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L’urgent besoin en Algérie d’un président qui ne confond pas politique et cirque* - Par Talaa Saoud Atlassi
Un président algérien qui ne sait que l’émir Abdelkader est né en 1808, neuf ans après la mort de George Washington, et que Nicolas II n’a été couronné «tsar de toutes les Russies» qu’en 1896, treize ans après le décès de l’émir
De nouveau, le président algérien Abdelmadjid Tebboune, emporté par sa fougue habituelle, a émaillé sa dernière sortie diplomatique de sa «culture» historique. Peu lui importe de se donner en spectacle à cause de son indigence culturelle, et sa visite à Moscou en apporté une fois encore, la preuve.
S’il n’en est pas à une gaffe près - il a déjà fantasmé, le 12 octobre 2021, sur le président américain George Washington qui aurait fait cadeau deux pistolets en or à l’Emir Abdelkader, il a cette fois-ci crevé le plafond à Moscou, tentant, comme à son habitude, de donner une profondeur historique chimérique à l’Etat algérien et à ses relations avec le monde d’antan. Exprimant sa gratitude au président Poutine pour avoir érigé une stèle de l’Emir dans une place de la capitale russe, M. Tebboune a claironné que «le tsar Nicolas II a remis l’Ordre de l’Aigle Blanc [à Abdelkader] et le président Poutine lui offre aujourd’hui une place à Moscou».
Dans le premier cas, le président algérien ne rend pas compte que l’émir Abdelkader est né en 1808, neuf ans après la mort de George Washington. Dans le second, il récidive en ne s’apercevant pas que Nicolas II n’a été couronné «tsar de toutes les Russies» qu’en 1896, soit cette fois-ci treize ans après le décès de l’émir. Une bourde qui ne sera assurément pas du goût du maître du Kremlin, Nicolas II, dernier empereur de la dynastie des Romanov, ayant abdiqué en 1917 dans le contexte de la révolution russe, avant d’être assassiné en 1918 par les Bolcheviks dont Poutine, même s’il est nostalgique de l’époque tsariste, est quelque part le descendant naturel.
Les dirigeants du Kremlin ne devraient pas faire grand cas de ce genre d’impairs, tant ils ont à cœur les résultats diplomatiques, politiques et économiques de la visite de M. Tebboune à Moscou. Ce dernier, venu à Moscou quémander la protection russe, a fait part publiquement et à deux reprise, de son accord total et de sa profonde satisfaction de la convergence des points de vue des deux parties sur l’ensemble des questions et des points à l’ordre du jour.
Dans les déclarations de M. Tebboune, il est difficile de distinguer la politique du burlesque, car ce qu’il qualifie d’«accord total» avec M. Poutine indique, en réalité, un changement radical dans la politique des dirigeants algériens sur des questions faisant l’objet d’une supposée «convergence des points de vue». Dans le contexte des tiraillements et des polarités qui s’opèrent dans la région de l’Afrique du Nord et du pourtour de la Méditerranée, obnubilée par sa ‘’politique marocaine’’, l’Algérie court deux lièvres à la fois : fait du pied aux puissances régionales et internationales qui, en majorité, s’opposent farouchement à la Russie, pour en isoler le Maroc, et part à Moscou conter fleurette à la puissance russe que M Tebboune, cédant sur l’orgueil traditionnel d’Alger, qualifie de ‘’protecteur de l’indépendance’’ algérienne. Sans se soucier que les deux lièvres en question courent dans des directions opposées.
Dans le dossier sahélo-saharien, M. Tebboune a clairement concédé l’influence russe dans la région, particulièrement au Mali, un pays que l’Algérie considérait comme le prolongement de sa zone de sécurité stratégique qu’elle tentait de cogérer cahin caha avec la France. Résigné, M. Tebboune a sollicité la médiation du président russe pour amener les autorités au pouvoir au Mali à revenir à l’«Accord d’Alger» de 2015.
