chroniques
Les missions formatrices 3/3 – Par Seddik Maaninou
Cérémonie d’allégeance
En France
Depuis sa tendre enfance, son père l’a chargé de plusieurs missions à différentes occasions. Le monde se souvient de son image, alors qu’il n’avait que dix ans, montant les marches de la plus grande église de France, Notre-Dame de Paris, pour assister aux obsèques du président français Georges Pompidou (1974). Le Prince, vêtu de sa djellaba blanche, de son tarbouche rouge et de ses babouches jaunes, se distinguait au milieu d’une foule de rois, de princes et de présidents. Cette présence attira l'attention des journalistes et des observateurs, au point que le grand commentateur de la télévision française, Léon Zitrone, se hâta de souligner ce que représentait le prince héritier marocain « une monarchie ancienne et un poids historique résultant de siècles de civilisation ».
En Arabie Saoudite
Je me souviens également l’avoir accompagné aux funérailles du roi Fayçal, roi d’Arabie Saoudite, en mars 1975. J’ai écrit sur ce voyage dans mes mémoires « Jours d’antan ». En raison des circonstances entourant le voyage pour assister aux cérémonies funéraires, le déplacement a été organisé en urgence. Notre avion est arrivé à Riyad, qui était alors au début de son développement et comptait quelques dizaines de milliers d’habitants, alors qu’aujourd’hui ils sont plusieurs millions. Le Prince héritier était le plus jeune des participants, vêtu de l’habit traditionnel marocain. Il était ému par l’événement, patient sous un soleil frappant, au milieu d’une cohorte de gardes et de forces de sécurité. Les rois et les princes formaient une ligne de tête devant le cortège funèbre, suivis de rangs supplémentaires. Le protocole saoudien a veillé à organiser le cortège en plaçant le prince héritier marocain au centre du premier rang. Les photographes et les journalistes se sont concentrés sur ce jeune homme mince, vêtu de blanc, marchant entre Anwar Sadat et Yasser Arafat. Lorsque la foule s’est densifiée, Sadat et Arafat ont échangé quelques mots et, pour protéger le prince, ils lui ont proposé d’avancer en tête du cortège. Ce fut un voyage épuisant qui nécessita un retour immédiat au Maroc après la fin des funérailles et la présentation des condoléances au nom de Sa Majesté le Roi.
Au Gabon
Je me souviens aussi avoir accompagné le Prince héritier dans un voyage spécial au Gabon dans le cadre d'une mission confiée par Hassan II. Les relations entre le roi du Maroc et le président gabonais Omar Bongo, dont la relation était pourtant marquée par une amitié exemplaire, étaient tendues, presque au bord de la rupture.
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Le prince héritier devait écouter et dialoguer avec le président Bongo et s'efforcer de mettre fin aux malentendus qui planaient sur l’amitié entre le roi et le président. Cette mission délicate nécessitait beaucoup de diplomatie, d’ouverture, de capacité d’écoute, de persuasion, et de délicatesse. Dès le premier contact entre les deux hommes, les choses sont revenues à la normale et le prince a réussi à restaurer les relations solides entre les deux pays.
En réponse à la visite du prince héritier au palais présidentiel, Bongo prit l'initiative de rendre visite au prince à la « Maison du Maroc », où le prince organisa un dîner pour cet amateur de la gastronomie marocaine. Dans l'avion, sur le chemin du retour, le prince semblait très heureux d’avoir réussi une mission difficile et risquée. Le prince héritier avait contacté son père pour l'informer du déroulement des événements, et Hassan II s'empressa de le féliciter pour sa sagesse et son succès dans cette mission politique et diplomatique.
Au milieu des turbulences
On pourrait longuement parler de toutes les activités princières que j'ai couvertes à l'intérieur du pays et à l'étranger. Cependant, il faut dire que le prince était constamment présent aux conseils des ministres et réunions présidées par le roi. Au cours de ces réunions, d’importantes mesures étaient prises, les dossiers stratégiques discutés et les hauts fonctionnaires de l'État nommés. Le prince avait accès à tous les dossiers, se faisant une opinion sur leur importance, leur pertinence, leurs étapes et leur mode de financement.
