chroniques
Vaccin anti-Covid-19 : Quand le gouvernement n’anticipe pas l’évidence
L’opération de simulation qu’on a prise, dans notre candeur, pour l’arrivée des vaccins. C’était le 24 décembre.
Le premier lot de vaccins d’AstraZeneca est arrivé. 2 millions de doses, semble-t-il, sur une commande de 25 millions. La première livraison du chinois Sinopharm, qui porte dans son ensemble sur 40 millions de doses, est prévue pour le 27 du mois. Ouf ! on peut respirer. La déception, générée par le gouvernement qui a promis monts et merveilles et qui a fini réduit à servir et à resservir les préparatifs logistiques et le tournage des simulations, était telle que, de conjectures en sarcasmes, l’ambiance générale, à ne pas mettre un chien dehors, commençait à mettre le moral plus bas que dans les chaussettes.
Ce premier lot aura sur les impatiences des gens au moins l’effet des premières pluies sur les paysans. L’hirondelle qui, si elle ne fait pas l’immunité collective, calme les esprits et redonne l’espoir. Que le Maroc puisse, dans un premier temps, vacciner les corps de la sécurité, les agents d’autorité et une bonne partie des effectifs de l’enseignement et du personnel médical, des rouages essentiels au fonctionnement de l’Etat et du pays, c’est déjà ça de gagné sur la pandémie.
Il va sans dire qu’il serait de mauvaise foi de mettre à l’index qui que ce soit et à quelque niveau que ce soit de la chaine de décision et de la mise en œuvre de cette vitale opération. Car dans ce qui se passe et se déroule, il n’y a rien qui pouvait relever de l’imprévisible. A commencer par la simple règle aussi humaine que ça, qui dicte aux pays producteurs des vaccins de se servir avant de servir. Et le service lui-même de se faire dans l’ordre des intérêts stratégiques, économiques, politique ; du plus proche au plus lointain et de l’indispensable au dispensable.
Il ne chantait pas faux le chef du gouvernement qui évoquait devant les parlementaires la concurrence féroce qui caractérise le marché vaccinal et la surenchère des pays qui surchauffent les prix. Mais trouver une parade vaccinale ou un remède au Covid-19 en des temps record, était dès le début conçu et perçu comme un challenge qui est encore loin d’être gagné. La transnationale française SANOFI, par exemple, s’est perdu en cours de route. Et alors même que plusieurs pays, essentiellement les riches, ont commencé à vacciner, les unités de production sont dans l’incapacité totale de satisfaire la demande mondiale qui se calcule en milliards de doses. Partout elles accusent des retards. L’OMS crie déjà à « la catastrophe morale » que risque le monde quant à l’accès de tous à « l’antidote miracle ». L’Europe elle-même, troisième puissance mondiale, n’a de recours que de s’accrocher aux baskets des Américains, gémissante, se plaignant de ne pas être ni suffisamment approvisionnée ni à temps. Plusieurs de ses Etats menacent de faire des procès au géant américain des vaccins.
Le rêve, forcément s’estompe au réveil
Les Américains eux-mêmes, si bien armés que capables de mener plusieurs guerres à la fois, qui cochent toutes les cases de la puissance, concepteurs et producteurs de vaccins, rament dans la brume. Joseph Robinette Biden, leur nouveau président, aimerait bien marquer son règne et les esprits en vaccinant en cent jours, pas toute la population, seulement cents millions d’Américains. Mais il n’est sûr de rien. Antony Fauci, son maitre conseiller scientifique après avoir été celui de Donald Trump, a bien dit que c’était faisable, mais qu’il fallait beaucoup de moyens. Alors quand au Maroc le gouvernement nous dit qu’on va vacciner en quatre-vingt-dix jours près de trente millions de Marocains et que nous aurons atteint l’immunité collective en mai, on se surprend, sans être nécessairement sceptique dans l’âme, à se pincer.
Là réside le premier des deux reproches à faire au gouvernement. D’avoir rêvé et de nous en avoir contaminés. Aussi avons-nous cru candidement que parce que nous sommes gentils, que nous sommes (peut-être) des amis, que nous avons été les premiers sur les accords, que nous nous sommes prêtés au jeu des essais cliniques, nous allions être servis en priorité. Mais le propre du rêve c’est de s’estomper au réveil.
Pourtant, d’instinct ou de science sûre, nous avons pressenti depuis la déclaration de la pandémie que dans le théâtre d’ombres des relations internationales, se jouait une partie serrée entre l’Empire du milieu et la Rome des temps modernes. Cette Chine qui monte - dont Alain Peyrefitte nous a prédit en 1973 déjà que quand elle s’éveillera, le monde tremblera – nous a fait frémir d’espoirs et d’attentes. Son dynamisme économique, sa conquête de la face cachée de la lune, son supercalculateur quantique 100 000 milliards de fois supérieur au japonais Fukagu, son art et sa manière dans la maitrise de la pandémie, sa G5 qui conquiert le monde et donne l’urticaire aux Américains, son pari sur son soft power et tout ce que cela signifie ou laisse croire nous ont emplis de tant d’espérances et hypnotisés si intensément qu’on a cru que la Chine, forcément philanthrope parce que désireuse de séduire le monde, capable de mettre sur pied un méga hopital en un mois pouvait produire un vaccin pour plus de 7 milliards de personnes en un tour de main. Et nous faire passer en premier.
Au point d’oublier qu’une puissance est avant tout une puissance et que son président ne pouvait dire que la même chose et avec la même ardeur que ce que Donald Trump disait de l’Amérique, la Chine d’abord ! La seule différence, c’est que Xi Jinping le formulait en chinois. Et c’est là que réside le second reproche à faire au gouvernement et aux pourvoyeurs de données d’aide à la décision : de ne pas avoir anticipé l’évidence même. Mais tout sera bien, qui finit bien.