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Corée du Sud: la violence réelle aux racines de ''Squid Game''
Des danseurs portant des costumes de Squid Game se produisent lors d'un événement de fans pour la première mondiale de la série Netflix « Squid Game Season 2 » à Dongdaemun Design Plaza à Séoul le 9 décembre 2024. (Photo de Jung Yeon-je / AFP)
Une usine transformée en champ de bataille, des policiers tirant au taser sur des grévistes, un militant qui passe 100 jours au sommet d'une cheminée: "Squid Game", dont la deuxième saison sort jeudi, prend de l'aveu même de son créateur ses racines dans une brutalité bien réelle, inhérente aux rapports sociaux en Corée du Sud.
La série la plus regardée de tous les temps sur Netflix - également un énorme succès en Corée du Sud - met en scène des personnages désespérés qui s'affrontent dans des versions mortelles de jeux d'enfants pour essayer de gagner une énorme somme d'argent.
Dans la deuxième saison, qui sort jeudi, le personnage principal est toujours Seong Gi-hun, un père divorcé et ancien travailleur mis à la rue par un groupe automobile, Dragon Motors.
Même s'il s'agit d'une fiction, le réalisateur et scénariste de "Squid Game", Hwang Dong-hyuk, affirme s'être inspiré d'un chapitre réel de l'histoire parfois sanglante des conflits sociaux en Corée du Sud: l'occupation de l'usine Ssangyong de Pyeongtaek, près de Séoul, en 2009.
"Je voulais montrer que dans le monde d'aujourd'hui, n'importe quel membre de la classe moyenne peut dégringoler au bas de l'échelle économique du jour au lendemain", explique M. Hwang à l'AFP.
Dragon Motors, l'ancien employeur de Gi-hun, est d'ailleurs une référence limpide à Ssangyong ("dragon jumeau" en coréen).
En mai 2009, Ssangyong Motor, entreprise en difficulté reprise par un consortium de banques et d'investisseurs privés, annonce licencier plus de 2.600 personnes, soit près de 40% du personnel.
Bataille inouïe
C'est le début d'une occupation de l'usine et d'une grève de 77 jours. Le mouvement s'achève par une bataille d'une violence inouïe entre grévistes armés de frondes et de tuyaux en acier et policiers employant balles en caoutchouc, tasers et hélicoptères qui pulvérisent des gaz lacrymogènes sur les ouvriers. De nombreux syndicalistes sont particulièrement passés à tabac.
Le conflit ne se termine pas là. Cinq ans plus tard, un dirigeant syndical, Lee Chang-kun, reste pendant 100 jours perché au sommet d'une des cheminées de l'usine, pour dénoncer un jugement donnant raison à Ssangyong contre les grévistes. Il est alors ravitaillé à l'aide d'un panier accroché à une corde et est en proie aux hallucinations (une corde de sa tente se transforme selon lui en serpent).
Beaucoup des travailleurs ayant participé au mouvement de 2009 ont du mal à parler de "Squid Game", explique Lee Chang-kun à l'AFP.
Après les événements, plus de 200 ouvriers font l'objet de poursuites et près d'une centaine - dont M. Lee - sont emprisonnés. Ces tourments judiciaires, après le traumatisme du conflit social, éprouvent les finances et la santé mentale des travailleurs.
Selon M. Lee, depuis 2009, une trentaine de protagonistes du mouvement de Ssangyong se sont suicidés ou ont succombé à des maladies directement liées au stress.
"Beaucoup ont perdu la vie. Les gens ont été obligés de souffrir trop longtemps", dit-il.
Il se rappelle des hélicoptères vrombissant au-dessus de l'usine occupée, créant des tourbillons d'air si puissants qu'ils déchiraient les imperméables des grévistes.
"On voulait nous faire passer pour des incompétents, pour des militants syndicaux dépassés par la réalité du monde et qui avaient perdu la tête", raconte-t-il.
Il dit avoir été ému par les scènes de la première saison de "Squid Game", où Gi-hun s'efforce de ne pas trahir ses concurrents.
"Produit jetable"
Mais il regrette que malgré son succès, la série n'ait déclenché aucune prise de conscience, ni aucun changement réel pour les travailleurs, dans un pays marqué par les inégalités, la brutalité des relations sociales et la polarisation de la vie politique. "Je me suis senti vide et frustré", confie-t-il.
"Il semble que l'inégalité soit désormais si profondément ancrée qu'il n'y a pas de retour en arrière possible. Les riches deviennent plus riches, les pauvres deviennent plus pauvres", se plaint M. Lee, en déplorant que "l'histoire des travailleurs de Ssangyong en soit réduite à un rôle de produit jetable dans une série".
A l'instar du film "Parasite", récompensé par un Oscar, ou encore des stars de la K-pop comme le groupe BTS, "Squid Game" incarne la "Vague coréenne", nom donné à l'ascension du pays au rang de puissance culturelle mondiale après son "miracle" économique des décennies précédentes.
Coïncidence, la deuxième saison arrive sur les écrans au moment où la Corée du Sud traverse une nouvelle crise politique majeure, après l'adoption par le Parlement d'une motion de destitution contre le président Yoon Suk Yeol pour sa tentative ratée d'imposer la loi martiale.
De nombreuses fictions sud-coréennes, comme "Squid Game", prennent racine dans la violence réelle du pays, explique à l'AFP Vladimir Tikhonov, professeur d'études coréennes à l'université d'Oslo.
"C'est un phénomène remarquable et intéressant: nous vivons toujours dans l'ombre de la violence d'Etat, et cette violence d'Etat est un thème récurrent dans les produits culturels à grand succès", dit-il.