Russie : Plaire Assez à l’Algérie sans trop déplaire au Maroc

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Par Naïm Kamal - Dans la capitale marocaine on n’a pas manqué de confirmer « le caractère stratégique du partenariat » que l’on veut approfondi et à approfondir avec la Russie. Ni la volonté de clarifier les positions sur le Sahara

Sergeï Lavrov a rendu en fin de semaine dernière une visite à trois capitales maghrébines. Le chef de la diplomatie a commencé son périple par Alger, Rabat et enfin à Tunis. Il n’a ainsi pas dérogé à la règle en respectant la hiérarchie de l’importance des relations de Moscou avec chacun des pays de cette région du Maghreb.

Diplomate de carrière qu’il a entamée en 1972, Sergeï Lavrov, personnage haut en couleur porté par une carrure imposante, arrive enfin à destination en 2004 en prenant la tête de la diplomatie russe pour la sortir de la torpeur dans laquelle l’avait plongé la chute du mur de Berlin et l’implosion par la suite de l’Union soviétique.

Son avènement comme ministre des Affaires étrangères mettait fin à ce que beaucoup de Russes considéraient comme une « diplomatie de la capitulation » devant l’Occident inaugurée sous Mihaaïl Gorbatchev par le géorgien Edouard Chevardnadze. Sergeï Lavrov n’avait pour cela qu’à coller à la politique de restauration de la Russie dans sa splendeur d’antan menée de main de judoka par Vladimir Poutine.

C’est donc tout naturellement que sa visite dans la région, vue de Moscou,  s’inscrive dans le grand chambardement que vit le Moyen-Orient sur cet immense champ de batail qui va de la Palestine à l’Iran en passant par la Syrie, les pays de Golfe, l’Egypte, la Libye et bien entendu le reste du Maghreb.

L’Afrique et le sort qu’on lui réserve, de plus en plus proéminant dans les relations internationales marquées par une féroce compétition sur le continent, était aussi de toutes les escales du ministre des Affaires étrangères russe. Autrefois cédée à la sous-traitance des traditionnelles puissances coloniales, Grande Bretagne et France, l’Afrique voit se bousculer à ses portes Chinois, Japonais et autres Allemands. La Russie qui y était très présente en tant qu’Union Soviétique, y tente un retour en force, tandis que les Etas Unis d’Amérique y ont consolidé leur présence par l’installation d’un commandement unifié, l’Africacom, et l’ouverture de nouvelles bases américaines, notamment pour ce qui concerne la région maghrebo-sahélienne, au Niger que l’Algérie suit avec appréhension  mais aussi résignation.

Clarifier les positions sur le Sahara

C’est dire que Rabat est une voie d’accès, peut-être pas incontournable, mais importante pour les différents prétendants à ce qu’il faut bien appeler la nouvelle conquête de l’Afrique. C’est dire aussi que les discussions de ces sujets ressemblent à s’y méprendre à un imbroglio où se croisent et s’entrechoquent les relations et les alliances que Rabat a abordées avec Sergeï Lavrov dans de bonnes dispositions. Dans la capitale marocaine on n’est pas, comme à Alger, dans la similitude des vues. Mais on n’y a pas manqué de confirmer « le caractère stratégique du partenariat » que l’on veut approfondi et à approfondir avec la Russie. L’audience royale accordée par le Roi Mohammed VI au chef de la diplomatie russe a donné le ton de bon aloi des discussions facilitant d’autant les discussions qu’a eues le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, avec son homologue. Sans rien céder des intérêts supérieurs du pays, se faisant un devoir de bien « clarifier », selon l’expression de diplomates marocains, « les positions sur la question du Sahara ».

Sur ce point, Rabat offre de sérieuses perspectives. Le projet d’autonomie qui commence à dater, l’intégration régionale et récemment « la main tendue à l’Algérie » ne sont pas de minces arguments, mais qui ne rencontrent du coté algérien qu’entêtement et fuites en avant. Toute la question est de savoir si Moscou, dont nul n’ignore la consistance des relations avec Alger et son soutien à sa diplomatie, est en mesure de comprendre cette volonté et, en conséquence, d’aider le pouvoir algérien à l’appréhender positivement et à s’en saisir à son tour.

Outre les relations économiques qui tournent essentiellement autour de l’armement, l’Algérie partage avec la Russie de Poutine une partie importante de son histoire contemporaine, notamment dans sa composante soviétique. Quelque part, les deux pays souffrent de la même nostalgie pour une époque considérée comme glorieuse et ne désespèrent pas légitimement de la retrouver sous une forme ou une autre (1).

Evitement constant de la rupture

En même temps la Russie n’a pas été dans son soutien à Alger jusqu’à provoquer ce qui pouvait produire une rupture importante avec le Maroc. C’est certainement dans ce sens qu’à Rabat on rappelle à cette occasion la célébration en 2018 du 60ème anniversaire de l’établissement, au faîte de la guerre froide, des relations diplomatiques entre les deux pays.

Le penchant marocain à partir des années 60  pour le « Monde libre » n’a pas changé énormément les donnes de cette relation « atypique » qui trouvait son accomplissement dans le mouvement des Non Alignés.

Il est vrai que dans l’affaire du Sahara, l’URSS et son Bloc de l’Est ont été d’un soutien à Alger sans lequel sa position dans ce dossier n’aurait jamais autant prospéré au sein des instances internationales et régionales. Mais jamais la diplomatie de Moscou et du camp socialiste n’a franchi le cap de la reconnaissance de cette maquette d’Etat qu’est la RASD. C’est une aventure qui a été dévolue volontiers à l’apanage de pays du tiers monde.

Au cours de cette tournée maghrébine, Sergeï Lavrov s’est contenté à Alger du service minimum sur la question du Sahara en réaffirmant la position classique et polysémique de Moscou. Et c’est au ministre algérien des Affaires étrangères, Abdelkader Messahel, qu’est revenu le fatras habituel sur la « convergence de vues sur « le respect des décisions des Nations Unies et leur mises en œuvre » dont il feint d’oublier qu’elles ont été frappées de caducité par les résolutions du Conseil de sécurité.

Rabat n’ignore pas qu’au sein de cette instance suprême de l’ONU, il arrive à Moscou de sortir du bois pour « réajuster » à l’occasion une résolution jugée trop désavantageuse pour Alger. Mais globalement, la représentation permanente russe ne fait rien pour bloquer les résolutions qui semblent à ses yeux maintenir un certain équilibre. Une position qui plait assez Alger sans trop déplaire au Maroc.    

Les deux pays ont également en commun une défiance et une méfiance : Une défiance russe à l’égard de Washington aux enjeux connus et une méfiance algérienne à l’égard des desseins américains pour l’Afrique