Le Maroc, terrain potentiel d’une bombe à retardement migratoire- Par Bilal TALIDI

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La Guardia civil espagnol encerclant les rares migrants qui ont réussi à passer

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Des diagnostics à satiété – Par Bilal TALIDI

L’assaut de la clôture métallique de Mélilia par près de 2000 migrants subsahariens aura permis au Maroc d’en sortir avec d’importants acquis, nonobstant les répercussions politiques, diplomatiques et juridiques de cet incident et leur impact négatif qui a partiellement écorné l’image du Maroc et de l’Espagne.

Il suffit de comparer les positions de Madrid et de l’Union européenne lors de l’entrée en force à Sebta, l’été dernier, par de migrants irréguliers, avec celles exprimées récemment par les deux parties pour réaliser la différence entre les deux positions d’abord, et se rendre compte de l’avancée accomplie par le Maroc dans ses rapports avec ses partenaires.

Une gestion qui a limité les dégâts

Les déclarations des responsables espagnols qui ont salué les efforts sécuritaires du voisin du sud, et souligné la crédibilité et la fiabilité de la partie marocaine dans sa lutte contre l’immigration irrégulière, explicitent une partie de ces acquis. Cette fois-ci, aucune accusation de la part des pays de l’UE ou de Madrid n’a accusé le Maroc de laxisme et encore moins d’avoir planifié cet incident, voire d’utiliser la carte migratoire comme outil de chantage politique dans ses rapports avec l’UE.

Dans le traitement de ce triste épisode, le Maroc a réussi à éviter de manière concomitante deux crises ; la première avec l’Espagne et l’UE et la seconde avec les pays africains. En dépit des manœuvres d’Alger pour pousser l’Union africaine ou certains de ses pays membres à condamner le Maroc et à mettre les relations du Royaume avec les pays du continent en équation, Rabat est vite parvenu à contenir la situation et à reprendre l’initiative. Le ministère des Affaires étrangères et de la coopération en tenant une réunion à son siège avec les représentants du corps diplomatique africain à rabat pour les informer du déroulement des évènements, enregistrements vidéo à l’appui, a permis aux diplomates du continent de se faire une idée juste et précise des faits. L’ambassadeur du Cameroun et doyen du corps diplomatique au Maroc, Mouhammadou Youssifou, a salué, au nom du groupe africain, la politique migratoire du Maroc et son initiative de régulariser la situation juridique des migrants (2013), et condamné par la même occasion l’assaut de la clôture de Mélilia, tout en réaffirmant le soutien des diplomates africains, comme par le passé, aux autorités marocaines dans leur  situation gestion de cet épineux dossier

Il est vrai que le président de la Commission de l’Union africaine Moussa Faki Mahamat a dénoncé «le traitement violent et dégradant de migrants africains» lors de la tentative d’entrée massive à Mélilia, et réclamé à l’ONU une enquête transparente sur ce sujet. Mais au fond, malgré la déclaration du porte-parole des Nations-Unies dénonçant un «usage excessif de la force» contre les migrants africains par les deux pays, ces manouvres ont fait chou blanc dans les couloirs du Conseil de sécurité qui n’a pas adopté de résolution condamnant le Maroc au grand désespoir d’Alger.

L’imperceptible évolution de l’UE

Le plus grand acquis du Maroc consiste en l’évaluation conjointe avec le partenaire espagnol qui partage désormais la même interprétation : l’incident a été initié et planifié par des mafias internationales de trafic des êtres humains et la majorité de ces migrants ont afflué vers le Maroc via les frontières orientales, avec la complicité de l’Algérie si ce n’est avec la planification de ses cercles sécuritaires.

L’année dernière, Rabat avait vivement critiqué l’approche migratoire de l’UE, considérant que celle-ci fait endosser tout le problème aux pays de transit et tente de faire du Maroc, par une mésinterprétation du concept de partenariat, un gendarme au service de l’Europe qui assurerait à lui-seul la sécurité de ses frontières sud.

Cette année a connu une évolution notable, puisque Madrid adopte désormais la vision du Maroc, la défend et essaie d’en convaincre les pays de l’UE.

Le président du gouvernement espagnol Pedro Sanchez a récemment déclaré que le problème migratoire est extrêmement complexe et que l’approche sécuritaire est incapable d’y répondre, estimant que le problème ne réside pas dans les pays de transit, mais dans les pays émetteurs et de destination. Selon lui, la solution à ce problème passe par la contribution de l’UE au développement des pays émetteurs pour les encourager à créer des opportunités d’emploi en vue de stabiliser les migrants potentiels, ainsi que par le soutien des pays de transit pour assumer leur rôle dans la lutte contre ce phénomène.