Huit ans après sa conclusion, cet accord est désormais obsolète dans une région où de nouveaux acteurs sont entrés en jeu et où l’influence algérienne est battue en brèche. M. Tebboune a fini ainsi par laisser l’impression qu’il veut troquer l’Accord d’Alger contre le Mali pour ne pas revenir bredouilles de Moscou. C’est la chute pathétique du ‘’nif’’ algérien, marquant la soumission au dictat russe sans manquer d’agacer la France, le pays que M. Tebboune rêve de visiter en grande pompe, alors que le président Macron se délecte de le faire poireauter.
M. Tebboune se félicite également de la convergence des points de vue entre son pays et la Russie au sujet de la crise libyenne. Mais il est difficile de mesurer le degré d’authenticité de cette concordance, et encore moins de déterminer la nature du changement dans les positions antérieures des deux parties. Rappelons-le, tandis que les Russes penchaient du côté de le clan de Tobrouk et Benghazi, l’Algérie soutenait la partie de Tripoli. Mais c’est fort probablement l’Algérie qui a changé de camp dans le contexte de son alignement sur la position russe. La preuve en est que M. Tebboune n’a pas exprimé la position habituelle de son pays au sujet de la crise libyenne et n’a pas insisté dessus. Peut-être que cette position ne le convainc plus, peut-être par courtoisie à l’égard de son hôte, peut-être aussi parce que les partenaires libyens ont tout simplement tourné le dos à l’Algérie, préférant mettre le cap sur le Maroc, là où se cultivent la sincérité, la sagesse et les solutions utiles pour la Libye.
M. Tebboune a acquiescé à tous les propos de son homologue russe et n’a pas caché sa satisfaction de l’ensemble des accords politiques, y compris celui du «règlement du conflit israélo-palestinien». La preuve est que, sans objection aucune sur les reproches russes aux Palestiniens, il a gobé sans redire non plus l’empathie russe pour Israël et la décision de Moscou d’ouvrir un consulat à Al-Qods.
Certes, nul n’a le droit de contester le droit souverain de l’Algérie à opérer un virage loin des slogans qu’elle n’a cessé d’agiter au sujet des souffrances du peuple palestinien. Mais, on ose espérer voir la direction algérienne adopter un comportement cohérent qui tranche avec sa surenchère sur la question palestinienne et les Palestiniens qu’elle inonde de slogans, de fanfaronnades et d’injonctions.
Il est vrai que M. Tebboune n’a pas dit qu’il était d’accord avec les opérations militaires russes en Ukraine, mais plutôt «d’accord avec tout ce que les Russes lui ont proposé», sans omettre de remercier le président Poutine d’avoir accepté la médiation d’Alger dans le conflit russo-ukrainien. Or, des dirigeants africains, dont les présidents de l’Afrique du sud et du Sénégal, avaient entamé, le 16 juin, une médiation dans ce sens et sont arrivés à Kiev pour rencontrer le président ukrainien Volodymyr Zelensky et sont partis le lendemain à la rencontre de son hote à Saint Petersbourg. Dès lors la médiation algérienne, précédée avant d’avoir commencé par la visite d’une délégation africaine, apparait à la fois inutile, déplacée et injustifiée.
Il s’agirait donc plus d’une tentative de diversion diplomatique qui cache mal l’embarras de la direction algérienne, désormais contrainte de s’aligner sur Moscou tout en tendant le cou vers Washington, de crainte de subir la colère et le rejet de l’Occident. Alors que ses relations avec la France sont sur une ligne de crête, plusieurs pays européens l’ignorent et renforcent leurs relations avec le Maroc, dont ils saluent la démarche pacifique sérieuse pour le règlement du conflit du Sahara marocain et avec lequel ils approfondissent les rapports économiques et politiques, au grand dam d’une direction algérienne irascible et désorientée.
