chroniques
Tempête dans un lac – Par Driss Ajbali
Quand Sardou, aujourd’hui âgé de 76 ans, créa « Les lacs de connemara » en 1981, année du mitterrandisme conquérant, Juliette Armanet n’était même pas née, ce qui surviendra en 1984.
Lors d’une interview accordée, le 12 aout, à un média belge,Juliette Armanet, une chanteuse, aujourd’hui en vogue, a déclaré qu’elle détestait « Les lacs du Connemara », une chanson de Michel Sardou. Elle l’a qualifié de « chanson dégoutante ».
Pour ce qui est de la chanson, un peu entrainante il est vrai, il y a la puissante voix de Michel Sardou qui débite la strophe, avec en arrière fond de la cornemuse écossaise qui prodigue un air militaire à la mélodie. « Les lacs de connemara » ne glorifie, ni le Poitou ni l’Auvergne. Elle exalte une région située dans l’ouest de l’Irlande. Celle-ci est connue pour son environnement exceptionnel, sauvage et paisible. La chanson fait partie de la variété française et presque du patrimoine hexagonal tant, au fil des ans on ne sait pourquoi, elle est devenue un must pour clôturer les fêtes noceuses, les fins de soirée et autres réceptions de mariages.
Quand Sardou, aujourd’hui âgé de 76 ans, créa cette mélodie en 1981, année du mitterrandisme conquérant, Juliette Armanet n’était même pas née, ce qui surviendra en 1984. Les goûts n’étant pas censés être discutés, il est dans le strict droit de cette jeune artiste, fille de son temps, de trouver que la chanson la « dégoûte vraiment » avec son « côté scout » et que la musique qu’elle charrie est « immonde ». Il n’y a vraiment pas de quoi faire un fromage. Peut-être une maladresse. Elle classa la chanson dans la culture de « la droite ». Ainsi et sans nécessairement le vouloir, son propos quittera le mondain pour plonger dans la sphère « politique ». Car, il n’en fallait pas plus pour en sortir plus d’un de sa torpeur estivale et caniculaire.
Traditionnellement les médias vivent deux moments de pause. En décembre, durant la trêve des confiseurs. L’été, surtout en août, avec ce qu’on pourrait qualifier de « trêve des campings ou des yachts ». C’en est fini de ces haltes. Avec les réseaux sociaux et surtout avec l’ultra droite, ses snipers et ses portes flingues, systématiquement aux aguets, c’est du H24. L’extrême-droite française qui a préempté la toile a presque gagné la bataille du net. Avide de lynchage, elle a érigé sur Internet des miradors pour que rien ne lui échappe. Elle peut ainsi faire feu de tout bois et, pour elle, tout est bon dans le cochon. Elle n’observe plus l’évènement. Désormais, elle le fabrique. Capable de faire du moindre fait divers un fait politique et sociétal, elle a, en ce sens, en partie anathématisé le propos de Pierre Bourdieu pour qui le Fait-divers faisait diversion. Puissante, et pour ne pas dire qu’elle force, elle pousse, pour le moins les chaines d’info en continu, tout particulièrement la complice Cnews, à la suivre et parfois à s’aligner sur ses positions. Une partie de la classe politique n’est pas en reste.
Avec la voracité de Vincent Bolloré, qui vient de s’offrir le Journal du dimanche, après Match, Europe 1, Canal Plus, on en est qu’au début de ce processus, avec le risque à l’avenir de friser la suprématie.
Le mérite en revient à Antonio Gramsci, le dirigeant communiste qui doit se retourner dans sa tombe. Enfermé pendant dix ans, de 1927 à sa mort en 1937 dans les geôles de Mussolini, il a développé durant son embastillement la théorie de l’hégémonie culturelle qui stipule que le pouvoir politique ne saurait se passer d’une hégémonie culturelle. Cette théorie, conçue durant le règne de l’imprimerie de Gutenberg est devenue plus facilement opérante avec l’ère Zuckerberg. Même le GRECE et la nouvelle droite qui, dès les années soixante, prônèrent sa primauté, ne pouvaient anticiper l’effet amplificateur de la révolution numérique, encore moins Gramsci.
Sur les vingt dernières années, cette théorie est devenue le leitmotiv et l’outil politique les plus appréciés par l’extrême-droite française, dont la figure la plus proéminente reste Éric zemmour. Celui-ci en fait son credo. L’offensive est puissante. Et payante. La gauche française, autrefois impériale dans le domaine culturel, est devenue de plus en plus aphone quand elle n’est pas à contre-courant. Elle est de plus en plus sur la défensive. Et quand, elle réagit, c’est de temps en temps contrairement à l’ultra-droite présente tout le temps et le plus souvent à l’initiative. Il n’est donc pas étonnant de constater que l’opinion française se droitise à vue d’œil.
Pour servir ce stratagème, toute « polémiquette » est bonne à prendre. C’est dans ce sens qu’il faut contextualiser le déluge et l’hallali que subit, depuis dix jours, Juliette Armanet suite à ses déclarations sur la chanson de Michel Sardou qu’elle qualifia de droite. Or, la pire insulte à faire à Sardou aurait été de le traiter non pas de droite mais de gauche. Et bien qu’a à un moment, il fut proche de François Mitterrand, Sardou n’a jamais renié ni son conservatisme ni son penchant de droite. Au contraire, il s’amuse crânement à s’afficher comme un réac assumé et déclaré. En 1976, Sardou, dans une chanson « Je suis pour », n’avait-il pas déclaré sa flamme à la peine de mort ? Alors où est le problème
Si immédiatement, la jeune artiste s’est attirée les foudres, dans une chasse à courre avec une meute de clébards, Juliette Armanet n’en demeure pas moins qu’un prétexte, pour une polémique, une de plus, destinée à meubler le vide politique et intellectuel qui sévit en France. Dans une société largement anomique, au sens durkheimien du terme, les réseaux sociaux, anonymes ou déclarés, font la chair de l’actualité. Les moutons de panurge font le reste. Aussi bien les célébrités qui fleurent la naphtaline qui trouveront là l’occasion de sortir de l’oubli comme c’est le cas d’Isabelle Balkany ou de Sheila. Mais, et c’est plus grave, des politiques de premier plan qui ne veulent surtout pas rater la station. A l’image d’un Éric Ciotti pour qui « Michel Sardou, C’est la fiance tout simplement…Difficile à avaler pour la bien-pensance », comprendre la gauche. Ou le sémillant Gilbert Collard, comme à son habitude méprisant et partisan de l’insulte facile et mièvre, qui s’est laissé à dire que « Juliette Armanet, la sans-voix déclare son aversion pour les Lacs de Connemara de Sardou. Cherchez bien, dans le titre, on trouve un mot qui l’habille à merveille : conne marra ». Sans- voix ? C’est vite dit. Une simple recherche sur YouTube montre le contraire. Les lacs de Connemara atteint 8 millions de vues. Une chanson de Juliette Armanet frise les 19 Millions.
Le nom de Juliette Armanet ne me disait rien. Par la grâce de Canal Plus de Vincent Bolloré, j’ai pu voir l’un de ses concerts, programmé par la chaine, le samedi 12 août. Aréna était archi-comble. Rien ne m’étonnerait si, dans son public jeune pour l’essentiel, certains n’ignorent pas qui est Michel Sardou ou du moins son répertoire.
Bien que connaissant l’air, j’ignorais tout autant le texte du « les Lacs de Connemara ». En le réécoutant, on surprend, à un moment, Michel Sardou lancer « On ne connait plus le prix du silence. ».
C’est tellement vrai.