Les Marocains avaient l'habitude de voir le Prince aux côtés de son père lors de l'ouverture des sessions parlementaires pour suivre le discours royal définissant les perspectives politiques, économiques et sociales, attirant l'attention sur tout dysfonctionnement entravant le bon fonctionnement de l'institution législative.
Le Prince accompagnait son père dans ses tournées à travers les différentes régions du royaume, ce qui lui permettait de se rapprocher de la population, de voir sa joie, d'écouter ses demandes et de comprendre ses problèmes. Il accompagnait également son père lors de nombreuses visites à des pays frères et amis, où il nouait des amitiés avec leurs rois, princes et présidents.
Le Prince assistait à toutes les conférences arabes, islamiques et africaines tenues au Maroc. Il était le second homme de la délégation marocaine, ce qui lui permettait de suivre les débats parfois très animés. Ainsi, il était au cœur des coulisses de ces rencontres internationales, observant les efforts de son père pour rapprocher les points de vue et traiter les dossiers épineux. Il avait ainsi l'occasion de se rendre compte directement des positions des différents pays sur les questions cruciales débattues.
Le prince a donc vécu au cœur de "tempêtes de pouvoir", sans toutefois prendre de position. Il est certain qu'il n'était pas toujours d'accord avec certaines décisions ou orientations et qu'il en discutait probablement avec son père. Selon les traditions du palais, il pouvait exprimer ses doutes de manière appropriée et subtile.
Cependant, lorsqu'il s'agissait de questions nationales cruciales, le prince héritier se trouvait en première ligne. C'est pourquoi, en octobre 1975, il donna le départ à des dizaines de milliers de volontaires de la "Marche Verte". Au milieu de cette foule répondant à l'appel de la nation, le prince, alors âgé de treize ans, présida le rassemblement annonçant le départ vers le Sahara. À cette occasion, il prononça un discours enflammé, appelant les volontaires à avancer pour libérer le territoire et restaurer la dignité.
Responsabilités successives
Dans le cadre de la défense de l'unité territoriale du Maroc, il visita l'Afrique en 1986, portant des messages de son père à plusieurs présidents africains. Ces visites furent l'occasion de découvrir le continent africain, ses aspirations et ses problèmes profonds, ancrant dans sa mémoire la capacité du "géant africain" à se réveiller pour entrer dans l'ère du développement et de la démocratie. Par la suite, le Prince a réfléchi longuement au retrait du Maroc de l'Organisation de l'unité africaine en 1984, ce qui laissé champ libre à ses adversaires, ce qui a généré de nouvelles dynamiques dans les relations du Maroc avec l'Afrique et qui incita Sidi Mohammed, dès son évènement au Trône, à mettre en œuvre une nouvelle politique africaine du Maroc.
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Durant ces années de préparation, le prince suivait régulièrement les événements internationaux et s’intéressa de près à la chute du mur de Berlin et de l'effondrement de l'Union soviétique après une expérience unique de soixante-dix ans. Il a d’ailleurs porté le même intérêt l'invasion de l'Afghanistan, la guerre du Golfe et la destruction de l'Irak. Il s'intéressa aux puissances montantes en Asie et à leurs succès économiques, ainsi qu'à la montée de l'extrême droite dans plusieurs pays et à l'émergence de courants islamiques extrémistes, qui trouvèrent un écho dans l'opinion publique.
Le prince découvrit les Forces Armées Royales lorsque Hassan II le nomma coordonnateur général des bureaux et services de l'état-major en 1996. Le prince s'intéressa alors à l'armée, à ses composantes, ses systèmes, ses problèmes et les grands efforts et sacrifices consentis par les Forces Armées Royales pour réduire les ennemis de notre unité territoriale. Son bureau au quartier général était une ruche d'activité consacrée à l'étude, à la coordination, à la création d'un environnement propice à la préparation et à la formation, ainsi qu'à la valorisation des compétences et des capacités. Le contact avec l'armée fut l'occasion de connaître ses commandants, leurs compétences, d'écouter leurs suggestions et de s'intéresser à leurs conditions.
