chroniques
Il y a 25 ans, disparaissait Ali Yata, une vie entière de combat - Par Abdeslam Seddiki.
De D à G : Ali Yata (PPS), Mhmmed Boucetta (Istiqlal), Mohamed Bensaid Aît Idder (OADP) et Abderrahmane El Youssoufi (USFP) lors d’un rare moment de re-convergence des composantes du Mouvement national. Seul Ait Idder est encore de ce monde. Ali Yata après toute une vie entière consacrée au combat pour la libération nationale, le triomphe de la démocratie et la défense des intérêts des masses laborieuses, nous a quittés le 13 août 1997.
Nous commémorons le vingt-cinquième anniversaire de la disparition d’une grande figure du mouvement de libération nationale, d’un dirigeant révolutionnaire qui a marqué de son empreinte des générations entières de Marocains et de jeunes militants. Et c’est avec une profonde émotion, et une grande modestie que je tiens à lui rendre hommage et à m’incliner respectueusement devant sa mémoire.
Le défunt Si Ali, a consacré plus d’un demi-siècle à combattre sans relâche et à militer sur tous les fronts pour faire valoir les causes auxquelles il a cru dès son jeune âge. L’hommage que je tiens à lui rendre dans quelques paragraphes n’a nullement la prétention de retracer le parcours de ce dirigeant dans ses divers compartiments, un parcours nourri par des luttes incessantes sur tous les fronts. Durant cette période, il a enduré plusieurs épreuves allant jusqu’à l’emprisonnement et l’exil. Ce qui ne l’a pas empêché de poursuivre son combat avec plus d’intensité et de détermination en défiant tous ses adversaires. Il nous a montré, par sa persévérance et sa ténacité que la voie vers le changement démocratique est sinueuse et pleine d’embûches mais elle ne doit pas absolument nous décourager.
La théorie et la pratique, en bon marxiste
Il était un dirigeant complet qui allie la connaissance théorique et la praxie. En ce sens, ses contributions théoriques sur un certain nombre de problématiques demeurent d’actualité comme le compromis historique, la Révolution Nationale Démocratique, la question nationale. Mais la pensée pour lui est un guide pour l’action. Il était souvent sur le terrain à l’écoute des gens et de leurs doléances. En tant que parlementaire de Casablanca, son bureau ne désemplit pas. Il trouvait le temps de recevoir quotidiennement des dizaines de personnes de toutes catégories sociales.
L’étude d’un tel parcours doit faire l’objet de plusieurs recherches universitaires dans lesquelles s’investissent des historiens, des politologues, des sociologues afin de produire un substratum théorique qui viendrait enrichir notre patrimoine culturel et immortaliser la pensée et la pratique de ce grand dirigeant qui a tant donné à son pays avec générosité et désintérêt.
J’ai eu la chance, à l’instar de plusieurs militants, de connaitre Si Ali relativement tôt : vers la fin des années 70 du siècle dernier et de travailler à ses côtés à la fois en tant que collaborateur du journal Al Bayane dont il était le Directeur, en tant que membre de la commission économique que présidait le regretté Professeur Aziz Belal, et par la suite en tant que Membre du Comité Central du Parti à l’issue du troisième congrès national.
Ali Yata, l’éditorialiste
En tant que journaliste talentueux, Si Ali avait une manière propre à lui d’écrire. Ses éditoriaux, rédigés dans un style limpide et une profondeur théorique débarrassée de tout pédantisme faussement intellectuel, exprimaient les positions du parti avec la plus grande clarté et sans concession aucune. C’est cette démarche qu’il a essayé de transmettre à tous les militants qui collaboraient au journal dans ses deux éditions. Il veillait en tant que Directeur du journal à assurer quotidiennement la coordination entre les différentes contributions et la cohérence du journal pour offrir au lecteur un produit de qualité, non au niveau du papier et de présentation, mais par son contenu et ses analyses. Pour assurer cette continuité, SI Ali organisait chaque jour (vers 10 h du matin) la réunion du comité de rédaction formé d’une poignée de militants tous volontaires. A l’ordre du jour : l’évaluation de l’édition du jour et la préparation de la Une pour la prochaine édition du lendemain, en échangeant sur le sujet de l’éditorial et en invitant chaque camarade à décliner le sujet sur lequel il compte disserter. Tout cela se déroulait dans un climat empreint de camaraderie et d’esprit de famille. Si des fois Si Ali se trouvait obligé de faire une observation, voire une critique, à tel ou tel camarde, il le faisait calmement, délicatement et avec panache. En somme, le camarade Ali Yata nous a appris l’art de la critique constructive et de la rigueur intellectuelle. Et c’est ce qui a fait la force du journal jusqu’à aujourd’hui.
