L’esprit transrcontinental et transgénérationnel de Ben Barka – Par Salah El Ouadie

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Si Mehdi n’avait qu’un seul mérite, celui d’avoir été un des symboles qui ont réduit l’arrogance de l’Occident le contraignant à traiter sur un pied d’égalité avec nos peuples, il suffirait largement à nous enorgueillir de son œuvre.

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Dans son remarquable ouvrage, «L’Occident et les autres» paru aux éditions La Découverte en 2001, la journaliste et écrivaine tunisienne Sophie Bessis soutient que l’Occident ne s’est départi de son arrogance et de son regard narcissique et hautain envers les peuples colonisés qu’au lendemain de la période des indépendances, au cours des années 1960.

Ce fut, souligne Sophie Bessis, la seule période, du reste éphémère, au cours de laquelle l’Occident a été contraint de se comporter avec nos peuples d’égal à égal.

Je cite de mémoire les noms lumineux qui ont serti de leur aura l’histoire du combat contre le colonialisme, que la chercheuse répertorie : Nkrumah, Nehru, Sékou Touré, Jamal Abdennasser, et... Mehdi Ben Barka.

S’il n’avait qu’un mérite

Si Mehdi n’avait qu’un seul mérite, celui d’avoir été un des symboles qui ont réduit l’arrogance de l’Occident le contraignant à traiter sur un pied d’égalité avec nos peuples, il suffirait largement à nous enorgueillir de son œuvre. 

Je ne reviendrai pas sur le parcours de Mehdi durant la lutte pour la libération, lorsqu’il fut, à 24 ans seulement, parmi les premiers signataires du Manifeste pour l’Indépendance, ni sur sa bravoure politique qu’il a cher payée de sa liberté sur ordre du Résident général Juin en 1951. Je ne m’attarderai pas non plus sur son rôle à la tête du Conseil consultatif et de la confiance que plaçait en lui Mohammed V qui n’a pas hésité à tout risquer pour le recouvrement de l’indépendance du pays. Ni encore sur son courage à faire face à la nouvelle situation née de la prise autocratique du pouvoir après le décès du Père de la Nation, et de son désaccord qui a dégénéré en rupture avec le défunt Hassan II. Pas plus d’ailleurs que je n’évoquerai les deux condamnations à mort par contumace qui l’ont longtemps poursuivi, avant son enlèvement et son assassinat qui interrogent toujours et encore notre conscience collective.

Je ne dirai pas plus de tout ça, tant ces questions sont connues de tous.

Je me contenterai ici d’invoquer la stature morale du défunt Mehdi Ben Barka au plan international.

Les nouvelles générations n’ont qu’une connaissance imparfaite, quand elle n’est pas quasi nulle, des contextes de cette période de la lutte contre le colonialisme, puis de celle de l’édification des Etats modernes dans les années 50 et 60.

Au cœur du rêve

Le rêve de nombreux pays fraichement libérés du joug des colonialismes occidentaux (France, Royaume Uni, Espagne, Italie, Belgique, notamment), comme le rêve de nombre de leurs leaders, Mehdi Ben Barka en tête, se résumait à la création d’une organisation regroupant leurs pays fraichement décolonisés en vue de renforcer leur rôle pour mener ce que Mohammed V  a appelé le Grand Jihad (le combat ultime), celui de l’indépendance intégrale : politique, économique, social, culturel et géostratégique.

Mehdi était au cœur de ce rêve et du rêve d’une Tricontinentale* qui a bénéficié de son dynamisme, son abnégation et son intelligence, mettant en œuvre la confiance que tous avait placé lui, pour réussir le miracle de fédérer autour de ce mythique projet l’Union soviétique et la Chine populaire, deux puissances qui se disputaient l’Internationale socialiste de l’époque, avant que chacun d’eux finisse pas céder de l’ultranationalisme tel que nous le connaissons de nos jours.

Dès lors, l’on comprend aisément qu’il ne soit pas, ni hier ni aujourd’hui, dans les petits papiers de cet Occident qui se gargarise tant, en public, de valeurs universelles pour les renier aussitôt ses convoitises « menacées ».

Le vil et l’ignoble

C’est une ignominie que des revues et des publications ici et là tentent régulièrement de «démontrer les trahisons» de Mehdi en fouinant dans des archives, sans avoir l’audace de défier l’Etat français pour l’amener à rendre publics les documents qu’il refuse de publier 55 ans après son enlèvement à Paris, ou les Etats-Unis qui gardent le même mutisme coupable sur leurs archives en relation avec Mehdi Ben Barka et le sort qui lui a été réservé.

Je ne suis pas en passe de sacraliser la personnalité de Mehdi Ben Barka ni d’aucun autre personnage historique, dès lors que nulle personne en rapport avec la chose publique n’est exempte d’erreurs possibles et potentielles. Mais je m’insurge lorsque certains s’ingénient à porter ignoblement atteinte à une personnalité de cette envergure, porteuse de tant de sens, en usant de fuites vilement et savamment distillées.

Au-dessus de tout soupçon

Si Mehdi avait soif de fortune, de prestige et d’aisance, il avait à sa portée mille et une sources pour se désaltérer, bien mieux que les experts es-servilité et complaisance que nous et l’histoire connaissons. Jusqu’au bout des ongles, il était un patriote au-dessus de tout soupçon avant que le patriotisme devienne le bien commun le mieux partagé. Peut-être est-il venu avant l’heure. Peut-être a-t-il précipité son rêve. Une chose est cependant sûre : Il était un patriote sincère, littéralement happé par ses ambitions grandioses, bien au-dessus des basses avidités que l’on cherche indignement à lui prêter.

En scrutant la politique étrangère du Maroc d’aujourd’hui qui, sous la supervision du Roi Mohammed VI, fait valoir le principe d’égalité dans le rapport avec ceux qui naguère nous toisaient d’en-haut, je prie dans mon intimité : Que Dieu ait ton âme Ben Barka et fasse que prolifèrent tes semblables ! Puisse-t-il te préserver comme un symbole du Maroc et un modèle perpétuellement renouvelé en Phénix  de tous les peuples opprimés et les pays qui osent dire «NON» à ceux pour qui seule compte leur infondée arrogance à nos égards.

Que dire d’autre sinon : «Scribouillards du monde entier, ôtez vos mains de l’âme de Mehdi et osez plutôt la recherche de sa sépulture !»

Salah El Ouadie, le 28/12/2021. 

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