Le Maroc n’est donc plus seul à plaider pour une approche globale et n’a plus besoin aujourd’hui d’exposer sa vision de l’immigration, ni de critiquer l’approche européenne en la matière, ni de réclamer davantage de soutien pour se doter des moyens lui permettant d’assumer pleinement son rôle sécuritaire professionnel dans la lutte contre l’immigration illégale. Madrid, sauf accident, tient désormais un nouveau discours proche de celui de Rabat, dès lors que la tentative d’assaut groupé contre la clôture métallique de Mélilia, avec ses dangereuses implications sur la sécurité européenne, représente un argument massue pour convaincre les partenaires européens de l’importance de revoir la politique migratoire de l’UE.

Prévoir le pire

Mais malgré les acquis engrangés par le Maroc et la compréhension de la communauté internationale du caractère particulier de la conjoncture dans laquelle cet assaut s’est produit, et quoique Rabat s’en soit sorti sans grands dégâts, cette affaire mérite d’être évaluée de manière stratégique sur le long terme et ne devrait pas être passée en pertes et profits d’une politique conjoncturelle à l’épreuve d’un incident exceptionnel.

Les répercussions de la guerre russe en Ukraine, avec le risque de crise alimentaire qu’elle implique particulièrement pour les pays africains, doublée de la modification partielle de la situation géostratégique dans la région (la situation au Mali) pourraient transformer le phénomène migratoire en une bombe à retardement que certaines parties se réjouiraient de voir le Maroc servir de terrain à son explosion.

Les investigations préliminaires menées par les services sécuritaires marocains et espagnols confirment la main d’Alger dans ces incidents. Peu importe le modus operandi de cette main, ou si l’opération a été menée sur instigation des services de renseignement algériens, ou en complicité avec des mafias de traite des êtres humains, ou par «dumping migratoire» en facilitant l’acheminement vers le Maroc des candidats venus des pays subsahariens ou de pays en proie à l’instabilité politique comme le Soudan. En tout état de causes, le Maroc devrait s’attendre au pire surtout si les efforts onusiens devaient échouer à assurer la sécurité de la chaîne d’approvisionnement en denrées alimentaires et à garantir sa part à l’Afrique.

Anticiper l’avenir

Plusieurs indicateurs militent en faveur de ce scénario inquiétant. Le premier tient au fait que l’Algérie dispose, à la faveur des relations russo-maliennes, d’un certain poids au Mali, pays avec lequel elle partage de larges frontières. Le deuxième est que la Mauritanie n’est pas en mesure d’assurer ses frontières avec l’Algérie et le Maroc. Le troisième suppose qu’une crise de famine en Afrique provoquerait immanquablement des vagues massives d’immigration qui submergeraient les frontières des pays pour affluer vers le Nord, auquel cas le Maroc serait aux avant-postes d’un multiple défi pour plusieurs raisons. D’abord parce que le Royaume est le pays le plus prisé par les migrants africains (économie, développement), et parce qu’il est le plus facile d’accès (forte infrastructure logistique). Ensuite parce qu’il a souscrit, depuis l’adoption de sa politique migratoire en 2013, à une multitude d’engagements juridiques et moraux envers les migrants africains (d’un pays de transit, il est devenu un pays d’accueil). Ou encore en raison des relations fortes et solides qu’il entretient avec les différents pays africains, particulièrement ceux de l’Afrique de l’Ouest. Et enfin parce que le Maroc est le pays le plus proche de l’Europe.

Dans le pire des scénarios, celui de l’échec d’assurer les chaînes d’approvisionnement en denrées alimentaires, le continent africain serait le premier à en subir les contrecoups et le Maroc serait, par conséquent, le terrain le plus indiqué pour l’explosion potentielle de la bombe migratoire.

Devant ce scénario, le Maroc ne dispose pas de beaucoup d’options, si ce n’est l’intensification de la coordination sécuritaire et militaire avec la Mauritanie, l’ouverture d’un dialogue politique et sécuritaire avec l’UE et les différents partenaires à ce sujet, la préparation sécuritaire et militaire pour sécuriser les frontières, orientales notamment, la sensibilisation des pays africains à l’ampleur des défis auxquels le Royaume doit faire face, et la prise en compte d’un exode massif potentiel de migrants en provenance de ces pays. Autant d’éléments qui pourraient servir de plateforme proactive et permettre de contrer un afflux exceptionnel ou à tout le moins de limiter le coût d’une politique ferme pour y faire face.

 

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