A lui seul un groupe parlementaire
Au cours de différentes réunions que nous avions tenues avec SI Ali au niveau de la commission économique du parti lors de l’examen annuel de la loi des finances, j’ai été frappé par son esprit de synthèse et sa capacité à saisir la complexité des problèmes, à établir des liens entre différents niveaux et à séparer l’essentiel de l’accessoire, l’utile du futile. Ainsi, à la veille d’une réunion de la Commission parlementaire des finances, il nous a invités, nous membres de la Commission économique, pour un brainstorming au cours duquel chaque camarade devait exposer son point de vue sur un aspect de la loi de finances. Suite à ce travail de défrichement, Si Ali s’est mis par la suite au travail, pour produire un document exhaustif de plusieurs pages sur la question et qu’il avait présenté devant la commission parlementaire avant de le publier sur les colonnes du journal. Seul un Homme de la trempe de Si Ali pouvait réussir une telle prouesse. D’ailleurs, à lui seul au parlement, durant la première législature, il faisait plus que le travail d’un groupe parlementaire : présent dans toutes les commissions, intervenant sur tous les sujets examinés en laissant des traces écrites, tout en prenant le risque de rentrer tard chez lui à Casablanca en conduisant lui-même sa voiture.
Ssi Ali le régulateur et l’homme des compromis historiques
Comme Secrétaire Général du parti, il a inculqué aux militants un savoir-faire mais aussi un savoir-être. Appartenant à une génération de dirigeants issus du mouvement national et forgés dans la lutte pour l’indépendance du pays, il avait acquis nécessairement une personnalité distinctive et une aura particulière. Tout en éprouvant un acharnement pour le travail, il savait faire participer l’ensemble des militants et des responsables en évitant de se mêler aux détails laissant à chacun la possibilité d’assumer sa responsabilité élargissant ainsi le terrain du jeu démocratique au sein du parti. Il jouait son rôle de régulateur pour ainsi dire sans interventionnisme excessif. Il avait une forte personnalité, cela ne fait aucun doute, mais il n’imposait jamais son point de vue coûte que coûte. Au contraire, il était attentif à toutes les opinions et admettait la critique en demandant parfois des éclaircissements supplémentaires. Les moments qui m’ont marqué personnellement le plus lors des réunions du Comité Central, ce sont ses réponses aux différentes interventions à la fin de la réunion et la synthèse qu’il arrivait à dégager. Des réponses qui visaient à rapprocher et non à éloigner, à fédérer et non à séparer. Il le faisait avec une voix de maitre et un style alliant souplesse et fermeté. Qui plus est, il n’éprouvait aucune gêne si tel ou tel camarade exprimait un point de vue contraire au sien. Au contraire, cela l’incitait à mieux développer son argumentaire. Qu’un dirigeant cherche toujours à convaincre, c’est ce qu’il y a de plus normal, mais y parvenir avec l’art et la manière comme savait bien le confectionner Si Ali, c’est encore mieux.
Si Ali restera l’Homme des grands compromis. Compromis mobilisateurs et créateurs. Il savait que tout ne s’obtient pas d’un seul trait, mais que chaque acquis obtenu de haute lutte est un stimulant pour les militants pour persévérer et aller de l’avant afin arracher plus d’acquis. La Révolution Nationale et Démocratique, à l’élaboration de laquelle il a largement contribué, s’inscrit justement dans cette problématique du compromis historique entre des forces ne partageant pas la même matrice idéologique et n’ayant pas la même vision du futur.
Il appartient aujourd’hui, à notre parti, à travers notamment la Fondation Ali Yata, de réunir tous les écrits de Si Ali, de les faire connaitre aux jeunes militants et à l’ensemble des citoyens, d’en faire une source d’inspiration pour agir efficacement sur le réel et peser avec force sur le cours de l’histoire dans le sens de l’édification d’une société de justice sociale, de démocratie authentique et de respect de la dignité humaine. C’est pour ces valeurs que SI Ali a consacré l’essentiel de sa vie. A nous tous d’être à la hauteur de cette ambition collective.