inégalée. Son violon, prolongement de son corps, a tissé un dialogue invisible avec le public.

La scène a ensuite cédé place aux jeunes voix de la troupe Zineb El Jari, qui ont su marier la fraîcheur des arrangements modernes à la profondeur des thèmes populaires. Le Tarab Hassani a trouvé son souffle grâce à la troupe Ould Amidi, offrant une prestation émotive et racinée dans le patrimoine local.

Moment d'énergie brute et contemporaine, le set de Mr. ID (Abderrahman) a injecté une pulsation électronique dans la veine musicale du Moussem. Mêlant beats modernes et fragments de musique traditionnelle, l’artiste a créé une alchimie sonore qui a transporté l’auditoire jusqu’à un spectacle de drones lumineux : formes géométriques dansant dans le ciel noir, comme un adieu poétique aux terres sahariennes.

Tebraâ : l'éloquence féminine

Le colloque consacré au "tebraâ" a mis au centre du débat la voix longtemps feutrée mais puissante des femmes sahraouies. Cette poésie exclusivement féminine, faite de vers chuchotés, composés avec retenue et finesse, est un art de l’amour caché, de la pudeur assumée et de la liberté d’expression codée.

Les intervenantes, parmi lesquelles Oum El Fadl Ma El Aïnin et Khadija Laâbid, ont souligné l'évolution du tebraâ vers des thèmes comme l'éloge, la nostalgie ou la revendication identitaire. Jadis cantonné aux cercles clos des femmes, ce genre poétique sort désormais de l'ombre grâce aux travaux de documentation, de traduction et à sa mise en scène dans des espaces publics.

Le tebraâ n'est pas seulement un corpus littéraire ; il est une mémoire affective, un acte de résistance douce à la norme, et un exemple frappant du génie linguistique des femmes hassanies. C’est par ce biais que la femme sahraouie dit l’amour, la douleur, le manque ou la fierté, à travers des images poétiques d’une précision redoutable.

L'artisanat féminin : mémoire en fil et en poil

Dans les allées du Salon régional de l'artisanat, les visiteurs découvrent un autre visage du patrimoine vivant : celui que les femmes de Guelmim-Oued Noun transmettent de leurs doigts. Le tissage de tentes sahraouies, l’orfèvrerie utilitaire et les objets de la vie nomade racontent une histoire de persévérance, d’identité et d’esthétique.

El Jila Mazine, présidente de la coopérative Ali Mazine, explique comment chaque bande tissée, chaque poil de chameau lavé et filé, devient une archive silencieuse du mode de vie bédouin. Le filage, long et exigeant, n’est pas qu’un travail : c’est une liturgie du quotidien.

Les coopératives présentes ne sont pas de simples exposants. Elles sont les dépositaires d’une mémoire incarnée. Leurs objets sont porteurs de formes, mais aussi de fonctions, de symboles et de poésie utilitaire. Par leurs gestes, ces femmes offrent une résistance au temps et au silence.

L'esprit du Moussem : entre terre et ciel

Le Moussem de Tan-Tan n'est pas un festival comme les autres. Il est un espace-temps où l'identité nomade devient visible, tangible, fédératrice. Inscrit depuis 2008 sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l'humanité par l'UNESCO, il est une arche entre traditions et avenir, entre transmission et création.

Conférences, compétitions de traite de chamelles, expositions agricoles, tbourida, course de dromadaires… chaque moment est une respiration de la culture saharienne dans sa totalité. L’édition 2025 résonne comme un plaidoyer pour la durabilité culturelle, l’ancrage féminin et la reconnaissance des savoir-faire populaires.

En filigrane, la présence renouvelée des Émirats arabes unis et les engagements de l’UNESCO rappellent que le local devient universel quand il est porté avec authenticité.

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