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LE SIONISME, AVATAR GOLÉMIQUE DU COLONIALISME - PAR MUSTAPHA SAHA.
Bien que le golem dans la tradition judaïque soit créé pour accomplir une tâche ou servir un but, dans de nombreuses histoires, il devient incontrôlable. Cela peut être interprété comme un avertissement sur les dangers de jouer avec des forces que l'on ne comprend pas pleinement ou de dépasser les limites humaines.
Dans la mythologie juive, le golem est un humanoïde, un monstre hybride, doté d’intelligence artificielle, capable de prodiges, qui met ses capacités herculéennes au service de son maître avant de se retourner contre lui et de le détruire. L’Etat d’Israël, « le plus froid des monstres froids » pour reprendre la formule de Friedrich Nietzsche, est tout simplement un holdup historique, fondé sur un double coup de force, qui n’a aucun rapport avec l’histoire du judaïsme.
La construction idéologique des « Amants de Sion » (Hibbat Zion), mouvement né en Russie en 1881, à l’initiative d’un médecin d’Odessa, Léon Pinsker, érige le « Peuple d’Israël » en communauté élitaire, qui ne peut assumer sa mission de guide que par son « Retour vers Sion » et l’édification de sa nouvelle patrie en Palestine (Léon Pinsker : Auto-émancipation. Avertissement d’un Juif russe à ses frères, 1982, traduction française éditions Mille et Une Nuits, 2006).
Le premier manifeste du sionisme dresse un portrait terrible du Juif : « Le Juif est considéré par les vivants comme un mort, par les autochtones comme un étranger, par les indigènes sédentaires comme un clochard, par les nantis comme un mendiant, par les indigents comme un exploiteur millionnaire, par les patriotes comme un apatride, et par toutes les classes comme un usurpateur détestable ». Dès lors, les associations se multiplient en Europe pour favoriser l’immigration des Juifs en « Terre d’Israël ». En 1884, Tzvi Herman Shapira suggère au congrès de Katovitz la création d’un fond d’achat de terres en Palestine qui devient, par la suite, le Fonds national juif.
Le concept d’Israël évince mentalement et cognitivement le nom de Palestine. S’oublie l’évidence que les différentes collectivités de confession juive dans le monde sont les enfants des pays où ils sont nés, où ils ont fait souche depuis de multiples générations. Haïm Zafrani a démontré, preuves archéologiques à l’appui, que les Juifs maghrébins sont, dans leur grande majorité, des autochtones amazighs judaïsés à l’époque phénicienne, et des descendants des familles Juives expulsées d’Andalousie. Stefan Zweig rappelle à propos de Theodor Herzl : « Dès qu’il se mit à assigner à son action des buts précis dans l’espace réel, à nouer les forces en présence, il dut reconnaître combien son peuple était disparate, ici les Juifs religieux, là les libres penseurs, ici les Juifs socialistes, là les capitalistes, tonnant les uns contre les autres dans toutes les langues, et tous fort peu disposés à se soumettre à une autorité centrale » (Stefan Zweig : Le Monde d’hier, éditions Albin Michel, 1948).
L’antisémitisme du dix-neuvième siècle, les manifestations antijuives dans les capitales européennes, les persécutions institutionnalisées, concourent à la légitimation de l’absurdité sioniste. Le juriste et écrivain Theodor Herzl, issu d’une famille hongroise, bourgeoise et germanophone, auteur, par ailleurs, du roman utopique « Nouveau pays ancien : Altneuland, 1902 » (traduction française éditions de l’Eclat, 2004), théorise le sionisme dans son opuscule « L’Etat des Juifs, 1896 » (Traduction française éditions La Découverte, suivi d’un essai de Claude Klein : « De l’Etat des Juifs à l’Etat d’Israël », 2003). Dans un compte-rendu de la pièce de théâtre « La Femme de Claude » d’Alexandre Dumas Fils, le même Theodor Herzl démystifie, prémonitoirement, ses thèses ultérieures : « Le bon Juif Daniel veut retrouver sa patrie perdue et réunir à nouveau ses frères dispersés. Mais, sincèrement, un tel Juif doit savoir qu’il ne rendrait guère service aux siens en leur rendant leur patrie historique. Et si un jour les Juifs y retournaient, ils s’apercevraient dès le lendemain qu’ils n’ont rien à mettre en commun. Ils sont enracinés depuis de nombreux siècles dans d’autres pays, dénationalisés, différenciés ». Il sème par la suite les graines du ségrégationnisme sioniste en posant trois principes protectionnistes : la spécificité du peuple juif, l’impossibilité de son assimilation par d’autres populations, d’où la nécessité de créer un Etat particulier qui prenne en charge sa vocation spéciale. En 1897, le congrès de Bâle entérine l’Organisation sioniste mondiale. Et pourtant, des Juifs de Palestine tirent aussitôt la sonnette d’alarme. Reuven Snir, professeur de littérature arabe à l’Université de Haïfa d’origine irakienne souligne aujourd’hui le grand mépris de Theodor Herzl à l’encontre des cultures orientales, y compris par rapport aux traditions des Juifs moyen-orientaux. « C’est la volonté de Dieu que nous revenions sur la terre de nos ancêtres, écrit Theodor Herzl, nous devons représenter la civilisation occidentale, et apporter l’hygiène, l’ordre et les coutumes pures dans ce bout d’Orient pestiféré et corrompu » (Reuven Snir : Who Needs Arab-Jewish Identity ? éditions Brill’s Jewish Studies, 2015). La même argumentation raciste portée par le colonialisme européen.
Theodor Herzl fait appel au baron Edmond de Rothschild qui commence à acheter dès 1882 des terres en Palestine. L’Afrique échappe de justesse à la colonisation sioniste. Il est successivement prévu d’occuper le Congo et l’Ouganda, avant de décider de mettre main basse sur la Palestine. La déclaration Balfour de 1917, adressée par le secrétaire d’Etat britannique aux affaires étrangères au Lord Lionel Walter Rothschild, principal financier du mouvement sioniste, parachève l’entreprise colonialiste : « Cher Lord Rothschild. J’ai le grand plaisir de vous transmettre, de la part du Gouvernement de Sa Majesté, la déclaration suivante de sympathie avec les aspirations juives sionistes. Le Gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer national pour les juifs et fera tout ce qui est en son pouvoir pour faciliter la réalisation de cet objectif ». Aux lendemains de la Première guerre mondiale, les puissances occidentales, pressentant la fin « des temps bénis des colonies », utilisent tous les moyens pour préserver leurs intérêts économiques et politiques dans les régions dominées. La pomme de la discorde est plantée dans le Proche-Orient, provoquant des guerres chroniques jusqu’à l’explosion fatale, l’apocalypse actuelle. Les guerres sans fin de 1948, du Canal de Suez, des Six Jours, du Kippour, du Liban, du Golfe, de Syrie, du Yémen, sont toutes contenues en germes dans la Déclaration Balfour.