Sue la question du Sahara marocain, la ‘’mère des questions’’ pour les généraux algérien, les dirigeants d’El Mouardia avancent de plus en plus dans la confusion et l’invisibilité. Ils tentent d’isoler le Maroc sur le plan diplomatique, en cherchant à séduire la Russie pour lui servir d’appui au sein du Conseil de sécurité, mais sans s’attirer les foudres de l’Occident qui risque de les mettre à l’index et d’aggraver leur isolement. Sue ce sujet, il important de signaler que c’est M. Tebboune qui a déclaré avoir évoqué la question du «Sahara occidental» avec le président Poutine qui, lui, a magistralement ignoré le sujet. Il s’agit là d’un message clair de M. Poutine : le Kremlin refuse de suivre les «caprices» d’Alger et d’inclure, dans ses rapports avec l’Algérie un conflit qu’elle mène en solitaire contre le Maroc. Moscou entretient avec le Royaume des relations séculaires basées sur l’amitié, le respect et la coopération. Les relations entre Rabat et Moscou ont survécu aux fortes tensions et aux pressions de la guerre froide des années 60 du siècle dernier, se poursuivent toujours, avec le même élan d’équilibre et d’ouverture, et permettent d’ouvrir tous les dossiers directement avec le Maroc, sans besoin d’intermédiaire qui est d’autant plus disqualifié qu’il est stérile et colporte une haine incommensurable de fora en forums internationaux. Dans l’incapacité d’ouvrir la valise de haine anti-marocaine qu’il a traînée lors de sa visite à Moscou, M. Tebboune l’a ramenée dans ses bagages, tel un boulet pestilentiel.
Au Conseil de sécurité, la Russie soutient sans ambages les résolutions de la communauté internationale et appuie l’appel à une solution pacifique, durable et mutuellement acceptable au différend sur le Sahara marocain. Sans insérer ce différend dans l’engrenage du conflit entre la Russie et l’Occident, la position russe est structurée par la fluidité des relations entre Rabat et Moscou, sur la base des intérêts réciproques et du respect mutuel, ce qui se traduit aujourd’hui par la hausse en qualité et en quantité du volume des échanges commerciaux et la densité d’un dialogue politique jamais interrompu.
La direction russe, qui lutte contre le séparatisme chez elle déjà, n’a jamais reconnu le mouvement séparatiste au Sahara marocain et apprécie à sa juste valeur la place du Maroc en Afrique, dans le pourtour méditerranéen et dans le monde arabe. Fort d’importantes potentialités économiques, et adossé à une stabilité et un socle politique solide, le Maroc a démontré constance et clarté dans ses choix stratégiques et une autonomie constructive dans la gestion, la diversification et la multiplication des partenaires dans ses relations extérieures.
Par le développement constant de ses infrastructures, le Maroc est promis à une place non négligeable dans l’avenir de l’industrie mondiale, un avenir en proie à des questionnements, des mutations et des défis, qui alimentent, en partie, les guerres d’aujourd’hui et les guerres potentielles avec à terme, la recomposition du nouvel ordre mondial. En vue de se faite une place dans cette architecture, le Maroc dispose d’atouts importants et s’affaire à en affûter d’autres.
Faute d’avoir fait l’effort de se débarrasser des séquelles de sa genèse, la direction algérienne paraît comme anesthésiée par son accoutumance à l’odeur des «gaz» de la guerre froide et à la culture de cette époque où elle s’est ankylosée. Elle peut se targuer de fortunes énormes, dont des parts considérables se perdent dans le service des seuls intérêts de la kleptocratie qui gouverne l’Algérie.
Ce qui en reste, malgré tout, pourrait aider l’Algérie à se mettre en phase avec les évolutions du monde actuel. A cette fin, elle n’a besoin que d’un véritable un Etat à la place de la ‘’bande’’, le qualificatif est algérien. Elle pourra alors élaborer une politique étrangères, et s’offrir dans les règles de l’art un président qui ne confond pas politique et cirque.