La Formation de la Personnalité du Prince Héritier Sidi Mohammed
Au cours de ce long parcours, la personnalité de Sidi Mohammed s'est formée, en particulier par ses interactions avec les personnes, l'observation des événements, l'examen des dossiers et l'observation du style de gouvernance et du processus de prise de décision. Grâce à tous ces efforts, il est devenu un expert dans les affaires du royaume, maîtrisant ses forces et ses faiblesses, et constatant ses succès et ses échecs. Il a également été témoin de ce qui se passait dans les coulisses du pouvoir, des comportements, des luttes et des courants. Il a observé ce qui était visible et ce qui restait dissimulé, ainsi que les tentatives de rapprochement pour obtenir plus de pouvoir dans une atmosphère de compétition, de lutte et de favoritisme.
Le Dernier Bulletin
Revenons à l'hôpital Ibn Sina, le vendredi 23 juillet 1999, et à ce qui se passait dans la salle de réanimation pour faire face à une crise cardiaque sévère. Le bulletin des médecins diffusé ce jour-là à 20H a. annoncé : « Bien que Sa Majesté le Roi Hassan II soit entré dans le service de réanimation intensive du service de cardiologie de l'hôpital Ibn Sina, il s'est avéré impossible d'éviter l'évolution fatale d'une crise cardiaque sévère suivie d'un effondrement total de la fonction cardiaque. Toutes les méthodes de réanimation habituelles dans de tels cas ont été utilisées sans succès, et Sa Majesté le Roi est décédée à 16h30 le vendredi 23 juillet 1999. »
Hassan II était conscient que son héritier vivrait dans un monde différent, avec ses hommes, ses événements et ses luttes, et que les conflits augmenteraient à la recherche de plus de pouvoir et d'influence. Il voyait que les courants extrémistes et populistes gagneraient en force et pourraient se transformer en folie et en terrorisme.
En raison de toutes ces considérations, Hassan II a donné la priorité à la formation du "Roi du futur", veillant à son éducation avec une rigueur et une fermeté particulières. Cet intérêt pouvait parfois sembler strict et sévère, mais le Souverain est parti en paix, sachant que les "clés du Maroc" étaient entre de bonnes mains.
Le soir du vendredi, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a adressé un discours au peuple marocain pour l'informer du décès de son père, renouvelant son engagement à accomplir son devoir de bâtir un Maroc moderne, fort et uni. Le même soir, les dignitaires du royaume se sont rassemblés au palais royal. Dans la salle du trône, avec ses symboles, l'allégeance a été prêtée au Commandeur des croyants par les princes, les ministres, les chefs de partis politiques, les érudits, les hauts officiers des Forces Armées Royales, de la Gendarmerie Royale, de la sécurité et d'éminentes personnalités.
Dieu Protège le Roi
Je me souviens qu'un ami journaliste du pays du Moyen Orient m'a envoyé un message de condoléances disant : « La malchance de certains rois est de monter sur le trône après des rois illustres. » Cela signifie clairement : « La malchance de Mohammed VI est de succéder à Hassan II. » Cependant, les événements ont montré que Mohammed VI a eu la chance de recevoir une éducation, une formation et une instruction qui l'ont rendu à la hauteur des aspirations du peuple marocain en matière de progrès et de développement. Cela a poussé certains à dire : « Nous avions peur de Hassan II, mais aujourd'hui nous avons peur pour Mohammed VI. » Cela souligne le courant populaire très dense qui a accompagné l'accession au trône du roi, dans un cadre de sympathie évidente pour ses réalisations et sa capacité d'innovation, de planification et d'exécution.
Alors que les Français ont coutume de dire après la mort de leurs rois : « Le roi est mort, vive le roi », les Marocains ont innové en disant et en répétant : « Que le Tout Puissant ait en sa sainte miséricorde le Roi, et que Dieu protège le Roi. »