Quand Paul Bowles sauve de l’oubli une musique marocaine - Par Mustapha JMAHRI

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Paul Bowles, chez lui à Tanger où il a grande partie écrit son roman La Maison de l’araignée (1955)

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Paul Bowles, écrivain, compositeur et ethnomusicologue américain, a façonné un lien unique avec le Maroc, où il s’installe en 1947. À travers ses romans, dont *Un thé au Sahara*, et son travail d’ethnomusicologue, il capte l’âme marocaine, enregistrant ses traditions musicales et soutenant ses écrivains. Mutapha Jmahri revient sur son héritage culturel qui reste incontournable malgré certaines controverses.  

Ecrivain, compositeur et ethnomusicologue américain, Paul Bowles (1910-1999) s’est établi définitivement à Tanger en 1947. Critique musical au New York Herald Tribune, il se révèle un grand fan de la musique populaire marocaine. 

Bowles est avant tout connu pour son roman "Un thé au Sahara" (The Sheltering Sky, 1949) qui capte magistralement l’atmosphère du Maroc et de ses vastes étendues désertiques. Ce roman, inspiré de ses voyages à travers le pays, explore la confrontation existentielle entre l’homme occidental et l’immensité du désert. Il traduit également une fascination pour la culture marocaine et les tensions psychologiques des étrangers qui y séjournent, souvent en quête d’une vérité insaisissable.  

Loin d'être un simple observateur, Bowles a vécu le Maroc de l'intérieur. Il s'est immergé dans la société marocaine, tissant des liens étroits avec des intellectuels, des artistes et des conteurs, dont il a su retranscrire les récits et les voix. À travers ses nouvelles et romans, tels que "La Maison de l'araignée" (1955), il a su brosser un portrait réaliste et nuancé d’un Maroc en transition, oscillant entre traditions ancestrales et influences coloniales.

Ambassade américaine Vs Affaires étrangères marocaine

Dans son livre Leurs mains sont bleues (1989), il écrit : « Un élément unique et très important de la culture populaire marocaine est sa musique…. Toute l’histoire et la mythologie de ce peuple sont tissées de chants ».

C’est ainsi qu’entre juillet et décembre 1959, bénéficiant d’une bourse de la fondation Rockefeller et à la demande de la bibliothèque du congrès américain, il a réussi, avec l’aide de son assistant marocain, Mohammed Larbi, l’enregistrement de plus de 250 sélections dans 23 villages. Il écrivit alors : « En essayant d’enregistrer la musique marocaine, ma tâche fut de rassembler, en l’espace des six mois que la fondation Rockefeller m’avait accordés pour le projet, des exemples de tous les genres de musique pris parmi les principaux, à l’intérieur de ce pays ». 

Le résultat fut satisfaisant, puisque ces chants ont été édités en 2016 par la bibliothèque du congrès américain. Il était conscient de l’importance du travail qu’il avait accompli en 1959 : « J’ai sauvé une musique magnifique de l’oubli » aimait-il à dire.

Son travail n’était pas sans difficultés puisqu’en plus des déplacements sur 4.000 km avec les moyens de l’époque, il précise en page 144 de son livre, qu’alors qu’il travaillait depuis trois mois sur son projet, il reçut du ministère marocain des Affaires étrangères un avis l’informant qu’il n’avait pas l’autorisation d’entreprendre son projet mais c’est l’Ambassade américaine qui lui conseilla de poursuivre son travail. 

Ce livre publié en 1963 est consacré à des récits de voyages dans le Sud marocain, en Turquie, à Ceylan et en Amérique latine.

Un Mécène et un Mentor pour ‘’une’’ Littérature Marocaine

La présence de Paul Bowles ne s’est pas limitée à la musique, mais il a également joué un rôle clé dans l’émergence et la reconnaissance d’écrivains marocains. Il a encouragé et traduit en anglais les œuvres de plusieurs auteurs marocains d’expression arabe et berbère, contribuant ainsi à leur diffusion à l’international. Parmi eux, on peut citer Mohammed Mrabet, dont il a transcrit et traduit les récits oraux, leur conférant une portée littéraire mondiale.  

À travers ce travail, Bowles n’a pas seulement servi d’intermédiaire culturel ; il a activement participé à la transmission des traditions orales marocaines et à leur adaptation à un public occidental. Cette démarche s’inscrit dans une volonté de préserver et de valoriser un patrimoine immatériel souvent négligé à l’époque.  

Et Si Bowles est souvent célébré pour son amour du Maroc et son rôle de passeur culturel, son œuvre et sa vision du pays ont parfois été critiquées. Certains intellectuels marocains estiment qu’il a contribué à véhiculer, à l’instar d’un Piere Loti, une image exotisée du Maroc, en perpétuant le mythe orientaliste d’un pays figé dans le temps, mystérieux et insaisissable.  

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